La prudence des États du CCG dans leurs investissements en matière de sécurité alimentaire

La sécurité alimentaire, ou son absence, est l'un des principaux facteurs de conflit dans la région arabe. (AFP)
La sécurité alimentaire, ou son absence, est l'un des principaux facteurs de conflit dans la région arabe. (AFP)
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Publié le Samedi 18 janvier 2025

La prudence des États du CCG dans leurs investissements en matière de sécurité alimentaire

La prudence des États du CCG dans leurs investissements en matière de sécurité alimentaire
  • La croissance démographique n'est pas la seule cause d'inquiétude pour l'approvisionnement alimentaire dans le CCG. Le Golfe se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale.
  • Environ 85 % des denrées alimentaires dans les États du CCG proviennent de l'extérieur, dont 90 % des céréales et près de 100 % du riz.

Au cours des trois dernières décennies, la population des États du Conseil de coopération du Golfe a plus que doublé, passant de 26 millions d'habitants en 1995 à 57 millions en 2022. Alors que l'économie régionale s'est transformée et diversifiée ces dernières années, un nombre croissant d'expatriés ont émigré dans le Golfe à la recherche d'un avenir meilleur. Si ce boom démographique est de bon augure pour l'économie, il a contraint les décideurs politiques et les entrepreneurs à se pencher sur la question de la sécurité alimentaire dans la région.

La croissance démographique n'est pas la seule cause d'inquiétude pour l'approvisionnement alimentaire dans le CCG. Le Golfe se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale et le changement climatique a contraint la région à faire face à la désertification, à la pénurie d'eau et à la perte de biodiversité. Ces problèmes s'ajoutent à ceux qui caractérisent la région, à savoir la rareté des terres arables et des ressources en eau, qui limitent sa capacité à produire des denrées alimentaires.

La production agricole étant ainsi limitée, la région dépend largement de l'importation de produits alimentaires. Environ 85 % des denrées alimentaires dans les États du CCG proviennent de l'extérieur, dont 90 % des céréales et près de 100 % du riz. Cette dépendance a rendu la chaîne d'approvisionnement alimentaire régionale particulièrement vulnérable aux perturbations causées par les conflits géopolitiques et le changement climatique.

Les États du Golfe se sont attaqués de front à l'insécurité alimentaire et, malgré leurs difficultés géographiques, ils se classent régulièrement parmi les premières nations du monde en termes de sécurité alimentaire. Selon l'indice mondial de sécurité alimentaire 2022, les Émirats arabes unis se classent au 23e rang, le Qatar au 30e, Oman au 35e, Bahreïn au 38e, l'Arabie saoudite au 41e et le Koweït au 50e, ce qui en fait les leaders de la région arabe. Les États du CCG investissent activement dans les technologies agricoles, la diversification des sources alimentaires et le renforcement de la coopération régionale afin de réduire la dépendance à l'égard des importations de denrées alimentaires.

Les pays de la région ont tous fait de la sécurité alimentaire une priorité dans leurs visions et programmes nationaux. La Vision 2040 d'Oman vise à augmenter la production alimentaire nationale de 30 % et à réduire la dépendance du pays à l'égard des importations au cours de la prochaine décennie. De même, la stratégie nationale de sécurité alimentaire des Émirats arabes unis vise à atteindre une production agricole locale de 50 % d'ici à 2051. La Vision 2030 de l'Arabie saoudite prévoit un investissement de 10 milliards de dollars dans l'agriculture nationale et la stabilisation de la chaîne d'approvisionnement alimentaire mondiale. La stratégie nationale de Bahreïn encourage également le financement bancaire de la sécurité alimentaire.

L'investissement dans les entreprises agricoles, alimentaires et de boissons locales est une priorité pour la région.                                                                                Zaid M. Belbagi

L'investissement dans les entreprises locales des secteurs agricoles, alimentaires et des boissons constitue une priorité pour la région. Parmi les principaux acteurs régionaux, on retrouve la Oman Food Investment Holding Company (Nitaj), la Bahrain Food Holding Company, ainsi que la Hassad Food et la Zad Holding Company du Qatar, qui jouent un rôle clé dans ce domaine.

