À l’ère post-Trump, les médias américains doivent regagner la confiance du public

Le président Donald Trump exécute quelques pas de danse à la fin d’un meeting politique pendant la campagne présidentielle à Carson City dans le Nevada, le 18 octobre 2020. (Reuters)
Le président Donald Trump exécute quelques pas de danse à la fin d’un meeting politique pendant la campagne présidentielle à Carson City dans le Nevada, le 18 octobre 2020. (Reuters)
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Publié le Vendredi 29 janvier 2021

À l’ère post-Trump, les médias américains doivent regagner la confiance du public

À l’ère post-Trump, les médias américains doivent regagner la confiance du public
  • La dissémination de fake news a non seulement permis de semer les graines du désordre social, mais aussi d’installer toute une culture de diabolisation des médias
  • En cherchant à manipuler et faire réagir, certains médias sont tombés dans les travers des réseaux sociaux et ont négligé leur mission: informer et inspirer

La dissémination de fake news a non seulement permis de semer les graines du désordre social, mais aussi d’installer toute une culture de diabolisation des médias.

En cherchant à manipuler et à faire réagir, certains médias sont tombés dans les travers des réseaux sociaux et ont négligé leur mission: informer et inspirer.

Il y aura eu les dénonciations belliqueuses, les dénégations, les procédures de destitution au Sénat, et des manifestations massives, mais ce qui marquera durablement la présidence de Donald Trump, c’est la prise d’assaut du Capitole qui a eu lieu au début de l’année. Cet événement a suscité la consternation et parfois même l’horreur. Il aura néanmoins eu le mérite d’attirer l’attention sur un problème plus important, plus pressant quoique peut-être moins évident à cerner à première vue: les méfaits et l’influence grandissante des fake news.

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Donald Trump a mis à profit les quatre années pendant lesquelles il a dirigé le pays pour développer le phénomène. Ce qui a fait réagir bon nombre d’Américains, c’est que certains médias sont devenus tellement partisans, tellement impliqués politiquement, qu’ils ont choisi d’appeler à la violence et de porter des armes plutôt que de se fier aux institutions de leur pays.

L’expression «fake news» a fini par personnifier ces quatre ans au cours desquels la Maison-Blanche s’est dressée contre les médias dans leur ensemble. Cette situation sans précédent a été le fait des détracteurs les plus acharnés du président – certains de ces médias courant après les actualités, en s’abreuvant de toute une série d’informations, fondées ou non.

À bien des égards, les fake news ont jeté une lumière crue sur la présidence Trump tout entière. Les joutes incessantes de l’ancien président avec certains médias, qui sélectionnait certains organes de presse soutenant son programme au détriment d’autres qui se montraient plus critiques, ont montré à quel point la croissance incontrôlée de ce secteur a pu avoir des ramifications politiques sidérantes.   

Pour un président qui ne cessait de se plaindre qu’on lui parlait toujours «de la Russie, que de la Russie et encore de la Russie», on ne peut guère s’étonner que ce soit un terme russe qui soit devenu si populaire lors de son séjour à la Maison-Blanche.  Le concept de pod-del’mei novosti («fausses informations») a une longue histoire, celle de l’obstruction officielle des faits, et il est d’ailleurs né en Russie.

L’idée selon laquelle les informations peuvent être falsifiées ou présentées de façon délibérément antagoniste, pour servir des intérêts politiques, a fini par prendre une telle place dans les médias – via la dissémination de fake news et de rapports provocateurs – qu’elle a non seulement permis de semer les graines du désordre social mais aussi d’installer toute une culture de diabolisation des médias. Cela a eu des conséquences considérables sur la société américaine incroyablement stratifiée que Donald Trump a laissée dans son sillage.

Alors qu’historiquement les journalistes ont cherché à jouer le rôle de vigie des actions du gouvernement, pointant du doigt les questions méritant d’être portées à l’attention du public, certains médias sont maintenant perçus comme corrompus, assez peu fiables et partisans. Cette politique a été encouragée par Donald Trump, lorsqu’il a cherché à détourner l’attention des problèmes et des défis de sa présidence, en affirmant qu’il s’agissait de fake news.

