Netanyahou et le limogeage du chef du Shin Bet

Le gouvernement israélien approuve la proposition de Netanyahou de reconduire Itamar Ben-Gvir au poste de ministre de la Sécurité nationale. (Reuters)
Le gouvernement israélien approuve la proposition de Netanyahou de reconduire Itamar Ben-Gvir au poste de ministre de la Sécurité nationale. (Reuters)
Short Url
Publié le Dimanche 23 mars 2025

Netanyahou et le limogeage du chef du Shin Bet

Netanyahou et le limogeage du chef du Shin Bet
  • le Premier ministre Benjamin Netanyahou a toujours été un homme politique égoïste et manipulateur, pour qui le pays et son peuple ne sont que de simples outils au service de ses ambitions politiques et personnelles.
  • Bar a eu l'intégrité et l'honnêteté d'admettre, presque immédiatement et à l'instar de nombreux commandants militaires, sa responsabilité dans cet échec colossal.

En politique israélienne, il n'y a jamais de répit. Bien que l'annonce du limogeage de Ronen Bar, le chef du Shin Bet (l'un des services de sécurité israéliens), ait été attendue depuis un certain temps, le moment de cette annonce a néanmoins provoqué un certain étonnement.

Derrière l'image qu'il s'est construite de stratège brillant et d'idéologue de droite, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a toujours été un homme politique égoïste et manipulateur, pour qui le pays et son peuple ne sont que de simples outils au service de ses ambitions politiques et personnelles.

Plus lui et ses proches conseillers politiques sont impliqués dans des enquêtes sur des activités illégales, notamment des accusations d'atteinte à la sécurité de l'État, et plus Netanyahou ressent la pression de devoir comparaître devant le tribunal dans son affaire de corruption, plus ses attaques contre les défenseurs du système démocratique deviennent virulentes.

La justification de Netanyahou pour sa décision (qui doit encore être examinée par le tribunal) de limoger Bar, est ce qu'il a expliqué de « méfiance persistante » à l'égard du chef de l'un des services de sécurité les plus importants et puissants du pays. Si Bar n'avait pas été fonctionnaire, il aurait probablement exprimé lui-même sa méfiance envers Netanyahou, son supérieur. Il est évident que la loyauté du chef du Shin Bet doit d'abord aller au pays et à son peuple, et non à son supérieur.

En tant que chef de l'organisation qui n'a pas réussi à éviter les attentats du 7 octobre, aux conséquences si meurtrières, Bar a eu l'intégrité et l'honnêteté d'admettre, presque immédiatement et à l'instar de nombreux commandants militaires, sa responsabilité dans cet échec colossal. Il a juré de quitter son poste avant la fin de son mandat, si la guerre prenait fin et que tous les otages étaient restitués avant cette date. 

Cette déclaration de Bar contraste vivement avec celle de Netanyahou, qui continue de refuser d’assumer sa responsabilité dans l’attaque du 7 octobre, la plus meurtrière jamais perpétrée contre les Israéliens en une seule journée depuis la création du pays. Au lieu de cela, il a rejeté toute la responsabilité sur les forces de sécurité et, de manière honteuse et grotesque, sur ses adversaires personnels et politiques.

En effet, ce qui a particulièrement énervé Netanyahou, le faisant perdre tout jugement et sang-froid, a été la décision du Shin Bet d’ouvrir une enquête, en collaboration avec la police israélienne, sur deux de ses porte-parole et un ancien conseiller stratégique, en raison de liens financiers avec une entité étrangère.

Le premier, Eli Feldstein, porte-parole du cabinet du Premier ministre sans habilitation de sécurité, a été arrêté sous suspicion d'avoir divulgué des informations de renseignement confidentielles et sensibles à la presse étrangère. Ces informations, auxquelles il n'aurait pas dû avoir accès, auraient été révélées dans le but de saper un accord de cessez-le-feu.

Ces enquêtes sur les activités de certains des plus proches conseillers de Netanyahou semblent avoir plus que jamais ébranlé le Premier ministre, indiquant que les allégations pourraient bien être véridiques, et qu'il pourrait lui-même avoir quelques questions à répondre.