Les fonds publics dédiés, tels que le Fonds de développement agricole d'Arabie saoudite, sont également essentiels pour fournir des financements aux agriculteurs locaux, en particulier pour soutenir les cultures de base telles que l'orge, le maïs et le soja afin de réduire la dépendance à l'égard des importations. Le programme de développement agricole rural durable du Royaume vise à stimuler l'autosuffisance dans des secteurs tels que la production de fruits et de café, en soutenant plus de 63 000 projets agricoles dans tout le pays.

En septembre 2023, l'Arabie saoudite a annoncé qu'elle avait atteint l'autosuffisance en matière de produits laitiers frais, de dattes et d'œufs, avec une production excédentaire suffisante pour l'exportation. La production de denrées alimentaires essentielles telles que les pommes de terre, la volaille, les tomates, la viande rouge, les carottes, le poisson et les oignons a également augmenté. La Saudi Agricultural and Livestock Investment Company, une filiale du Fonds d'investissement public, a été un pilier essentiel du parcours de l'Arabie saoudite en matière de sécurité alimentaire.

Au-delà de la nécessité d'assurer l'approvisionnement alimentaire, les efforts visant à améliorer la production alimentaire locale ont également encouragé l'esprit d'entreprise.     Zaid M. Belbagi

Au-delà de la nécessité d'assurer l'approvisionnement alimentaire, les efforts visant à améliorer la production alimentaire locale ont également encouragé l'esprit d'entreprise dans la région. Baladna, au Qatar, en est un exemple significatif. En l'espace de sept ans seulement, elle est passée d'une ferme d'élevage à la plus grande entreprise alimentaire et laitière du Qatar, répondant à plus de 95 % de la demande de produits laitiers frais du pays. Almarai, en Arabie saoudite, est également une réussite notable dans l'effort de production laitière de la région.

Les entrepreneurs locaux libèrent également leur potentiel créatif dans le secteur des technologies alimentaires. Camelicious, une entreprise de production de lait de chamelle basée aux Émirats arabes unis, la première du genre, a commercialisé du lait de chamelle et des produits laitiers pour répondre aux besoins locaux et internationaux. Plusieurs entreprises régionales investissent également dans les technologies de culture sous serre pour améliorer le rendement des cultures, dans le dessalement de l'eau de mer pour une irrigation efficace, et dans l'utilisation de l'intelligence artificielle et de la robotique pour l'agriculture.

Malgré ces efforts, l'agriculture du CCG restera confrontée aux températures rigoureuses de la région, au manque d'eau pour l'irrigation et à la rareté des terres arables. La production de cultures gourmandes en eau, telles que le riz, le blé et la canne à sucre, ainsi que de divers légumes sensibles aux températures élevées, constitue un défi particulier.

Mais la région a trouvé une opportunité au milieu de la crise car, par le biais de programmes de sécurité alimentaire, les États du Golfe investissent dans la recherche scientifique et les technologies les plus récentes, améliorent les compétences de la main-d'œuvre locale, stimulent l'esprit d'entreprise et réduisent la dépendance à l'égard des fournisseurs extérieurs. Ces efforts permettent non seulement de garantir l'accès de la région aux produits alimentaires de base, mais aussi de créer d'importantes opportunités d'emploi.

Au cours d'une décennie marquée par l'évolution du Golfe vers une politique étrangère indépendante et stratégique, l'amélioration de la production alimentaire locale s'inscrit parmi les efforts de la région pour atteindre l'autosuffisance et répondre aux besoins croissants de sa population. Au cours des cinq dernières années, la communauté internationale a fait face à une pandémie, à divers conflits régionaux et à une inflation sans précédent, des facteurs qui ont mis à l'épreuve la chaîne d'approvisionnement mondiale. Dans ce contexte, les États du Golfe reconnaissent la nécessité d'investir de manière stratégique et proactive dans les capacités agricoles locales. Comme l'a souligné le célèbre restaurateur hispano-américain José Andrés, « la nourriture est la sécurité nationale, la nourriture est l'économie, elle est l'emploi, l'énergie, l'histoire. L'alimentation, c'est tout ».

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG. 
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com