Face à un homme politique arrivé au sommet de l’État vivant dans le culte de l’autopromotion, les médias ont à la fois été les alliés les plus précieux de Donald Trump et ses opposants les plus puissants. Ce qui fait le plus froid dans le dos quand on évoque la vendetta de Trump contre les fake news, c’est que ce dernier a fondé sa carrière entière sur des coups de communication et sur une cour assidue faite aux médias.

L’ancien président américain n’a semblé prendre pour cible certains organes de presse qu’à partir du moment où ils ont mis en lumière ses aspects les moins reluisants et les plus controversés. Au milieu de cette bataille, la société américaine s’est encore plus polarisée, dans la mesure où les médias de chaque côté de l’échiquier politique se sont lancés dans la surenchère, décourageant le débat au profit du sensationnel.

Avec l’affaiblissement du pouvoir de certaines institutions et la montée en puissance de la rue, beaucoup se sont demandé à quel moment précis le patriotisme était devenu un objet dangereux dont les Américains se servaient les uns contre les autres.

Tandis que l’intelligentsia américaine regardait avec dédain le mécontentement de ces citoyens américains sous-représentés et exaspérés, et que certains médias en ont fait une lutte entre «eux» et «nous», une nouvelle prise de conscience a eu lieu, que l’experte en sciences politiques Katherine Cramer résume ainsi: «L’élite culturelle est impardonnable, car elle n’a pas su reconnaître les défis et les perspectives de beaucoup de citoyens de ce pays.»

Donald Trump, qui n’avait pas sa langue dans sa poche, toujours enclin à faire des déclarations tonitruantes, a souligné un point crucial: selon lui, la «norme» politique ne traduit pas l’opinion de nombreux Américains, l’agenda politique n’étant déterminé que par un groupe très restreint d’élites progressistes. Ce leitmotiv, sans cesse répété par l’ancien président pour tenter grossièrement de discréditer les médias a au bout du compte mis l’accent sur la saturation du public à l’égard des agendas médiatiques imposés.

Son utilisation et sa manipulation des médias et le fait qu’il les tournait simultanément en dérision n’ont fait que démontrer l’ampleur du problème. Arrivé au pouvoir avec le mandat de représenter une grande partie d’Américains pensant que le «système» ne marchait pas pour eux, il a utilisé sa notoriété et des méthodes démagogiques pour se faire entendre d’un public toujours plus nombreux. Là où les suprémacistes blancs avaient naguère nourri des projets anarchistes, Donald Trump a utilisé Twitter, Facebook et des plates-formes médiatiques qui lui étaient acquises pour s’adresser à une portion plus vaste de la population américaine, des Hispaniques aux Afro-Américains, qui, unis par le sentiment d’être relégués, l’ont rallié pour soutenir sa présidence isolationniste et peu orthodoxe.

Certains médias sont maintenant considérés comme corrompus, assez peu fiables et clivants.

Zaid M. Belbagi

 

Après avoir utilisé les réseaux sociaux comme porte-voix, Donald Trump s’est servi à la fois des sociétés de haute technologie auxquelles appartiennent la plupart des médias de masse et de l’élite financière, afin de vouer ses opposants aux gémonies quand l’envie lui en a pris. Des politiques aussi clivantes ont au final été renforcées (et non battues en brèche) par la suspension de son compte Twitter, le dernier acte du show Trump. Cela a encore été une fois la démonstration éclatante que les médias, quel que soit leur positionnement, sont devenus partisans.

Ces quatre dernières années ont sans aucun doute jeté une lumière crue sur les périls causés par la multiplication d’informations ouvertement biaisées et non vérifiées. En cherchant à manipuler et à faire réagir, certains médias sont tombés dans les travers des réseaux sociaux et ont négligé leur mission: informer et inspirer. Les tentatives de Donald Trump de développer une culture alternative des fake news ne sont pas la solution. Ce qui est nécessaire, c’est que le public retrouve confiance dans les médias et des informations fiables. Sans ce travail, la vie politique continuera à faire le nid de réactionnaires, ce qui, au vu des divisions et de la colère qu’ils ont été capables de créer, ne représente guère l’avenir qu’une démocratie est censée garantir. Comme l’a dit un jour l’homme politique australien Arthur Caldwell: «Mieux vaut être battu sur des principes que gagner sur des mensonges.»

 Zaid M. Belbagi est un commentateur politique, il conseille des particuliers entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). Twitter: @Moulay_Zaid

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com