Pourquoi le président israélien doit-il s’inquiéter pour son pays?

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (au centre) après la cérémonie de prestation de serment de la Knesset (parlement) israélienne à Jérusalem le 6 avril 2021 (Photo, AFP / POOL / Alex Kolomoisky)
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (au centre) après la cérémonie de prestation de serment de la Knesset (parlement) israélienne à Jérusalem le 6 avril 2021 (Photo, AFP / POOL / Alex Kolomoisky)
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Publié le Mercredi 14 avril 2021

Pourquoi le président israélien doit-il s’inquiéter pour son pays?

Pourquoi le président israélien doit-il s’inquiéter pour son pays?
  • Depuis qu'il est devenu président il y a près de sept ans, Rivlin a présidé au rituel de formation du gouvernement à cinq reprises, dont quatre au cours des deux dernières années
  • Rivlin a clairement indiqué qu'il avait des réserves «morales et éthiques» à l'idée de demander à un accusé dans un procès pour corruption de former un gouvernement de coalition

Après un marathon de réunions avec des représentants du parti, le président israélien Reuven Rivlin a demandé au Premier ministre Benjamin Netanyahu de former le prochain gouvernement. Depuis qu'il est devenu président il y a près de sept ans, Rivlin a présidé ce rituel à cinq reprises, dont quatre au cours des deux dernières années. Cependant, son maniérisme et ses commentaires à cette occasion projetaient une réticence à accepter cette procédure, et un sentiment de soulagement qu'avec sa retraite qui est tout à fait proche, il puisse se débarrasser de toute cette mascarade.

Selon la loi, Netanyahu a 28 jours pour former un gouvernement de coalition, et il peut demander au président une prolongation de deux semaines, bien que Rivlin ait suggéré qu'il était plus susceptible de donner ce privilège à la Knesset elle-même. En annonçant sa décision de nommer Netanyahu, le président a fait remarquer qu'aucun candidat n'avait une réelle chance de former un gouvernement de coalition, et en ce qui concerne Netanyahu, Rivlin est probablement content que ce soit le cas. Il n'est jamais trop sage de parier contre Netanyahu, qui a été enterré politiquement à maintes reprises pour sortir un autre tour de son sac et se relever de nouveau. Mais plus récemment, d’élection en élection, il est devenu moins crédible et plus difficile pour lui d'obtenir le soutien de 61 membres de la Knesset. Et, pour l'instant du moins, les pronostics sont contre lui.

Rivlin a confié le mandat à Netanyahu dans les circonstances les plus surréalistes, au moment même où le premier témoin à charge dans le procès du Premier ministre pour corruption, fraude et abus de confiance, décrivait un échange de faveurs entre Netanyahu et les propriétaires de l'un des sites d'information les plus influents d'Israël. Rivlin a clairement indiqué qu'il avait des réserves «morales et éthiques» à l'idée de demander à un accusé dans un procès pour corruption de former un gouvernement de coalition. Ce n'est pas seulement la nature des accusations portées contre Netanyahu qui a rendu l'occasion extrêmement inconfortable pour le président, mais aussi les incitations constantes de Netanyahu et de sa clique contre le système judiciaire, ainsi que les allégations et accusations venimeuses qui ne font que s’intensifier au fur et à mesure que les preuves du procès de Netanyahu continuent d’être entendues et qu’il aura sûrement du mal à former un gouvernement de coalition. Néanmoins, malgré sa réticence, Rivlin s'est senti obligé de ne pas ignorer que le Premier ministre avait été soutenu pour cette tâche par le plus grand nombre de membres de la Knesset que quiconque autre, des politiciens avec un sens moral plus flexible que le président tant que cela servait leurs intérêts politiques. À cette occasion, Rivlin aurait dû suivre ses principes moraux solides, et non pas ceux qui ont peu d’éthique.

En attendant, il est possible que le désespoir de Netanyahu se traduise par des actions étrangères et nationales irresponsables, surtout avec peu de ses proches qui sont capables ou encore désireux de le retenir.

