«Le retour à la vérité» a été l’une des premières expressions employées par le nouveau président américain, Joe Biden, à comprendre comme une rupture avec le régime de l'émotion et des approximations confuses que l'ancien président Trump appelait «des vérités alternatives».
Dans sa confrontation acharnée avec la presse et les médias traditionnels, Trump reprochait souvent à ces derniers de véhiculer des fake news. Il se sentait plus à son aise, dans sa stratégie de communication publique, avec les réseaux sociaux, qui sont à ses yeux des espaces d'expression libres et ouverts.
Se basant sur des idées populistes et simplistes, Trump fustige la manipulation et l'instrumentalisation des moyens de communication qui sont à l’œuvre dans une démocratie de représentation et d'élection occultant et brouillant les «vérités spontanées» ressenties par le peuple.
C'est ainsi que la communication délibérative et critique devient suspecte et nocive, au même titre que les ordres représentatifs, «élites prédatrices» coupées du «vrai peuple».
Dans ce débat passionné sur les régimes de communication dans les sociétés démocratiques, le concept clé de vérité, dans sa connotation publique, est en jeu.
Il y a lieu de mentionner ici que cette conception publique de la vérité – l'usage public de la raison, selon les termes de Kant – constitue un legs de la pensée des Lumières.
Le rapport entre la vérité et le pouvoir public a été différemment conceptualisé dans la pensée politique classique. Leo Strauss louait le style allégorique des écrits politiques médiévaux arabo-islamiques et juifs, qui lui paraissait correspondre à l'esprit de l'action publique et à un mode de discours approprié à la multitude. Cette approche allégorique allusive présente un contraste avec les mécanismes de mobilisation idéologique des foules qui se trouve à l'œuvre dans les régimes totalitaires; en outre, elle s’écarte de la notion de transparence absolue qui est la base de la communication libérale moderne.
Cet idéal de la transparence paraît inopérant dans le champ politique, qui est le domaine des passions et des fantasmes collectifs. Dans ce champ, la vérité ne peut être que partielle, relative et approximative, faiblement transmissible. La politique est par nature le domaine des arrangements contractés, des rapports de subordination consentie, de convictions fortes et, de ce fait, elle ne peut être objet de rationalisation systématique solide.
Le rapport entre la vérité et le pouvoir public a été différemment conceptualisé dans la pensée politique classique. Leo Strauss louait le style allégorique des écrits politiques médiévaux arabo-islamiques et juifs, qui lui paraissait correspondre à l'esprit de l'action publique et à un mode de discours approprié à la multitude.
Cependant, une démocratie saine et apaisée ne saurait faire l'économie d'une pratique argumentative qui a pour finalité la vérité, non au sens épistémologique de certitude vérifiée, mais au sens communicationnel de «convictions pesées» (John Rawls) soumises aux procédures de discussion rationnelle.
Le populisme nationaliste actuellement en vogue subvertit l'esprit de la démocratie pluraliste en s'attaquant à la presse d'investigation et de critique, qui est l'un des piliers solides du régime politique libéral, et la consécration de l'idée de liberté agissante et effective.
Cette tendance relève de la même logique de défiance vis-à-vis des institutions de régulation du pluralisme démocratique, qui traduisent une idée processuelle et représentative du peuple, foncièrement différente de la conception lyrique et mythique d'un peuple à voix unique, spontanée et directe.
Il y a lieu de constater ici que les idéologies populistes, dans leur quête même de fusion instantanée et sincère avec l'esprit du peuple, accentuent les schismes sociaux et les transforment en blocs antagonistes irréconciliables.
Le populisme nationaliste de Trump, qui a dégénéré en mouvement contestataire violent ayant pris d’assaut le symbole même de la démocratie, est une illustration nette des déboires d’un populisme réfractaire aux idées de pluralisme institutionnel. Les États-Unis sont sortis de la dernière élection plus divisés que jamais; le consensus national a été gravement affecté, et les positionnements partisans ont failli prendre l'allure d'une nouvelle «guerre civile».
C'est ainsi que les réseaux sociaux ont fini par se rendre compte de leur responsabilité dans cette situation explosive. La demande de régulation juridique et déontologique du contenu des messages véhiculés par les nouveaux moyens de communication électronique devient, de plus en plus, une nécessité pour endiguer les aléas de la haine ou de la violence verbale. C'est à cette condition que les réseaux sociaux pourraient être intégrés au champ médiatique comme vecteurs de transparence et comme moyens d'expression et d'investigation.