Les élections du 9 juin sont incontestablement un tournant majeur dans la vie politique du vieux continent, et auront à coup sûr un impact réel sur l'avenir de l'union européenne.
L'extrême droite a été en tête dans cinq pays membres de l'union : France, Italie, Belgique, Autriche et Hongrie, tout en améliorant sensiblement son score électoral dans d'autres pays centraux comme l'Allemagne et les Pays Bas.
Avec 180 élus au parlement européen, les partis conservateurs et populistes de l'extrême droite, même minoritaires et divisés, pèseront désormais lourd dans l'hémicycle continental.
Déjà au pouvoir dans des états comme la Hongrie, l'Italie et la Hollande, l'extrême droite a en effet le vent en poupe dans la plupart des pays européens.
Ces formations politiques sont d'horizons divers, aux fondements idéologiques hétéroclites, mais elles s'accordent cependant sur trois professions de foi essentielles
- La conception nativiste, ethnique de l'identité nationale réduite au lien organique institué dans le cadre restreint d'une communauté de sang considérée homogène et uniforme.
- la notion culturaliste forte de la nation, appréhendée comme entité civilisationnelle anhistorique à préserver de la contamination externe. D'où la répulsion de l’étranger, les politiques anti- immigration et les tendances islamophobes partagées largement entre les partis populistes d'extrême droite.
- le souverainisme radical qui a pour cibles l'état de droit, le régime de séparation de pouvoir et les institutions publiques indépendantes. Le politologue américain Fareed Zakaria a taxé les régimes d'extrême droite en Europe de "démocraties illibérales”, en pointant la déconnexion qu'ils opèrent entre les mécanismes formels de la représentation - élection et la grille de valeurs libérales qui sont la base normative de la démocratie pluraliste et ouverte.
Il y'a lieu de différencier la mouvance d'extrême droite avec les partis libéraux conservateurs qui ont autrefois constitué une composante solide du champ politique des démocraties occidentales. Ces partis se caractérisaient par leur méfiance vis-à-vis du progressisme, leur attachement au socle religieux traditionnel et aux valeurs de l'ordre et de l'autorité, mais s'accrochaient néanmoins au credo libéral minimal ( le régime des libertés privées et civiques ,les valeurs de la citoyenneté égalitaire, la séparation des pouvoirs...).
La percée de l'extrême droite pourrait être expliquée par plusieurs facteurs primordiaux, notamment la nouvelle recomposition du champ politique des démocraties contemporaines en rupture avec la division binaire issue de la première révolution industrielle ( la droite et la gauche),l'érosion de la classe ouvrière, le défi multilatéraliste qui s'impose à toutes les sociétés européennes en proie à une immigration massive, les réactions répulsives à la dynamique de la mondialisation...
Tous ces phénomènes ont été abordés et analysés par les sociologues et les politistes, ce qui ne diminue en rien la portée significative du dernier événement électoral qui a secoué les pays de l'union européenne.
Cet événement s'est déroulé dans un contexte explosif, marqué par l'enlisement de la guerre d’Ukraine, la confrontation rude avec les forces mondiales émergentes, la dislocation prévisible du partenariat euro - américain avec le retour probable de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis.
Ces tendances annoncent ce que plusieurs chercheurs ont appelé " la décadence " ou " la défaite" de l'Occident (Michel Onfray, Emmanuel Todd), la fin de l'hégémonie européenne sur le système international (Bertrand Badie).
L'extrême droite, eurosceptique et souverainiste, n'a aucune réponse fiable à ces défis majeurs. Elle reflète un malaise social et politique réel et objectif, traduit des changements concrets et effectifs, mais n'a ni les outils conceptuels ou les mécanismes d'action qui permettent de dépasser la crise multiforme du continent.
L'écrivain français Paul Valéry lançait en 1919 cette formule devenue célèbre : " Nous autres civilisations, nous savons que nous sommes mortelles”. Cette phrase proclamée dans les sinistres événements de la première guerre mondiale est de nos jours largement acclamée. L’européen qui a perdu le statut de " conscience de l'humanité “, le rôle du dirigeant du monde, est réduit aujourd'hui à la position modeste de " spectateur de l'histoire " selon la formule du philosophe allemand Peter Sloterdijk. La percée de la droite radicale est l'illustration manifeste de cette régression historique, et elle ne pourrait être nullement sa solution.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique. X: @seyidbah
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