Neuf gouvernements en dix ans. La pire performance en matière de lutte contre la Covid-19 dans toute la région. Une économie en déclin. Tel est l'héritage du «Printemps arabe» en Tunisie. Il ne faut donc pas s'étonner si des milliers de Tunisiens ont soutenu leur président, Kaïs Saïed, lorsqu'il a envoyé, le mois dernier, un char d'assaut pour bloquer les portes du Parlement; les Tunisiens sont lassés du régime autoritaire.
Par cette mesure, Saïed cherchait à rétablir l'ordre dans le Parlement chaotique de cette jeune démocratie. Propulsé au pouvoir après l'effondrement de l'État sécuritaire dirigé par Zine el-Abidine ben Ali, le parti Ennahdha a régné pendant dix ans. Il n'est toutefois pas parvenu à améliorer la vie des Tunisiens, qui scandent encore et toujours «travail, liberté et dignité».
Ce professeur de droit constitutionnel converti en homme fort a su profiter de sa simplicité pour séduire les électeurs et rassurer les Tunisiens sur ses ambitions. Celui qui a la réputation de ne jamais déjeuner dans le palais présidentiel – et qui préfère rompre le pain avec sa femme à la maison – apparaît comme une bouffée d'air frais dans un contexte politique où les gens aspirent à se mettre sous les feux de la rampe, eux qui ont été opprimés depuis si longtemps.
Les Tunisiens espéraient certes que ce nouveau régime mettrait fin au clientélisme qui régnait sous Ben Ali, mais les indices de corruption ne cessent de grimper dans le pays. La corruption systémique qui sévit dans les administrations publiques et dans les douanes ainsi que la législation désuète de la Tunisie sapent une économie déjà chancelante. Les entreprises étrangères cherchent toujours à fuir le pays et, après les derniers événements, l'État tente de maintenir le statu quo en soumettant tous les directeurs d'entreprise à des restrictions de voyage.
Avec une inflation galopante et un chômage endémique, la dette publique de la Tunisie est passée à 80% du produit intérieur brut (PIB). En limogeant le Premier ministre et en suspendant le Parlement, M. Saïed a admis que l'économie du pays requérait des mesures d'urgence. À ce jour, il n'a pas encore défini de politique économique de grande envergure ni expliqué comment il comptait financer le déficit public et le remboursement de la dette.
Pour sortir du gouffre, l'ancien gouvernement s'est tourné cette année vers le Fonds monétaire international (FMI) pour acquitter les dettes de la Tunisie, pour la quatrième fois en dix ans. En raison de la crise politique, les discussions avec le FMI ont été interrompues.
À ce jour, le président n'a pas encore défini de politique économique de grande envergure ni expliqué comment il comptait financer le déficit public et le remboursement de la dette.
Zaid M. Belbagi
L'économie, qui s'est contractée de près de 10% l'année dernière, n'a pas empêché la Tunisie de rembourser plus d'un milliard de dollars de dettes (1 dollar = 0,86 euro) cet été en puisant dans ses réserves précieuses de devises étrangères. Par ailleurs, le pays doit débourser d’urgence 5 milliards de dollars supplémentaires non seulement pour couvrir le déficit budgétaire prévu, mais aussi pour rembourser d'autres prêts.
Le secteur public surdimensionné de la Tunisie continue de peser lourdement sur son économie. En effet, on estime à 5, 6 milliards de dollars les salaires des 700 000 fonctionnaires que compte le pays, ce qui absorbe 70% des finances de l'État. Le nombre de fonctionnaires a augmenté au fil des ans. Il a doublé depuis la révolution. Les emplois dans le secteur public ont permis aux gouvernements successifs de calmer le mécontentement de la population. En raison du niveau élevé de l'absentéisme des agents du service public, préserver cette hiérarchie délabrée suscitera la controverse, notamment dans ce contexte de crise économique nationale. Le secteur public est désormais synonyme de corruption.
La pandémie n'a fait qu'exacerber la situation. Elle a propulsé 500 000 Tunisiens supplémentaires sous le seuil de pauvreté et porté le taux de chômage à près de 20%. En effet, le Parlement en place doit examiner l'introduction d'une nouvelle loi pour combler le déficit budgétaire grandissant de la Tunisie. Il est donc indispensable que la prise de pouvoir de M. Saïed soit suivie par une prolongation de la période de fonctionnement du gouvernement. Sinon, le pays ne pourra sortir ni de l'instabilité politique ni de la stagnation économique.
En effet, cette instabilité politique a affaibli les exportations de la Tunisie. Le pays devient donc de plus en plus dépendant de l'aide étrangère. Les industries du phosphate, du pétrole et du gaz sont peu performantes par manque d'investissements et à cause de la corruption. Les faibles revenus générés par les industries du sel et de la production agricole ne suffisent pas à tirer le pays de sa crise économique.
Dans ce contexte, la situation ne peut être dénouée sans qu'une feuille de route économique claire soit établie. Comme M. Saïed dirige le pays par décret et qu'il a prolongé la suspension du Parlement, les Tunisiens continueront de manifester. Il ne fait pas de doute que ces derniers sont actuellement favorables, pour la plupart, à la prise du pouvoir par M. Saïed. Toutefois, ce dernier se trouve de plus en plus isolé sur le plan politique. Ainsi, c'est lui seul qui devra trouver une solution aux problèmes économiques chroniques de la Tunisie à l’ avenir.
Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et un conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid
NDRL: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com