Pendant plus d'une décennie, la Syrie a été isolée du monde arabe et du paysage politique régional. À la suite de la réponse brutale de l'ancien président Bachar el-Assad aux soulèvements arabes de 2011, la Ligue arabe a suspendu l'adhésion de la Syrie. Au fil des ans, les sanctions occidentales et arabes à l'encontre du pays se sont renforcées, plongeant ce dernier dans un bourbier économique. Pourtant, le régime d'Assad a survécu – en grande partie grâce au soutien de la Russie et de l'Iran – et plusieurs tentatives politiques et militaires visant à le renverser ont échoué. Assad a également mené la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe en 2023.
Compte tenu de la résistance du régime d'Assad, son éviction lors d'une brusque offensive menée par Hayat Tahrir al-Cham à la fin de l'année dernière a laissé la communauté internationale perplexe. Au début du mois de décembre, son régime s'est effondré et a déclenché une trajectoire politique dont les implications pour la Syrie et l'ensemble de la région restent à déterminer.
Ahmad al-Charaa est devenu le président intérimaire de la République arabe syrienne. Depuis son accession au pouvoir, il a entamé une série de visites diplomatiques auprès des dirigeants du Golfe, soulignant ainsi ses efforts pour repositionner stratégiquement la Syrie au sein du monde arabe. Notamment, la première visite d'Al-Charaa a été à Riyad, où il a rencontré le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Ce déplacement n'était pas une coïncidence: Al-Charaa reconnaît l'influence de l'Arabie saoudite et son rôle central dans la politique régionale, ainsi que son rôle dans le financement de la reconstruction de la Syrie.
Parallèlement, l'émir qatari Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani est devenu le mois dernier le premier chef d'État à se rendre à Damas depuis la chute d'Assad. Doha a également accueilli le nouveau ministre syrien des Affaires étrangères, Asaad al-Chibani, qui a souligné que la nouvelle administration de Damas poursuivrait des politiques étrangères distinctes de celles de l'ancien régime.
Les Émirats arabes unis semblent adopter une position plus prudente. Anwar Gargash, conseiller diplomatique du président émirati, a fait part de ses inquiétudes concernant HTC en raison des liens qu'il perçoit avec Al-Qaïda et les Frères musulmans. Malgré cette prudence, les Émirats arabes unis ont manifesté leur soutien à la réintégration de la Syrie dans le monde arabe. Le président Cheikh Mohammed ben Zayed al-Nahyane s'est récemment entretenu avec Al-Charaa, discutant des moyens de renforcer les liens bilatéraux et réaffirmant le soutien des Émirats à l'indépendance et à la souveraineté territoriale de la Syrie.
Après sa visite en Arabie saoudite, Al-Charaa s'est rendu en Turquie pour rencontrer le président Recep Tayyip Erdogan. Les deux dirigeants ont discuté de la coopération en matière de sécurité, en particulier des combattants kurdes dans le nord-est de la Syrie, et de l'instabilité régionale. La principale préoccupation de la Turquie reste le démantèlement des Forces démocratiques syriennes, qu'Ankara considère comme une extension du PKK. Le leadership d'Al-Charaa et son alignement sur les forces anti-Assad en font un allié de poids pour la Turquie, qui a soutenu des groupes d'opposition visant à renverser le régime d'Assad.
Al-Charaa a entrepris une série de visites, soulignant ses efforts pour repositionner stratégiquement la Syrie dans le monde arabe.
Zaid M. Belbagi
Les relations entre la Syrie et le Liban étaient, jusqu'à récemment, caractérisées par l'hostilité et la méfiance. Des années de tensions, largement alimentées par les liens étroits du Hezbollah avec l'Iran et son rôle dans le soutien au régime Assad pendant la guerre civile syrienne, ont encore creusé le fossé. La frontière libano-syrienne est devenue une plaque tournante du commerce illicite, notamment de la contrebande de captagon, et la crise des réfugiés syriens a exacerbé l'instabilité politique au Liban. Cependant, sous la direction d'Al-Charaa, un changement est en cours.
Lors d'une réunion historique, le Premier ministre libanais par intérim Najib Mikati s'est rendu à Damas le mois dernier – la première visite de ce type depuis le début de la guerre civile en 2011. Al-Charaa a déclaré: «Il y aura des relations stratégiques à long terme entre nous et le Liban. Le Liban et nous avons de grands intérêts communs. Les deux dirigeants se sont mis d'accord sur la formation d'un comité conjoint chargé de délimiter les frontières terrestres et maritimes.»
De même, sous la direction d'Assad, Damas a joué un rôle déstabilisateur en Irak, en particulier au lendemain de l'invasion américaine de 2003. Le gouvernement syrien a été accusé de permettre aux combattants extrémistes et aux insurgés de passer en Irak. La situation s'est encore compliquée avec l'émergence de Daech, dont les attaques transfrontalières ont aggravé les problèmes de sécurité des deux côtés.
L'arrivée au pouvoir d'Al-Charaa n'a guère contribué à apaiser les tensions. Les responsables irakiens, en particulier ceux liés aux factions soutenues par l'Iran, se méfiaient des liens entre les nouveaux dirigeants syriens et les groupes extrémistes. L'Irak a réagi en renforçant les contrôles aux frontières et en maintenant une présence militaire. Toutefois, il a progressivement modifié sa position, passant d'une franche hostilité à une approche plus pragmatique. Depuis, les dirigeants irakiens ont mis l'accent sur le respect de la souveraineté et de la stabilité de la Syrie, tout en reconnaissant le droit des Syriens à déterminer leur avenir politique.
La Syrie se trouve à un moment décisif de son histoire. Après des années de conflit et d'isolement, elle réapparaît prudemment sur la scène régionale grâce à des efforts de communication diplomatique. Mais la voie à suivre reste incertaine. Al-Charaa a clairement indiqué que la transition de la Syrie ne serait pas immédiate, déclarant que les élections présidentielles pourraient prendre quatre à cinq ans avant de se concrétiser. Ces années seront difficiles, non seulement pour la Syrie, mais aussi pour l'ensemble de la région.
Avec Al-Charaa au pouvoir, la Syrie réévaluera ses anciens ennemis comme ses alliés afin d'établir des relations conformes aux réalités géopolitiques actuelles du Moyen-Orient. Ce nouveau calcul est également nécessaire à un moment où la Syrie a besoin de tout le soutien international possible pour sa reconstruction.
La multiplication des réunions diplomatiques au cours du premier mois d'existence du nouveau gouvernement témoigne de la volonté des partenaires régionaux de stabiliser la Syrie, compte tenu de son impact considérable sur la sécurité et les mouvements de réfugiés dans la région, à un moment où elle est impliquée dans un conflit. Le poids géopolitique de la Syrie est indéniable, car elle partage ses frontières avec la Turquie, le Liban, l'Irak et la Jordanie – des États qui ont subi les conséquences de la politique d'Assad et de l'instabilité prolongée de la Syrie.
La reconstruction de la Syrie et la promotion de la stabilité nécessiteront plus que des déclarations et des visites diplomatiques. Les jours et les semaines à venir seront marqués par des négociations complexes sur les différends territoriaux, la mise en place de structures politiques, la reconstruction de l'économie syrienne, la lutte contre la contrebande et la réintégration des réfugiés syriens. Les accords bilatéraux, la coopération régionale et l'assistance économique seront essentiels pour garantir que la Syrie ne soit pas seulement réintégrée dans la région, mais aussi transformée en un phare de stabilité et de croissance.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe.
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com