Les prochaines élections américaines prévues en novembre 2024 constitueront sans doute une phase décisive de la vie politique de cette grande puissance libérale occidentale.
Un deuxième duel Biden-Trump devient de plus en plus incontournable, malgré les déboires de l'ancien président embourbé dans plusieurs dossiers de justice et les dérapages verbaux de l'actuel président.
Le spectre de la guerre civile hante en effet une nouvelle fois l'imaginaire politique et social américain, dans un contexte de démocratie moribonde qui suscite un large désarroi dans le monde libéral.
Les élections présidentielles de 2016 remportées par Trump ont déjà dévoilé la fracture profonde de la société américaine, divisée entre une frange privilégiée d'élites mondialisées qui est le socle électoral solide des Démocrates et une autre Amérique rurale et conservatrice généralement implantée dans les petites villes désindustrialisées qui est la base fidèle des Républicains.
Le virage conservateur ultranationaliste du parti républicain a été amorcé dès la fin des années 1990 par l'ancien président de la chambre des représentants Newt Gingrich qui a publié en 2007 son ouvrage - programme « Rediscovering God in America » ,dans lequel il prône la réinsertion de la religion dans l'espace public et affiche les idées climatosceptiques et antilibérales qui ont été reconquises ultérieurement par Trump.
La période du président George W. Bush aura été marquée par l'influence des néoconservateurs qui tout en partageant l'idée de méfiance vis-à-vis des institutions internationales (le credo républicain initial) oeuvraient pour l'expansion des idéaux démocratiques américains dans le monde par la force et l'interventionnisme diplomatique.
Ce conservatisme révolutionnaire était distinct du dogme conservateur traditionnel porté par la communauté évangélique et les nationalistes isolationnistes qui ont été la force motrice du phénomène Trump.
L'élection de Trump en 2016, bien qu'elle ait été vue comme une surprise déconcertante par beaucoup d'Américains, est à appréhender comme une suite logique à la révolution conservatrice déjà perceptible depuis le deuxième mandat du président démocrate Bill Clinton. Cette élection considérée à juste titre comme « insurrection électorale » a produit un séisme profond dans le système politique américain.
Cette dégradation en cours du lexique politique américain annonce une crise grave qui frôle la guerre civile
Seyid Ould Abah
Au-delà des prises de position insolites et étranges de l'ex-président Trump, tant à l’intérieur qu’à l’international, la fracture idéologique et politique déjà énoncée a accouché d'une crise institutionnelle et structurelle, qui se décline dans deux registres essentiels.
Le premier a trait aux fondements même de la légitimité politique dans une nation qui se vante d'être le modèle même de la démocratie et de la liberté, par sa constitution vivante et ses institutions solides. Dès les élections de 2016, le système électoral n'a pu retrancher le litige politique manifeste et des doutes ont plané sur les conditions de la victoire de Trump (manipulation électronique russe) tandis que des accusations de corruption et de fraude ont été proférées envers la candidate démocrate Hillary Clinton.
La prise d'assaut du Capitole par les partisans de Trump le 6 janvier 2021 à l'issue de la défaite du président sortant, a été la consécration notoire de cette crise de légitimité politique. L'ancien président Trump a continué durant les années suivant sa sortie de la Maison Blanche à traiter son successeur « d’imposteur » et « d'illégitime ». Biden, en revanche, n'a pas hésité à qualifier son challenger de « fasciste » imitant Hitler et Mussolini.
Cette dégradation en cours du lexique politique américain annonce une crise grave qui frôle la guerre civile.
Le deuxième registre a trait au statut politique et stratégique des États-Unis dans le monde occidental. Il va sans dire que les États-Unis ont façonné le système international depuis le début du siècle dernier, et ont été le catalyseur et le leader de l'alliance d'idéaux et d'intérêts entre l'Europe et l'Amérique. Le concept même d'Occident est la résultante de cette dynamique, et le partenariat atlantique est son illustration parfaite.
La solidarité libérale occidentale qui n'a jamais fait défaut, malgré les changements circonstanciels des directions politiques américaines, est aujourd'hui l'objet d'une controverse ardue dans le champ électoral. L'ancien président Trump s'est aligné même sur la politique russe en Ukraine, en s'engageant à retirer le soutien militaire et économique américain à Kiev, et en menaçant les pays européens membres de l'alliance atlantique de mettre fin à leur protection.
Ces deux changements cruciaux annoncent le nouveau visage de l'Amérique.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.