Benjamin Netanyahou, assoiffé de pouvoir, détruit la démocratie israélienne

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Publié le Dimanche 06 juin 2021

Benjamin Netanyahou, assoiffé de pouvoir, détruit la démocratie israélienne

Benjamin Netanyahou, assoiffé de pouvoir, détruit la démocratie israélienne
  • Pour un Premier ministre assiégé chez lui, c’est un coup d’éclat, comme d’ailleurs pour le président Donald Trump. Mais il est peu probable qu’un tel accomplissement diplomatique puisse sauver sa carrière politique
  • Netanyahu et son parti, le Likoud se sentent de plus en plus menacés

Rendre à César ce qui appartient à César. En plein milieu d’une crise sur le vote du budget en Israël, qui pourrait rapidement conduire à une quatrième élection générale en moins de deux ans, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, avec un énorme soutien de la Maison Blanche, a sorti de son chapeau un accord de normalisation des relations avec les Émirats arabes unis.

Tout bien considéré, pour un Premier ministre assiégé chez lui, c’est un coup d’éclat, comme d’ailleurs pour le président Donald Trump. Mais il est peu probable qu’un tel accomplissement diplomatique puisse, à un tel moment clé de l’histoire d’Israël, sauver sa carrière politique, ou plus encore permettre d’éviter ou de reporter indéfiniment son procès pour corruption.

De toute évidence, il cherche à créer des frictions et des crises avec ses partenaires de la coalition gouvernementale, en particulier avec l’Alliance Bleu Blanc, avec deux objectifs en tête : prolonger indéfiniment son règne, à la manière de Vladimir Poutine ou de Recep Tayyip Erdogan, et chercher à perturber et retarder son procès.

Netanyahu n'a jamais été un homme politique qui a fait confiance à qui que ce soit ou à quoi que ce soit mais, pendant longtemps, cela a fonctionné, et cela lui a permis d’être propulsé à

plusieurs reprises au poste de Premier ministre. Contrairement à beaucoup de ses contemporains en politique israélienne, il a toujours été prêt à se battre, et les revers ne l'ont jamais découragé.

Sa loyauté envers personne d'autre que lui-même et son absence d'idéologie cohérente sont devenus son principal signe distinctif. Bien que ces traits de personnalité aient joué un rôle majeur pour son maintien au pouvoir, ils ont également entraîné des hésitations constantes dans sa politique. Il s’est fait de nombreux ennemis dans la société et la politique israéliennes, y compris parmi certains qui étaient autrefois ses alliés.

Quand toute personne proche de Netanyahu a pris des positions pouvant être considérées par le Premier ministre comme trop indépendantes par lui et sa famille, il s’est retrouvé banni de son cercle restreint et a été désigné comme ennemi.  

Semer le chaos pour se maintenir au pouvoir

Si au départ, sa méfiance envers ses rivaux politiques était principalement motivée par des considérations tactiques pour servir ses ambitions politiques illimitées, plus tard, influencé par sa famille dysfonctionnelle, ses peurs se sont transformées en une paranoïa profonde, qui le pousse à identifier des menaces parfois réelles, mais souvent imaginaires, pour justifier son comportement irrationnel.

Après des années d'enquêtes sur des allégations de corruption, le fait qu'il ait finalement été inculpé a convaincu Netanyahu que sa survie politique et ses chances d'éviter une condamnation dépendaient du ralliement de sa base, et a constamment semé la division, lançant des attaques pernicieuses contre ses adversaires, et provoquant une série de perturbations pour conduire le pays au bord du chaos. La crise actuelle est directement le résultat de cet état d’esprit.

Quand toute personne proche de Netanyahu a pris des positions pouvant être considérées par le Premier ministre comme trop indépendantes par lui et sa famille, il s’est retrouvé banni de son cercle restreint et a été désigné comme ennemi.

Yossi Mekelberg

Pour un gouvernement de coalition qui date d’à peine quatre mois, les querelles constantes entre ses principaux partenaires - qui durent presque depuis le premier jour- sont sans précédent. Le Premier ministre a également démontré son échec désastreux pour affronter la deuxième vague du Covid-19, ce qui n’a fait que raviver les manifestations, et montre son incapacité à former une coalition qui soutiendra sa politique.