Quelques jours avant la tentative de limogeage de Bar, le prédécesseur immédiat du chef des renseignements, Nadav Argaman, a lancé une bombe lors d'une interview sur la Douzième chaîne israélienne : il avait affirmé détenir une mine d'informations susceptibles de compromettre Netanyahou, et avait menacé de les rendre publiques si le Premier ministre était reconnu coupable d'avoir enfreint la loi. Netanyahou a réagi en portant plainte à la police et en accusant Argaman de le faire chanter.

Netanyahou ne devrait pas être autorisé à jouer avec les autres alors que tout s’effondre autour de lui.    

   Yossi Mekelberg

Il est vrai qu'Argaman aurait pu mieux s'exprimer et, surtout, que s'il possède des informations concernant le Premier ministre qui seraient dans l'intérêt du public ou susceptibles de compromettre la sécurité nationale, il devrait les signaler à la police plutôt que de les divulguer à la télévision.

Cependant, l'exaspération d'Argaman envers le gouvernement actuel, et surtout envers son dirigeant, reflète des sentiments similaires partagés par de nombreuses personnes de tous horizons, dévouées au service de leur pays et qui estiment ne plus pouvoir rester les bras croisés face à un Premier ministre qui polarise cyniquement et sans relâche le pays pour ses propres intérêts personnels et semble chercher à détruire les fondements mêmes du système démocratique alors que le pays est en pleine crise sécuritaire.

Même en mettant de cote les raisons et les circonstances entourant le remplacement de Bar, le mépris total de la procédure légale reste une source de grave préoccupation, notamment en raison du conflit d'intérêts, d'autant plus que le Shin Bet enquête sur des allégations de comportements criminels au sein du cabinet du Premier ministre.

Pour cette raison, la procureure générale Gali Baharav-Miara a insisté pour que Netanyahou la consulte avant de prendre des décisions aussi cruciales pour la sécurité du pays.

Hélas ! Le Premier ministre souhaite également son départ. Baharav-Miara est une épine dans son pied, et pour de bonnes raisons : elle n'a pas peur de lui et ne craint que l'effondrement de l'État de droit. En matière de protection de la démocratie israélienne, elle ressemble de plus en plus au mythique Petit Hollandais qui a colmaté la fuite de la digue avec son doigt toute la nuit pour empêcher les eaux de déborder et d'inonder Haarlem. 

Dans son cas, Baharav-Miara empêche une avalanche de lois antidémocratiques, le licenciement de personnes sans procédure régulière et la nomination à des postes gouvernementaux de haut niveau de personnes sans les qualifications requises, tout en s'efforçant de garantir le respect de l'État de droit par le gouvernement. L'espoir est qu'en menant ces combats, la démocratie subsistera en Israël lors des prochaines élections, et que, même meurtrie, elle pourra être restituée.

L'autoritarisme populiste a toujours été présent dans les pratiques de Netanyahou et de certains membres du Likoud, mais il les influence désormais et domine leur comportement. Cela reflète aussi une forme de panique, tout comme, dans une large mesure, la reprise de la guerre à Gaza.

Netanyahou perd de plus en plus son sang-froid lorsqu'il témoigne dans son procès pour corruption. Il se présente comme la victime d'un « État profond » qui n'existe que dans son esprit, et la simple suggestion de nommer une commission d'enquête d'État sur les échecs du 7 octobre le met visiblement en colère. Il refuse de rencontrer la presse israélienne, communiquant avec le public par le biais des réseaux sociaux et de déclarations enregistrées.

Tout cela fait de lui un homme plus faible et plus vulnérable que jamais, mais aussi plus dangereux, surtout si l'opposition est assez stupide pour ne pas en profiter. Le comportement de Netanyahou rappelle de plus en plus à beaucoup d'entre nous celui de ces dirigeants autoritaires qui, au cœur de leur vie politique, perdent le contact avec la réalité et, paranoïaques, éliminent (pas nécessairement physiquement) ceux qu'ils croient leur barrer la route, principalement parce qu'au fond, ils savent que leur règne touche à sa fin.

La décision de limoger Ronen Bar en est une nouvelle preuve, mais il ne devrait pas être autorisé à hésiter alors que tout autour de lui s’effondre.


Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House.
X : @YMekelberg

NDLR : les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com