L'intrusion des rebelles houthis dans la guerre de Gaza a placé la zone sensible de la mer Rouge au cœur du foyer de tension intensive moyen-oriental.
Cette zone qui relie les trois espaces africain, indien et moyen-oriental vit en effet depuis plusieurs années des crises multiformes : la guerre du Yémen suscitée par la rébellion houthie soutenue par l'Iran, la guerre civile somalienne qui a engendré un dangereux mouvement de piraterie radicale (les shababs) ainsi que les conflits latents de la corne de l’Afrique dont l'actuel conflit soudanais en plein effervescence..
En attaquant l'un des plus importants circuits du commerce mondial (Bab-el-Mendeb qui relie la mer Rouge au golfe d'Aden), les Houthis ciblent ainsi le principal corridor d'échange commercial international en rendant inopérant le canal de Suez, route maritime la plus courte entre l'Asie et l'Europe.
Il va sans dire que la zone de la mer Rouge constitue aujourd'hui le centre d'intérêt géostratégique primordial des puissances régionales et internationales, et un enjeu majeur de compétition mondiale.
Les trois puissances régionales non arabes (l'Iran, la Turquie et l'Éthiopie) ont déployé ces dernières années des efforts intensifs pour accéder au cœur de cet espace géopolitique crucial.
Si la politique iranienne s'est cristallisée sur l'appui du mouvement radical houthi pour contrôler les verrous maritimes vitaux du Yémen, la Turquie a largement investi dans les ports somaliens et a manifesté un grand intérêt pour le vieux port soudanais Sawakin. Quant à l'Éthiopie qui a perdu depuis l'indépendance de l'Érythrée en 1993 son unique façade maritime sur la mer Rouge, elle considère cette zone comme un espace vital à conquérir par tous les moyens nécessaires (le dernier problème avec la Somalie en est une illustration claire).
Sur la rive arabe, deux pays centraux ont axé leur stratégie d'émergence sur le développement de leurs capacités technologiques et économiques en mer Rouge : l'Égypte et l'Arabie saoudite.
Les enjeux de rivalités et de discorde dans la corne de l’Afrique ont dangereusement entravé ce projet géopolitique vital
- Seyid Ould Abah
Le président égyptien Abdel Fattah al Sissi a inauguré en 2015 le « nouveau canal de Suez », fruit d'un ambitieux projet d'élargissement du canal qui devrait permettre de doubler la capacité de passage et le trafic maritime reliant l'Asie et l'Europe.
Si l'Égypte moderne a été, à plusieurs égards, « le don » du canal de Suez qui a vu le jour en 1869, le projet de renforcement des capacités du canal est vu à juste titre comme l'horizon d'une Égypte réformée et rénovée.
Quant à l'Arabie Saoudite, elle a entamé sous les auspices du prince héritier et chef du gouvernement Mohammed Ben Salmane un ambitieux projet de décollage économique, qui a pour pivot la ville nouvelle Neom, riveraine de la mer Rouge, qui sera dans un futur proche le poumon du nouveau Moyen-Orient. Il va de soi que la Jordanie et l'Égypte bénéficieront à coup sûr de cette dynamique de grande ampleur.
Pour pallier le vide stratégique dont souffre l'espace de la mer Rouge, l'Arabie Saoudite a œuvré en 2020 à la création d'un conseil arabo-africain regroupant les huit pays riverains de la mer Rouge (sept de ces États sont membres de la Ligue arabe).
Force est de constater, cependant, que malgré l'initiative louable des autorités saoudiennes, les enjeux de rivalités et de discorde dans la corne de l’Afrique ont dangereusement entravé ce projet géopolitique vital.
Les répercussions négatives de la guerre israélienne à Gaza ont engendré une nouvelle donne difficile à gérer pour les acteurs régionaux arabes, sensibles à une résolution équitable de la question palestinienne, comme condition élémentaire d'une équation géopolitique stable et apaisée au sein de l'espace de la mer Rouge.
Deux demandes impératives restent à élucider dans cette optique.
La première est l'implication inclusive des pays africains riverains de la mer Rouge et de l'océan Indien dans les enjeux régionaux, ce qui nécessite l'élargissement de la vision stratégique moyen-orientale traditionnelle axée sur le golfe Arabique et la Méditerranée.
La deuxième demande consiste à faire face aux stratégies d'ingérence et d'intrusion des puissances régionales (moyen-orientales) non-arabes qui s'attellent à contrôler les accès primordiaux à la sécurité collective arabe.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.