Yossi Mekelberg

Deux autres candidats au poste de Premier ministre ont été proposés au président: Yair Lapid, qui dirige le parti centriste Yesh Atid, et Naftali Bennet, qui dirige l'alliance d'extrême droite Yemina, soutenus respectivement par 45 et 7 membres, par rapport aux 52 qui ont soutenu le leader du Likoud. Ce sont ceux qui ont décidé de rester neutres et de n'approuver personne, ou dans le cas de Bennet dont le parti l'a recommandé malgré sa participation médiocre aux élections générales de mars, qui ont permis dans ces circonstances extraordinaires à Netanyahu d'avoir une autre chance de former un gouvernement. Gideon Saar, un ancien membre de haut rang du Likud qui a formé le parti New Hope juste avant les élections, se présentant sur le ticket d'un parti d’extrême droite et qui ne siégerait jamais avec Netanyahu dans un même gouvernement, s'est figé au moment crucial de la présentation de sa recommandation au président et s’est abstenu de soutenir qui que ce soit. Au lieu d'un nouvel espoir, Gideon Moshe Sa'ar avec son parti de 6 personnes a laissé Israël vulnérable au même vieux désespoir représenté par Netanyahu.

Il y a bien sûr la question de savoir comment un Netanyahu désespéré va jongler avec sa position de Premier ministre et sa situation juridique et le cirque qu'il a créé autour de chacun au cours des négociations complexes pour former un gouvernement. La voie vers un gouvernement qui bénéficie du soutien de la majorité au parlement peut être bloquée, mais cela ne signifie pas que Netanyahu abandonnera tant qu’il ne néglige aucune piste. Il approche de sa dernière action d'arrière-garde, faisant face à ce que les généraux de l’armée craignent le plus: se battre sur deux fronts en même temps, l'un pour rester au pouvoir et l'autre pour rester en dehors de la prison. Pour les quatre prochaines semaines, nous pouvons nous attendre à un Netanyahu qui mêle son expérience à de charmants opposants, les sollicitant pour rejoindre sa coalition, avec un comportement brutal et menaçant envers ceux qui n’acceptent pas ses offres séduisantes de ministères convoités, de budgets généreux et de postes gouvernementaux de haut rang.

Voici ce à quoi nous pouvons également nous attendre : premièrement, le parti Yemina de Naftali Bennett va certainement subir des pressions pour rejoindre un gouvernement de droite et sera accusé de trahir ses électeurs s’il ne rejoint pas l’administration Netanyahu. Ra'am, le parti islamiste, sera courtisé par la promesse de devenir le premier parti arabe de l’histoire d’Israël à avoir une influence au cœur de l’establishment au profit des citoyens palestiniens-arabes d’Israël. Leur refus sera, encore une fois, décrit par Netanyahu comme une trahison des électeurs de Ra’am.

En attendant, le Likud identifiera plusieurs membres de la Knesset qui, selon eux, pourraient être persuadés de quitter des partis qui ne participeront pas à un gouvernement dirigé par un Premier ministre accusé de corruption. Ne vous attendez à aucun semblant de courtoisie ou d’intégrité; il s’agit de sauver la peau de Netanyahu, qui préfère de nouveau faire face à l’électorat plutôt que de ne pas avoir un gouvernement dirigé par lui-même.

En parallèle, des négociations informelles alternatives devraient avoir lieu au sein du bloc du «changement». Cette option n'est pas du tout évidente, et elle consoliderait principalement l'opposition à Netanyahu, mais exigerait aussi des concessions complexes, car elle doit nécessairement comprendre au moins sept partis, laissant sa longévité entourée d'incertitude.

En attendant, il est possible que le désespoir de Netanyahu se traduise par des actions étrangères et nationales irresponsables, surtout avec peu de ses proches qui sont capables ou encore désireux de le retenir. Le pays doit donc tenir compte des inquiétudes de Rivlin, non seulement sur la base morale et éthique de sa décision de mandater Netanyahu pour former un gouvernement, mais aussi sur l’opinion exprimée par le président selon laquelle «l’État d’Israël ne doit pas être tenu pour acquis. Puis je m’inquiète pour mon pays».

 

 Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et chercheur associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques. Twitter: @YMekelberg

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com