Une quatrième élection à la Knesset israélienne en moins de deux ans a été évitée à la toute dernière minute… mais seulement pour le moment. Les graines de la prochaine crise politique - et avec elles la possible dissolution du Parlement israélien et la fin de la coalition actuelle entre le Likoud et le parti Bleu Blanc - ont déjà été semées la semaine dernière par la résolution du dernier conflit au sommet du pouvoir.
Plus précisément, le prochain acte du bras de fer entre Benjamin Netanyahu et Benny Gantz a été fixé au 23 décembre, date à laquelle expirera la prolongation du délai fixé pour le budget. La Knesset a en effet approuvé un projet de loi visant à retarder de cent jours supplémentaires l’adoption d’un budget de l’Etat. Cependant, la querelle sur le budget n'était qu'une excuse pour le Premier Ministre Benjamin Netanyahu et ses remplaçants pour déclencher une crise avec son partenaire de coalition. Qu'il s'agisse du budget ou de tout autre problème qui pourrait surgir dans les prochains mois, ils sont tous secondaires par rapport aux soucis primordiaux de Netanyahu, qui sont de se maintenir au pouvoir, d'éviter toute nouvelle enquête sur les allégations de corruption à son encontre et, plus important encore, de faire échouer le procès pour corruption dont il fait actuellement l’objet.
À l'approche de la date de la passation de pouvoir de Netanyahu à Benny Gantz conformément à leur accord de coalition, nous pouvons être certains que le nombre de crises tant réelles qu'artificielles augmentera, pour s’assurer que l'accord de rotation à la tête du gouvernement ne sera jamais respecté, même si cela risque d’engendrer de nouvelles élections.
Dans la mesure où le gouvernement actuel a prêté serment il y a seulement un peu plus de trois mois, l'hostilité entre les deux principaux partenaires ainsi que les constantes querelles et surenchères orchestrées par Netanyahu témoignent de son intention dès le départ de ne jamais laisser le gouvernement ou l'un de ses ministres prendre la relève. Pour le Premier ministre, sa famille proche et ses partenaires politiques, le seul moyen de rester au pouvoir est de ne pas respecter la loi et de constamment perturber le processus politique et/ou la société israélienne, tout en n’accordant à ses rivaux politiques aucun répit ou certitudes.
Dérouter, retarder, mentir, inciter et manipuler sont devenus les principaux outils de Netanyahu pour s'accrocher au pouvoir, et Gantz lui-même perd petit à petit ses illusions - ou, plus précisément l’illusion que le présent accord de rotation sera respecté et qu'il sera bien Premier ministre d'ici la fin de l’année 2021. Cependant, sa décision désastreuse de participer au gouvernement de coalition, contre l’avis de tous et dans une démarche qui a scindé son parti en deux, l’expose désormais aux caprices, voire au mépris de Netanyahu, le laissant avec peu de cartes en main pour se défendre.
Les relations entre ces deux personnalités ont un impact négatif sur la gouvernance quotidienne du pays et nombre de questions cruciales. Rares sont ceux qui pourraient ne pas s’accorder sur le fait que la récente normalisation des relations avec les Emirats arabes unis était un tour de force destiné à redorer la stature d’homme d’Etat de Netanyahu, qui a préféré garder à l’écart des négociations deux importants ministres - le ministre de la Défense Gantz et le ministre des Affaires Etrangères Gabi Ashkenazi, à la manière d’un petit politicien mesquin qui tient à garder tous les honneurs pour lui.
L'argument selon lequel il ne pouvait pas faire confiance à ses deux plus importants ministres sur la décision diplomatique la plus importante depuis près d’une génération, prétextant que s’il les avait tenus informés, la nouvelle aurait pu fuiter auprès de l’Iran, devrait inquiéter tous les citoyens
Ses déclarations à un journal israélien ont révélé plus encore sa petitesse d'esprit : « Les mettre au courant ? Je travaille là-dessus depuis des années. Ils sont ici depuis deux mois ». Comme si la durée de leur présence au gouvernement comptait plus que l’importance de leur poste. Il n’y a guère de personnalités plus qualifiées dans ce type de circonstances que des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, en raison des implications diplomatiques et sécuritaires d’un accord aussi exceptionnel.
Pire encore, si Netanyahu ne peut être certain que des informations sensibles ne seront pas divulguées par deux collègues qui sont au courant de certains des secrets les mieux gardés du pays, il est clairement irresponsable de sa part de les garder à leur poste. Mais, bien sûr, la décision de Netanyahu n’était pas motivée par des questions sécuritaires (Gantz et Ashkenazi ont tous deux occupé le poste de chef d'état-major des Forces de défense israéliennes), mais était plutôt une manifestation de son égo paranoïaque, qui exige que tous les lauriers lui reviennent.
Dans sa tentative d'échapper à une condamnation pénale, le Premier ministre est prêt à sacrifier la bonne gouvernance et les processus de décision rationnels. Il préfère plutôt travailler avec ceux qui lui sont personnellement redevables. La question de la normalisation était d’ailleurs une autre occasion de rabaisser ses partenaires de la coalition, qu’il craint comme rivaux, au risque de compromettre la confiance des Israéliens en deux personnes qui dirigent les ministères les plus sensibles au niveau de la sécurité de l’État. Lorsque le moment sera venu de céder le poste de Premier ministre, cette méfiance montée de toutes pièces deviendra une énième excuse pour rompre l'accord de rotation.
Le projet de loi budgétaire a été l'occasion pour le parti Bleu Blanc de se repositionner, après avoir été écarté du processus de normalisation avec les EAU. Pour une fois, Gantz n’y a pas été par quatre chemins, en dénonçant le bluff de Netanyahu à propos d'une autre élection et en refusant d'accepter un budget d'un an au lieu de deux ans prévus par l'accord de coalition. Un budget d’un an serait en effet plus facile à manipuler pour le parti de Netanyahu.
Le fait de ne pas adopter un projet de loi budgétaire au 25 août aurait signifié la dissolution automatique de la Knesset, ce qui aurait permis au Premier ministre de dissoudre la Knesset à un moment opportun, l’arrangeant par rapport à l’évolution de son procès pour fraude, corruption et abus de confiance, et peu avant la remise imminente de la remise du pouvoir à Gantz. Effrayer le parti Bleu Blanc avec la perspective d'une élection, dans laquelle, en tant que parti divisé, il pouvait s'attendre à perdre de nombreux sièges, n'était qu'une tentative grossière de Netanyahu de revenir sur son accord de ne pas interférer dans les nominations du prochain procureur et procureur général - deux postes qui pourraient avoir une influence cruciale sur son procès.
Personne ne s'attendait à ce que le gouvernement de coalition actuel soit harmonieux mais, à un moment où la pandémie de coronavirus continue de se propager, la situation est grave. Un cinquième de la main-d'œuvre est au chômage et les citoyens israéliens font face à la brutalité policière alors qu'ils protestent dans les rues contre un Premier ministre qui a depuis longtemps perdu sa dignité, son intégrité et tout sentiment de honte. Le pays ne peut pas se permettre que ses instances dirigeantes transforment ses affaires en une mascarade tragique et injurieuse.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent University de Londres où il dirige le Programme des Relations Internationales et des Sciences Sociales. Il est professeur associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias écrits et en ligne.
Twitter : @Ymekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com