Les prestations sociales: un atout pour tous

Les priorités budgétaires fixées par l'actuel gouvernement travailliste britannique adoptent de plus en plus l'approche de l'accessibilité financière (AFP)
Les priorités budgétaires fixées par l'actuel gouvernement travailliste britannique adoptent de plus en plus l'approche de l'accessibilité financière (AFP)
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Publié le Mercredi 16 avril 2025

Les prestations sociales: un atout pour tous

Les prestations sociales: un atout pour tous
  • L’État-providence repose à la fois sur une exigence morale et une vision stratégique
  • Ces deux dimensions convergent vers un même objectif – bâtir une société plus juste et plus prospère

Une combinaison de circonstances nationales et mondiales est exploitée, par certains délibérément et par d'autres par inadvertance, et utilisée contre l'État-providence. Certains s'opposent idéologiquement à la notion même de distribution des richesses pour créer une société plus juste, tandis que d'autres, tout en la soutenant, craignent qu'elle ne devienne inabordable, en particulier à une époque où la croissance économique est atone et où il existe d'autres raisons urgentes et impérieuses de détourner l'argent public vers des biens publics concurrents.

Aucun des deux groupes ne demande l'abolition de ce qui équivaut à une redistribution des richesses, mais le premier groupe souhaiterait qu'elle soit limitée en permanence au strict minimum, et l'autre seulement lorsque c'est fiscalement prudent. Les deux camps passent à côté de l'essence de l'État-providence, qui sert à la fois les bénéficiaires directs de ses prestations et ceux qui le financent par leurs impôts, pour le bon fonctionnement de la société autant que pour des raisons morales.

Les orientations budgétaires adoptées par le gouvernement travailliste britannique, en poste depuis moins d’un an, témoignent d’une volonté croissante de privilégier l’approche de la rigueur budgétaire. Cette tendance suscite une vive inquiétude parmi ses partisans historiques ainsi que chez de nombreux députés de l’aile parlementaire. Ces derniers mois, le gouvernement a surpris en réduisant les aides au chauffage pour les retraités en hiver, ainsi que les prestations d’invalidité, pour un montant total de 5 milliards de livres sterling (soit environ 6,6 milliards de dollars ; 1 dollar = 0,88 euro). Ces coupes ont laissé les membres les plus fragiles de la société particulièrement exposés dans un contexte de flambée du coût de la vie. Si l’on peut comprendre la nécessité de revoir certaines allocations universelles, cela ne saurait se faire au détriment de ceux qui en dépendent le plus. Aux prochaines élections générales, les électeurs pourraient bien tenir les travaillistes pour responsables de l’échec à préserver l’État-providence, après près de quinze années de démantèlement progressif mené par les gouvernements conservateurs.

Un service de santé moderne aident véritablement les gens à se redresser.

                                                Yossi Mekelberg

La notion d'État-providence est apparue au XIXe siècle, d'abord dans l'Allemagne de Bismarck, comme une réponse institutionnelle aux effets secondaires négatifs de l'industrialisation, afin de protéger les individus, les travailleurs et leurs familles de plusieurs risques au cours de leur vie. Il s'agissait surtout de la perte de revenus due à la maladie, aux accidents du travail, au chômage et à la vieillesse. Au Royaume-Uni, c'est l'adoption du rapport Beveridge, intitulé «Social Insurance and Allied Service», qui a proposé que toutes les personnes en âge de travailler paient une cotisation hebdomadaire à l'assurance nationale, et qu'en retour des prestations soient versées aux personnes malades, aux chômeurs, aux retraités ou au veufs.

