Les diasporas juives ne sont pas des avant-postes israéliens

Soldats israéliens lors d'opérations militaires dans la bande de Gaza. (AFP/File)
Soldats israéliens lors d'opérations militaires dans la bande de Gaza. (AFP/File)
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Publié le Dimanche 27 avril 2025

Les diasporas juives ne sont pas des avant-postes israéliens

Les diasporas juives ne sont pas des avant-postes israéliens
  • les Juifs britanniques, ont pris la liberté, dans le meilleur sens possible de l'expression, d'exprimer leur désaccord en déclarant qu'ils ne pouvaient plus "fermer les yeux ou rester silencieux" au sujet de la guerre à Gaza. 
  • Israël ne peut exiger un soutien aveugle, voire un soutien tout court, s'il se comporte en violation du droit international.

En pleine fête de Pessah, au cours de laquelle le peuple juif célèbre la liberté et la libération, quelques dizaines de membres du Board of Deputies du Royaume-Uni, la plus grande organisation représentant les Juifs britanniques, ont pris la liberté, dans le meilleur sens possible de l'expression, d'exprimer leur désaccord en déclarant qu'ils ne pouvaient plus "fermer les yeux ou rester silencieux" au sujet de la guerre à Gaza. 

Les 36 signataires de cette lettre plutôt directe, publiée dans le Financial Times, n'étaient pas assez naïfs pour croire que leur critique publique d'Israël pour avoir rompu le cessez-le-feu le mois dernier ne serait pas accueillie avec critique, voire hostilité, par la direction de leur organisation et par beaucoup d'autres parmi ses plus de 300 députés, ainsi que par l'ensemble de la communauté juive. Néanmoins, leur lettre courageuse, dont je pense que certains d'entre eux admettraient qu'elle était attendue depuis longtemps, devrait contribuer à promouvoir des discussions futures franches et honnêtes au sein de la communauté, et également, si ce n'est plus, entre les diasporas juives et Israël.

La réponse rapide du Conseil des Délégués à la lettre, qui s'est plaint que "l'expression de nos griefs en public sape la force de notre communauté", se situe quelque part entre l'étrange et le tyrannique, en particulier pour une organisation qui prétend être une tente large et démocratique. Il a même été rapporté que les signataires de la lettre faisaient l'objet d'une action disciplinaire. 

Il s'agit là d'une approche dépassée, selon laquelle tous les désaccords doivent être réglés au sein de la communauté, afin d'éviter de laver le linge sale en public. Elle suggère également que tous les représentants des communautés juives sont obligés de toujours soutenir les politiques israéliennes, au moins en public, même si elles vont à l'encontre de ce qu'ils croient être juste pour Israël et pour leurs propres communautés.

Pour parler franchement, la lettre, aussi importante soit-elle, n'était pas une attaque enragée contre le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Il s'agissait d'une critique mesurée et factuelle d'un gouvernement qui a violé un accord de cessez-le-feu et qui a une fois de plus déchaîné sa puissance militaire, sans faire de différence, ou presque, entre les militants du Hamas et les civils.

Des centaines de milliers d'Israéliens, si ce n'est plus, auraient apposé leur signature à cette lettre s'ils en avaient eu la possibilité. Les signataires ont déclaré que "la tendance à détourner les yeux est forte, car ce qui se passe est insupportable, mais nos valeurs juives nous obligent à nous lever et à nous exprimer", ce qui constitue une preuve de courage face aux tueries et à la dévastation incessantes qui sont déclenchées au nom des arrière-pensées de Netanyahou, et non pour le bien du pays et de son peuple. 

Soutenir que la raison du retour à la guerre avait plus à voir avec le maintien de la coalition de Netanyahou, qui a cédé aux souhaits du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, dans le but de faciliter le retour de son parti au gouvernement, est une opinion légitime que beaucoup d'entre nous partagent avec ceux qui ont écrit cette lettre.

