Une fois de plus – et hélas probablement pas la dernière fois –, Jérusalem est devenue le centre du conflit israélo-palestinien dans sa manifestation la plus dure et la plus violente, menaçant également d’embraser le reste de la Cisjordanie, Gaza et les relations entre Juifs et Arabes en Israël.
Dire que la situation à Jérusalem a longtemps été une poudrière, à deux doigts d’exploser, serait un énorme euphémisme. Au cours des dernières semaines, la flambée de violence dans cette Ville sainte a été due à plusieurs problèmes, aggravant une situation déjà insoutenable et instable. Jérusalem est un microcosme de ce conflit séculaire entre Israéliens et Palestiniens et, dans une ville aussi densément peuplée, tous ses symboles et zones de friction sont concentrés dans un espace relativement restreint.
Les scènes d’affrontements entre les forces de sécurité israéliennes et des fidèles de Haram al-Sharif, faisant des centaines de blessés palestiniens – dont beaucoup gravement – et des dizaines de policiers israéliens, sont une source de grave préoccupation et pourraient rapidement conduire à de nouvelles escalades.
À la situation globale d’impasse politique dans les relations entre Israéliens et Palestiniens, à l’enracinement de l’occupation de la Cisjordanie et du blocus de Gaza, au paysage politique chaotique et de plus en plus dysfonctionnel des deux côtés de la Ligne verte et au sentiment général de désespoir parmi les Palestiniens sont venues s’ajouter, pour faire bonne mesure, les tensions religieuses et nationalistes croissantes à Jérusalem.
Mais, plutôt que de réagir avec le soin, la prudence et la sensibilité nécessaires, c'est le contraire qui s'est produit, et le gouvernement israélien et son appareil répressif doivent assumer la plus grande part de responsabilité.
Cela ne signifie en aucune façon qu’aucun élément au sein du système politique et de la société palestinienne n’a intérêt à enflammer la situation, y voyant l’unique moyen de sortir de l’impasse, ou pour consolider un positionnement politique intérieur ou en raison d’une idéologie nationaliste et/ou religieuse extrême face au conflit. Cependant, depuis des décennies, la politique israélienne à Jérusalem vise à marginaliser et à aliéner les Palestiniens dans leur propre ville, où ils représentent 40 % de la population.
Il va sans dire que la question du timing se pose pour comprendre la flambée de violence actuelle. Le mois sacré du ramadan touche à sa fin et le jour de la commémoration de la Nakba approche à grands pas – deux événements où la ferveur et les sensibilités religieuses et nationalistes sont à leur comble. Et quand, dans cette atmosphère tendue, il y a une menace tangible d’expulsion qui pèse sur 13 ménages palestiniens comptant 300 personnes à Cheikh Jarrah, des actions policières brutales contre les Palestiniens tout au long du ramadan, et que les habitants de Jérusalem-Est sont empêchés de participer aux élections palestiniennes désormais reportées, la recette pour une conflagration est complète.
Il y a également eu un effort continu et concerté de la part des groupes juifs d’extrême droite, avec le soutien tacite et parfois ouvert d’éléments au sein du gouvernement, afin d’envoyer un message clair aux Palestiniens… Au mieux, ils sont tolérés en tant que résidents de seconde zone de la ville.
Il est anormal que les Palestiniens – qui constituent une minorité importante à Jérusalem et vivent sous occupation depuis 1967 dans une ville qui, en violation du droit international, a été officiellement annexée par Israël – soient privés des droits de citoyenneté de leurs voisins juifs. Ils n’ont pas le droit de participer à la vie politique palestinienne et ne peuvent pas non plus voter aux élections générales israéliennes, ce qui non seulement les rend apatrides mais les prive aussi de leur droit de parole sur les questions qui les préoccupent.
La police a d’abord contribué à la chaîne d’événements qui a conduit à cette escalade de violence la plus récente, atteignant une intensité jamais vue depuis au moins 2017. Au début du ramadan, la police a, sans consulter le Waqf islamique de Jérusalem ou l’Autorité palestinienne, installé des barrières pour empêcher les gens de s’asseoir sur la place de la porte de Damas, l’espace public le plus populaire pendant le mois de ramadan. Même s’il ne s’agissait pas d’une tentative délibérée de harceler les Palestiniens pendant leur mois sacré, la nature arbitraire de la décision a certainement laissé cette impression et a donné le ton aux frictions et aux affrontements. Des affrontements qui ont vu les forces de sécurité israéliennes utiliser une force excessive, notamment des canons à eau, des grenades assourdissantes, des balles en caoutchouc et des policiers à cheval.
Des attaques sporadiques de Palestiniens contre des Juifs à Jérusalem – notamment une vidéo d’un adolescent palestinien giflant un jeune Juif ultraorthodoxe dans le métro de la ville devenue virale sur l’application de médias sociaux TikTok – ont exacerbé les tensions. Bien que ces agissements aient été condamnés à juste titre, ils ne peuvent toujours pas justifier leur exploitation cynique par l’extrême droite israélienne, qui s’est lancée dans ses provocations racistes habituelles dans les rues de Jérusalem. Ces personnes se sentent dangereusement libérées après avoir remporté des sièges lors des récentes élections générales, et leur soutien dans les rues ne cesse de croître.
La politique de judaïsation de Jérusalem aux dépens des Palestiniens se retourne contre elle et risque désormais de provoquer un véritable soulèvement.
Yossi Mekelberg
Ces derniers jours, il est de plus en plus évident que la violence à Jérusalem a un impact sur la Cisjordanie et Gaza. Des roquettes et des ballons incendiaires ont été lancés sur Israël, qui a de nouveau riposté par des frappes aériennes, tuant des dizaines de Palestiniens, dont des enfants. Il ne faut pas oublier non plus les manifestations dans le nord du pays de Palestiniens vivant en Israël contre la prise d’assaut de la mosquée Al-Aqsa par les forces israéliennes et les expulsions imminentes de Cheikh Jarrah. Il apparaît clairement que la politique de judaïsation de Jérusalem aux dépens des Palestiniens se retourne contre elle et risque désormais de provoquer un véritable soulèvement.
La leçon à tirer des dernières semaines est que l’impasse dans la résolution du conflit israélo-palestinien et le blocage d’une solution à deux États créent les conditions pour que les éléments les plus extrêmes du conflit prospèrent et déclenchent davantage de souffrance et de misère. Les événements de Jérusalem et la manière dont ils affectent les relations avec le reste des Palestiniens rappellent à Israël qu'occuper la terre d'un peuple et le priver de ses droits humains les plus élémentaires ne peut qu’engendrer de nouvelles hostilités. Par conséquent, il est temps pour le Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies (ONU) et les alliés d’Israël à Washington et à Bruxelles de lui rappeler ses obligations internationales. Il est nécessaire d’appeler toutes les parties à retenir le feu à la fois sur la rhétorique et sur les armes avant que n’éclate un nouveau bain de sang qui pourrait durer des mois, voire des années.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et chercheur associé du programme Mena à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux écrits et électroniques. Twitter: @YMekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com