Au cœur de ce rapport se trouve la vision de Beveridge sur la société et l'économie: il estime que les intérêts particuliers ne doivent pas entraver ce qu'il considère comme la priorité absolue du gouvernement, à savoir l'abolition des «cinq grands maux» qui rongent la société: le besoin, la maladie, l'ignorance, la misère et l'oisiveté. C'est ce qui a conduit, après la Seconde Guerre mondiale, à la création du Service national de santé, à un important programme de logements sociaux et à des investissements massifs dans l'éducation publique. Il était également évident qu'il ne suffirait pas de traiter certains «maux» et pas d'autres, mais qu'il fallait les traiter tous en même temps, car ils sont dans la plupart des cas interdépendants. Il s'agissait de ne plus considérer l'aide aux plus démunis comme un acte de charité. Hélas, la mise en place d'un système de sécurité sociale est un acte de charité, qui repose sur de solides fondements moraux et éthiques, mais ce n'est pas de la charité, car lorsqu'elle est réussie, elle renforce également deux des piliers les plus importants de la société: la prospérité et la sécurité.

L'argument classique contre l'État-providence est qu'il est voué à devenir un «État-nounou» qui restreint l'initiative et l'esprit d'entreprise, et que, de toute façon, il n'est pas de la responsabilité de la collectivité de répondre aux besoins de l'individu, et encore moins de créer la justice sociale par la redistribution des richesses. Cet argument considère que les prestations de sécurité sociale ou les services universels gratuits au point de prestation, tels que les services nationaux de santé et d'éducation, pèsent sur un marché libre en imposant des taxes élevées et découragent donc ceux qui travaillent dur et contribuent le plus à la société.

Lorsque l'État-providence est à son apogée, il intègre tous les membres de la société.

                                                   Yossi Mekelberg

Ne voir la société qu'à travers le prisme étroit d'un marché libre et d'une fiscalité faible est trop simpliste et ignore commodément, par exemple, qu'un service de santé moderne et efficace aide véritablement les gens à se remettre sur pied et au travail, leur permettant de gagner, de dépenser et de payer des impôts (et non de vivre d'allocations), ce qui permet à l'économie de continuer à prospérer. Un système d'éducation de premier ordre pour tous produit, génération après génération, des créateurs de richesse et des citoyens responsables. Lorsque l'État-providence est à son apogée, il s'adresse à tous les membres de la société, y compris les moins fortunés, mais il doit également être considéré comme un investissement.

Les opposants à l'aide sociale n'hésitent pas à accuser le filet de sécurité que constituent les prestations de sécurité sociale de créer une culture de la dépendance, voire un piège de la pauvreté, ou à dire que certains trouvent le moyen de frauder le système. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'un système qui n'est pas parfait et qui n'est pas exempt de failles. Néanmoins, au Royaume-Uni, le pourcentage estimé de fraude dans le système de sécurité sociale est d'environ 3% des dépenses totales de prestations, et dans la plupart des autres pays de l'OCDE, il est similaire, voire inférieur. Cela appelle certainement à de meilleures garanties contre la fraude, mais ce n'est pas assez important pour supprimer la sécurité sociale. De plus, dans le cas des retraités par exemple, il ne s'agit que d'un remboursement partiel de ce qu'ils ont versé au système tout au long de leur vie professionnelle; en outre, une société saine devrait être fière de ne pas laisser de côté ceux qui, en raison de leur situation particulière, ont besoin du soutien du reste d'entre nous, même si c'est pour toute la durée de leur vie.

En période de faible croissance économique, alors que les finances publiques sont soumises à de fortes pressions – notamment en raison des investissements accrus dans la défense en Europe face à la guerre en Ukraine – la solution de facilité consiste souvent à réduire les dépenses de sécurité sociale. Pourtant, il est légitime d’envisager un recours accru à l’emprunt, dans un cadre strictement encadré, afin de protéger les plus vulnérables. Car sans cette protection, la relance économique pourrait bien s’accompagner d’un profond recul social, dont le coût, à terme, serait bien plus lourd. Après tout, l’État-providence repose à la fois sur une exigence morale et une vision stratégique: ces deux dimensions convergent vers un même objectif – bâtir une société plus juste et plus prospère.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House 

X: @YMekelberg
 
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com