Israël ne peut exiger un soutien aveugle, voire un soutien tout court, s'il se comporte en violation du droit international.  Yossi Mekelberg

Les auteurs ont-ils été réprimandés par leur organisation parce que d'autres en son sein ne sont pas d'accord avec eux, ou parce qu'ils craignent d'être considérés comme désunis ? Qu'est-ce qui doit primer ? Une fausse démonstration d'unité ? Ou une déclaration des membres d'une communauté pluraliste reconnaissant qu'au moins certains d'entre eux sont indignés par le fait que le maintien de Netanyahou au pouvoir se fait au détriment de tant de vies, et continue de priver plus de 2 millions de Palestiniens de nourriture, de fournitures médicales et de carburant, tout en condamnant davantage d'innocents à la mort et à la souffrance, y compris les otages israéliens ?

Affirmer, comme le fait la lettre, que "le plus extrémiste des gouvernements israéliens encourage ouvertement la violence contre les Palestiniens en Cisjordanie, étrangle l'économie palestinienne et construit plus de nouvelles colonies que jamais" est une chose qui fait l'objet d'un consensus international, y compris au sein du gouvernement britannique. La diffusion publique de cette déclaration, malgré l'absence de consensus au sein de la communauté juive, reflète une saine diversité d'opinions. C'est ce qui rend la lettre encore plus significative que son contenu même.

Michael Wegier, directeur général du Board of Deputies, a déclaré que "porter le débat légitime et souvent douloureux au sein de notre communauté dans les pages des lettres des journaux nationaux et semer la confusion sur la position de la communauté dans son ensemble est un précédent dangereux et à courte vue". Cette réponse reflète une vision très étroite d'une communauté au sein d'une société et de la liberté d'exprimer une opinion sans être réduit au silence.
L'une des nombreuses caractéristiques attachantes des communautés juives du monde entier est qu'elles sont intrinsèquement pluralistes et qu'il leur est difficile d'être d'accord sur presque tous les sujets. 

La plupart d'entre elles aiment Israël, se soucient de sa sécurité et de sa prospérité, et ont été unies dans une profonde tristesse et un grand chagrin face à l'horrible massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas. En ce moment de tragédie collective, toutes les communautés juives ont exprimé leur horreur et ont apporté un soutien sans équivoque à Israël dans les heures les plus sombres de son histoire. Mais compte tenu de la conduite de l'armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie, qui est à la fois moralement indéfendable et qui, aux yeux de beaucoup, compromet et menace la survie à long terme d'Israël, certains au sein de la communauté sont prêts à se lever et à se faire entendre dans une opposition amicale.

Ils sont prêts à le faire parce que les actions d'Israël sont en conflit avec leurs propres valeurs et ce qu'ils croient être bon pour les deux parties, mais aussi parce que cela affecte les communautés juives de la diaspora. Il va sans dire qu'aucune manifestation d'antisémitisme, ni d'islamophobie, ne peut jamais être justifiée ou excusée, même de loin, et il y a ces soi-disant activistes pro-palestiniens sans cervelle qui exploitent la guerre à Gaza pour déchaîner leur propre haine des Juifs. Lorsque cela se produit, c'est aux organisations chargées de l'application de la loi de s'en occuper. Mais cela ne peut pas non plus être une raison pour les communautés juives de faire taire les voix qui critiquent Israël.
Soixante-dix-sept ans après la création de l'État juif, ses relations avec les communautés juives du monde entier ont évolué. Israël ne peut exiger un soutien aveugle, voire un soutien tout court, s'il se comporte en violation du droit international et du droit humanitaire international ou, comme l'indique clairement la lettre des membres de l'organisation britannique, en violation des valeurs et de la morale juives.

L'affinité naturelle entre Israël et la communauté juive de la diaspora ne fait aucun doute. Mais elle ne doit en aucun cas être confondue avec un acquiescement automatique aux politiques des gouvernements israéliens. Il y a une existence juive en Israël et une autre en dehors, et aucune n'est supérieure à l'autre. 

Un gouvernement israélien qui voudrait bénéficier du soutien total de tous les Juifs du monde doit le mériter. Le gouvernement actuel, dans ses tentatives de démolir à la fois le système démocratique en Israël et toute chance de paix et de réconciliation avec les Palestiniens, n'a rien fait pour mériter ce soutien total.

- Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House.
X : @YMekelberg

Clause de non-responsabilité : les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.  

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com