Le président tunisien Kaïs Saïed devrait s’en tenir à son plan

Le président tunisien, Kaïs Saïed (Photo, Reuters).
Le président tunisien, Kaïs Saïed (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 13 avril 2022

Le président tunisien Kaïs Saïed devrait s’en tenir à son plan

Le président tunisien Kaïs Saïed devrait s’en tenir à son plan
  • Le président tunisien s’apprête à lancer un dialogue national qui, selon lui, mettra fin au système post-Ben Ali
  • «Le dialogue national en Tunisie n’inclura pas ceux qui ont voulu renverser le gouvernement», prévient-il

Lorsque la Tunisie est mentionnée dans les médias occidentaux, c’est généralement pour évoquer le 25 juillet 2021, lorsque le peuple s’est révolté contre le parti des Frères musulmans, Ennahdha, afin de dénoncer son incompétence, sa corruption et les crimes perpétrés contre des Tunisiens innocents.
À l’époque, j’avais écrit que l’intervention rapide du président tunisien, Kaïs Saïed, pour répondre aux demandes de son peuple – en annonçant des mesures correctives strictes pour mettre fin au chaos structurel et empêcher une éventuelle guerre civile – était admirable. Le président a fait tomber le rideau sur le dernier acte d’atroces joueurs qui se sont servis de slogans religieux pour piller tout un pays. «De sérieux défis se posent, alors que la Tunisie est en quête d’un nouveau gouvernement pour servir les intérêts du peuple et sortir le pays d’une décennie d’instabilité sous le joug d’Ennahdha», peut-on lire sur mon article.
Que s’est-il passé depuis? La Tunisie est-elle plus sûre qu’avant? Certainement. Fermer la porte aux Frères musulmans, qui ont fait des ravages et volé les richesses publiques de l’État, était une étape positive vers un avenir laïc plus brillant. Mais ce n’est pas suffisant.
À la fin du mois dernier, la Tunisie est entrée dans une nouvelle phase d’instabilité politique lorsque le président a publié un décret pour dissoudre le Parlement, suspendu depuis l'année dernière. Cette action est intervenue en réponse à une initiative de plus de cent membres du Parlement tunisien, qui contestaient la décision qu’il avait prise huit mois auparavant de geler ses activités.
Kaïs Saïed a qualifié leur session parlementaire en ligne et leur vote considérant son décret sur les mesures extraordinaires comme nul et non avenu de «tentative de coup d’État ratée». Par ailleurs, il s’est engagé à traduire ces députés en justice pour avoir enfreint la loi. Dans un discours enregistré, il a réitéré sa promesse d’empêcher les agresseurs de poursuivre leur offensive contre son pays. «Tunisiennes et Tunisiens, vous devez vous sentir en sécurité. Soyez sûr(e)s que les institutions de l’État sont actives et qu’il y a une nation prête à les protéger contre ceux qui travaillent en groupe et non en tant qu’État», a-t-il déclaré.
L’ancien professeur de droit justifie sa décision en s’appuyant sur l’article 72 de la Constitution tunisienne de 2014, qui stipule que «le président de la République est le chef de l’État et le symbole de son unité. Il garantit son indépendance et sa continuité, en plus de veiller au respect de la Constitution.»
En janvier, M. Saïed a fait part d’une feuille de route politique pour mettre fin à la crise au sein du pays. Elle comprenait la formation d’un comité pour réécrire la Constitution, organiser un référendum le 25 juillet pour l’approuver, puis garantir la tenue des élections législatives le 17 décembre.
Si le président tunisien est attaché à sa feuille de route, la dissolution du Parlement dont les activités sont gelées n’affectera pas la voie politique réformée de ce pays d’Afrique du Nord en difficulté. Cependant, le parti Ennahdha des Frères musulmans, le plus grand bloc politique au Parlement, dont le leader, Rached Ghannouchi, était président du Parlement, n’acceptera pas d’être le grand perdant de cette manœuvre politique. M. Ghannouchi a fermement rejeté le décret présidentiel, le considérant à la fois comme le prélude à un démantèlement général de l’État et une nouvelle violation constitutionnelle.

«Fermer la porte aux Frères musulmans, qui ont fait des ravages et volé les richesses publiques de l’État, était une étape positive vers un avenir laïc plus brillant.» - Dalia al-Aqidi

D’autre part, la puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT) soutient les mesures de Kaïs Saïed, selon un communiqué publié le mois dernier, qui a donné au président une plus grande confiance pour continuer à aller de l’avant. «La dissolution du Parlement donne la possibilité de restaurer la confiance et de rassurer le peuple afin de rectifier le tir», peut-on lire sur le communiqué de l’Union, qui accuse «les partis influents au Parlement» d’intimider et de diviser la Tunisie avec le soutien des régimes étrangers.
Le président tunisien s’apprête à lancer un dialogue national qui, selon lui, mettra fin au système qui a vu le jour après la chute de l’ancien président, Zine el-Abidine ben Ali. Les Frères musulmans ne sont pas conviés à y participer. «Le dialogue national en Tunisie n’inclura pas ceux qui ont voulu renverser le gouvernement, pillé les ressources de l'État et tenté violemment de diviser notre peuple», prévient-il.
Alors que le pays est au bord du désastre économique et du gouffre politique, M. Saïed n’a pour seul choix que de tenir son engagement à mettre fin à l’ère du fascisme politique islamiste et de garantir le progrès de la Tunisie vers la construction d’un pays démocratique et libre.
Tous ceux qui sont attachés à la liberté et aux droits de l’homme viendront en aide au peuple tunisien pour empêcher une catastrophe historique qui pourrait le ramener plusieurs siècles en arrière. Tout ce que Kaïs Saïed doit faire, c’est de s’en tenir à son plan.

Dalia al-Aqidi est chercheure principale au Center for Security Policy. Twitter: @DaliaAlAqidi
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com