Netanyahu et son parti, le Likoud se sentent de plus en plus menacés. La conjonction de la pandémie - qui a fait de nombreux morts et causé une profonde crise économique – ainsi que les accusations de corruption qui pèsent sur lui, rendent sa position en tant que Premier ministre plus vulnérable que jamais.

Pire encore, Benny Gantz, son principal partenaire de coalition et officiellement Premier ministre suppléant, ne fait pas du tout confiance à Netanyahu et sait bien, au fond, que les chances qu’il se retire pour lui céder la place l’année prochaine, comme le stipule l’accord de coalition, sont très minces.

Netanyahu, lui, ne loupe pas une occasion de traiter Gantz comme un sous-fifre et l'humilier en public et lors des réunions du cabinet. Mais le suicide politique commis par Gantz et ses collègues lorsqu'ils ont rejoint la coalition et, ce faisant, ont divisé leur parti, laisse très peu de marge de manœuvre à ce qui reste de l’Alliance Bleu Blanc. Le parti est vulnérable, en cas de nouvelles élections, dans lesquelles il peut s’attendre à être écrasé. Netanyahu sait efficacement exploiter cette faiblesse.

Des nominations cruciales à l’origine des blocages provoqués par Netanyahu

L’annulation d’une réunion du cabinet la semaine dernière en est un bon exemple. Cette réunion visait à créer une crise de plus avec l’Alliance Bleu Blanc, en mettant en péril le vote du budget, ce qui pourrait, faute d’accord, conduire à un risque élevé de la dissolution de la Knesset avant la fin du mois d’août.

Pour annuler la réunion, le Premier ministre a prétexté un refus de l’Alliance Bleu Blanc de discuter d’un plan de relance de l’économie, à la suite des dommages causés par la Covid-19.

L’objectif était de dépeindre l’Alliance comme étant indifférente à la souffrance de millions d'Israéliens touchés par la pandémie, tout en présentant Netanyahu comme le champion de la défense des Israéliens souffrant de la crise. En réalité, c’est le Likoud et Netanyahu lui-même qui ont volontairement créé une tempête dans un verre d’eau en violant de manière flagrante l’accord de coalition passé avec l’Alliance Bleu Blanc et refusant toute réunion du cabinet tant que cette question ne serait pas résolue.

Le Likoud souhaite voter un budget d’un an alors que l’Alliance Bleu Blanc exige un budget de deux ans comme convenu dans l’accord de coalition signé entre les deux partis. Un tel budget serait plus facile à manipuler pour le parti de Netanyahu. Mais le fond du problème n’est pas là : il est lié à sa réticence à devoir abandonner ses prérogatives de nomination du chef de la police et du Procureur général. Cela le dérange à un tel point qu’il est prêt à rompre un partenariat au sein d’un gouvernement qui a à peine été nommé en Mai.

Ces deux personnes, une fois nommées, pourraient décider de lancer de nouvelles enquêtes pour corruption, y compris sur une nouvelle affaire de conflits d’intérêt concernant l’achat par Israël de plusieurs sous-marins allemands, qui a permis d’enrichir un certain nombre de personnes proches de Netanyahu. L’Alliance Blanc Bleu accepté de faire partie de la coalition gouvernementale à condition que ces nominations cruciales soient faites de manière transparente. En garantissant l’indépendance de la police et en protégeant le système judiciaire de Netanyahu et de ses subordonnés, l’Alliance est bien consciente qu’elle protège la démocratie d’Israël (et aussi une partie de sa réputation en déclin rapide).

Cette bataille oppose Netanyahu, prêt à détruire les normes de transparence dans la fonction publique dans le seul but d’échapper à la justice, à ceux qui prennent fermement position pour empêcher le pays d'être complètement détruit par un Premier ministre cynique et avide de pouvoir. Netanyahu a montré son mépris total pour les institutions et tout processus démocratique dans son pays.

S'il remporte cette bataille, il existe un risque grave que ce qui reste encore de la bonne gouvernance et de la démocratie d'Israël subisse des dommages irréparables.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent's University à Londres, où il dirige le Programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux et régionaux.

Twitter: @YMekelberg

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com