Israël à la croisée des chemins, Rivlin nomme Netanyahou à contrecœur

Le président israélien Reuven Rivlin
Le président israélien Reuven Rivlin
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Publié le Jeudi 08 avril 2021

Israël à la croisée des chemins, Rivlin nomme Netanyahou à contrecœur

Israël à la croisée des chemins, Rivlin nomme Netanyahou à contrecœur
  • Il est évident que la politique israélienne est bloquée avec le nom de Netanyahou inscrit partout, en toutes lettres
  • Les opposants à Benjamin Netanyahou mettront-ils en veilleuse leurs ego et leurs rivalités pour atteindre leur objectif ultime: en finir avec l'ère Netanyahou?

La semaine dernière, les juifs d'Israël ont célébré la Pâque juive, fête qui commémore, pendant une semaine, la libération de leur peuple de l'esclavage. La plupart ont pris des congés pour profiter du retour du printemps et visiter les sites touristiques du pays. En revanche, les politiciens du pays, eux, n'étaient pas au rendez-vous. Ils s’efforçaient de digérer les résultats des élections organisées la semaine précédente. 

C'est ainsi que la ruche politique bourdonnait d'activité dans une tentative de traduire ce résultat indécis en une issue susceptible de dénouer deux années de paralysie politique prolongée.

D'une part, il est impératif que le pays échappe à une cinquième élection consécutive, sachant que ces scrutins successifs génèrent une forte discorde et entravent la mise en place d'une gouvernance efficace. D'autre part, les résultats des dernières élections n'ont pas dégagé la voie vers une coalition. Ainsi, un nouveau gouvernement constituerait, par définition, une mesure provisoire en attendant la tenue de nouvelles élections ou la formation d'une nouvelle coalition.

Il est évident que la politique israélienne est bloquée avec le nom de Netanyahou inscrit partout, en toutes lettres. La nouvelle répartition des sièges à la Knesset (Parlement) laisse présager que le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, ne jouit pas – du moins en apparence – du soutien requis pour former le prochain gouvernement. Toutefois, ses opposants sont encore loin de consentir à unir leurs forces, ou de décider qui prendra la tête de l'opposition, alors que la priorité absolue pour eux est de remplacer Benjamin Netanyahou et de débloquer le goulot d'étranglement politique. À supposer que cette éventualité soit possible, elle ne garantira pas la stabilité, c’est-à-dire un gouvernement capable de remplir un mandat complet. Toutefois, elle laisse entrevoir une série de perspectives qui, au moment des prochaines élections, pourraient se solder par des résultats plus probants.

La réponse du président israélien, Reuven Rivlin, a certes été révélatrice, lorsque le président de la commission électorale lui a communiqué les résultats de l'élection. Le rôle que remplit le président israélien est, dans une large mesure, honorifique. Cependant, il ne reste que trois mois avant que M. Rivlin n'achève son mandat de sept ans et ne prenne sa retraite. Il se retrouve pourtant dans l'œil du cyclone politique, qu'il peut considérablement influencer. En effet, M. Rivlin est un politicien chevronné appartenant à la vieille école du Likoud. Il est évident qu’il éprouve un sentiment de déception nourri par l'impasse où se trouve le pays et par ses conséquences préjudiciables. Alors que son parcours politique touche à sa fin, c'est lui qui désigne le membre de la Knesset qui aura la primeur afin de former un gouvernement.

Mardi, le président a consenti à conférer cette opportunité à M. Netanyahou. Cependant, il a fait remarquer qu'il le faisait à contrecœur, à la lumière du procès pour corruption auquel le Premier ministre est actuellement soumis. «Cette décision n'est pas facile à prendre du point de vue moral et éthique», a déclaré M. Rivlin. «J'ai peur pour mon pays. Mais j'agis en fonction de mon rôle de président de l'État d'Israël, dans le respect de la loi et de la décision de la Cour, et de la volonté du souverain qu'est le peuple d'Israël».

