Pourquoi la Ligue arabe devrait rechercher une réconciliation avec la Syrie

Un homme prend une photo de son ami devant une affiche du président syrien Bachar al-Assad sur la place des Omeyyades à Damas, le 16 mai 2014 (Reuters)
Un homme prend une photo de son ami devant une affiche du président syrien Bachar al-Assad sur la place des Omeyyades à Damas, le 16 mai 2014 (Reuters)
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Publié le Vendredi 05 mars 2021

Pourquoi la Ligue arabe devrait rechercher une réconciliation avec la Syrie

Pourquoi la Ligue arabe devrait rechercher une réconciliation avec la Syrie
  • Ce dont la Syrie a besoin, c'est d'une aide humanitaire, et non d'un soutien militaire ou logistique. Beaucoup croient que, pour atteindre cet objectif, la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe sera bénéfique
  • La Ligue arabe doit œuvrer à la réconciliation. Comme l'a affirmé le secrétaire général de la Ligue arabe : « Seuls les pays arabes peuvent chercher à résoudre leurs problèmes de l'intérieur »

Le mois dernier, pour la première fois depuis novembre 2011, la Ligue arabe a repris certaines de ses activités à Damas. Les ministres des Affaires étrangères de l’organisation avaient à l’époque suspendu l’adhésion de la Syrie. Mais, alors que le 10e anniversaire de la guerre civile syrienne approche, beaucoup prédisent que le pays rejoindra l’organisation, avec Bachar al-Assad à sa tête, malgré le coût humain considérable du conflit. Le président syrien ayant résisté à toutes les tentatives pour le renverser, tout effort visant à améliorer la situation de la Syrie devra désormais l’inclure.

Malgré le grand courage et la résilience dont fait preuve le peuple syrien dans sa quête d'un avenir meilleur, la guerre civile a pratiquement cessé et le président est toujours aux commandes. Malgré la réticence persistante de l’Occident à rétablir des liens avec Bachar al-Assad, la réalité sur le terrain a contraint divers gouvernements arabes à revoir leur approche à l’égard de Damas.

Les signes d’un réchauffement se multiplient. Le mois dernier, le ministre irakien des Affaires étrangères, Fouad Hussein, a demandé  que la Syrie soit réintégrée à la Ligue arabe. Deux semaines plus tôt, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, révélait lors d’une conférence de presse avec le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faysal ben Farhan, qu'ils s'étaient mis d'accord sur plusieurs questions concernant la Syrie, notamment sur son «retour dans la famille arabe».

La Syrie, l'un des six membres fondateurs de la Ligue arabe en 1945, a sans aucun doute toujours joué un rôle important dans l'organisation. Kamal Alam, un instructeur en histoire militaire syrienne, estime que «la Syrie se targue toujours d'être un bastion de l'arabisme et Bachar sait comment rester pertinent. Damas est une fois de plus sur le point de retrouver sa place centrale au Moyen-Orient».

Ce rapprochement est d’autant plus surprenant que 18 États arabes avaient initialement appelé à la suspension de la Syrie – une démarche sans précédent –, demandant aux autorités de mettre fin à l’effusion de sang causée par la brutale répression des manifestations en faveur de la démocratie, jugée comme inacceptable. L’absence des Arabes dans le conflit syrien lui a permis d’accueillir des puissances étrangères, ce qui a rendu sa catastrophe humanitaire presque impossible à résoudre.

Il ne fait aucun doute que la situation en Syrie est la pire que le pays ait jamais connu. La catastrophe économique est telle que le Programme alimentaire mondial (PAM) a averti en février que près de 60% des Syriens risquaient de souffrir de la faim. La Russie, la Turquie et l'Iran, qui sont largement parties prenantes dans le conflit, ont leurs propres difficultés économiques. Ils ne peuvent offrir qu’une aide limitée pour la reconstruction du pays et pour les millions de Syriens qui font la queue pendant des heures chaque jour pour s’approvisionner en pain subventionné par le gouvernement.

Au niveau régional, le conflit a permis à l’activité terroriste de s’étendre et d’installer une nouvelle guerre froide dans la région aux dépens des citoyens syriens. La guerre étant dans l'impasse, ce dont la Syrie a besoin maintenant, c'est d'une aide humanitaire, et non d'un soutien militaire ou logistique. Beaucoup croient que c’est dans cette optique que la réintégration de la Syrie dans le giron arabe sera bénéfique.

Dans les années 1970, le secrétaire d'État américain Henry Kissinger avait déclaré qu'il ne pouvait y avoir de guerre avec Israël sans l'Égypte, mais qu'il ne pouvait pas non plus y avoir de paix sans la Syrie. C’est pourquoi le gouvernement syrien doit s’engager, sinon il restera un paria, et davantage de puissances étrangères seront impliquées sur son territoire.

Amr Moussa, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères et secrétaire général de la Ligue arabe, a tenu à souligner ce point. «La Turquie, Israël et l’Iran ne peuvent à eux seuls tracer des lignes, ni essayer d’exercer une influence ou déterminer l’ordre de la région. Les pays arabes réunis dans la Ligue arabe doivent jouer un rôle essentiel», a-t-il expliqué. Sa volonté d’une résolution arabe sur la Syrie souligne une approche nuancée qui reconnaît que les aspirations dans la région ont changé. «La Ligue arabe pourrait faciliter un retour à la normale, mais en prenant en compte la volonté du peuple arabe de changer pour le mieux, en particulier en ce qui concerne la bonne gouvernance et la modernisation», a-t-il déclaré.

 

Le gouvernement syrien doit s’engager, sinon il restera un paria, et davantage de puissances étrangères seront impliquées sur son territoire.

 

À bien des égards, l’opinion de Moussa reflète celle de nombreux gouvernements arabes. «Dans la mesure où les pays arabes cherchent un retour à la normale, il vaut mieux tenter de revenir à une sorte de statu quo. Mais les circonstances sont différentes, nous entrons dans la troisième décennie du XXIᵉ siècle et la réconciliation nécessite un recentrage actif et objectif sur la Ligue arabe. Il faut bien comprendre que les problèmes de la région sont de nature arabe et ne peuvent pas être résolus par des tiers», a-t-il affirmé. «Il s’agit de prendre conscience que les problèmes de la région ont été exacerbés par les puissances étrangères. Quant à savoir si la Ligue arabe sera capable de combler le vide, cela reste à voir.»

Après une décennie de conflit, il est clair qu'Assad restera probablement au pouvoir dans un avenir prévisible. Damas est en passe de retrouver sa place centrale au Moyen-Orient. L'ampleur de l'effort de reconstruction nécessaire pour bâtir une nouvelle Syrie qui réponde aux aspirations de son peuple est immense. Les États arabes ont perdu la Syrie une fois et en ont payé le prix, grâce à l'invitation de puissances étrangères, et souvent pernicieuses, sur son territoire. La Ligue arabe doit maintenant œuvrer à la réconciliation. Comme l'a affirmé le secrétaire général de la Ligue arabe: «Seuls les pays arabes peuvent chercher à résoudre leurs problèmes de l'intérieur».

Zaid M. Belbagi est un commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com