En outre, M. Rivlin avait fait valoir par le passé que le nouveau gouvernement devra «réparer les divisions qui nous séparent et soigner les blessures de la société israélienne»; un gouvernement qui «adoptera le budget et libérera les institutions publiques de leur inertie politique». À cette fin, il a exhorté les politiciens à entendre les citoyens israéliens qui «revendiquent d'établir des liens qui ne soient pas conventionnels et une coopération entre les différents segments de la société». Si on lit entre les lignes, on comprend que le président ne pouvait pas aller plus loin sans appeler ouvertement les forces «anti-Bibi» («anti-Netanyahou») à s'unir, dans la mesure où Benjamin Netanyahou est perçu comme la principale source des divisions actuelles de la société israélienne et comme celui qui a longuement empêché l'adoption du budget.

Il est évident que le président éprouve un sentiment de déception nourri par l'impasse où se trouve le pays et par ses conséquences préjudiciables

 

 

Yossi Mekelberg

C’est cette notion de coopération non conventionnelle qui pose le principal défi. Sachant qu’aucun des partis opposés à Netanyahou ne dispose de plus de 17 membres de la Knesset –nombre de députés du parti centriste Yesh Atid – et que les autres partis comptent moins de la moitié de ce nombre, il est évident qu'ils nommeraient Yaïr Lapid, leader de Yesh Atid, pour former un gouvernement. Toutefois, dans la politique israélienne, l'option qui semble être la plus évidente n'est pas nécessairement celle qui sera privilégiée. C’est particulièrement le cas tant que les prises de position au sein des deux blocs se poursuivent et que ceux qui ne soutiennent pas un candidat spécifique s'efforcent soit d'améliorer leurs chances d'être nommés, soit d'obtenir des concessions auprès d'un chef potentiel du gouvernement. Les dernières élections ont donné naissance à bon nombre de faiseurs de roi qui ne semblent pas avoir choisi le roi à introniser. Jusqu'à présent, Yaïr Lapid comme Benjamin Netanyahou ne bénéficient pas du soutien de 61 membres de la Knesset. Un troisième nom est donc susceptible de faire surface.

Pour le Premier ministre, l'idée d'un rival à la tête du pays est inimaginable et intolérable. Il croit que personne n'est à sa hauteur. Plus difficile encore, s'il cède le poste de Premier ministre, tous ses efforts pour empêcher, éviter et faire dérailler le procès pour corruption auquel il est soumis prendront fin de façon abrupte, entraînant de graves conséquences pour lui. En revanche, ce scenario soulagerait ceux qui aspirent à un État de droit, à une responsabilisation du gouvernement et à la restauration de la confiance dans le système politique.

Que Benjamin Netanyahou soit prêt, pour la première fois, à dépendre du soutien du Ra'am (Liste arabe unie), un parti arabe islamiste, constitue une lueur d'espoir dans son désespoir de devoir recueillir du soutien de n'importe quelle source. Il permet ainsi à d'autres de coopérer avec les partis arabes qui représentent les citoyens palestiniens d'Israël. Dans la triste réalité de la politique israélienne, qui a toujours délégitimé tout gouvernement soutenu par les représentants des citoyens palestiniens (notamment de la part du Premier ministre actuel), le désespoir de ce dernier pourrait enfin marquer la naissance d'une nouvelle ère marquée par la normalisation de la participation des Palestiniens aux instances gouvernementales du pays.

À présent que Reuven Rivlin a nommé M. Netanyahou pour être le premier à former un gouvernement, les partisans de «Anyone but Bibi» («n'importe qui sauf Bibi» soit le slogan des groupes opposés à Netanyahou) mettront-ils en veilleuse leurs ego et leurs rivalités pour atteindre leur objectif ultime: en finir avec l'ère Netanyahou? Ou alors, le maître rescapé et grand manipulateur de la politique israélienne parviendra-t-il à conserver son emprise tant sur la politique que sur la société d'Israël?

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent’s University de Londres, où il dirige le programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également membre associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques.

Twitter: @YMekelberg

NDLR: Les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com