L'avenir géopolitique de l'Afrique de l’Ouest

Cette photo prise le 7 décembre 2021 montre des soldats français préparant des véhicules blindés dans le cadre des opérations spéciales menées par la France pour la nouvelle Task Force Takuba, une mission militaire multinationale dans la région troublée du Sahel en Afrique subsaharienne, sur la base militaire de Menaka au Mali. (AFP).
Cette photo prise le 7 décembre 2021 montre des soldats français préparant des véhicules blindés dans le cadre des opérations spéciales menées par la France pour la nouvelle Task Force Takuba, une mission militaire multinationale dans la région troublée du Sahel en Afrique subsaharienne, sur la base militaire de Menaka au Mali. (AFP).
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Publié le Lundi 19 février 2024

L'avenir géopolitique de l'Afrique de l’Ouest

L'avenir géopolitique de l'Afrique de l’Ouest
  • De l'intervention armée à des mesures d'embargo économique et commercial, des sanctions ont fini par s'imposer
  • Malgré les actions et les ambitions des puissances régionales non francophones, la Cédéao est restée, dans son fonctionnement et ses politiques, tributaire de l'influence française

Le retrait des trois pays centraux du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) de la communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a produit un grand séisme dans cette zone névralgique du continent.
Il y avait ses signes précurseurs depuis l'intrusion de l'institution armée dans le champ politique des trois pays, qui ont connu à un court intervalle des coups d'État militaires lourdement sanctionnés par la Cédéao.
Bien que cette organisation instituée en 1975 soit essentiellement l'œuvre des régimes militaires qui étaient au pouvoir à cette période, la Cédéao a entamé depuis l’année 2000 une vaste dynamique d'ingérence démocratique dans la région, fustigeant la prise de pouvoir par les armées.
De l'intervention armée à des mesures d'embargo économique et commercial, des sanctions ont fini par s'imposer dans le contexte d’une rupture de la légalité constitutionnelle. Elles ont privé les pays sahéliens enclavés et pauvres, en particulier, de conditions élémentaires de survie.
Ces nations, membres également de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui a pour monnaie commune le franc CFA garanti par le Trésor public français, ont subi des sanctions financières drastiques en plus de celles imposées par la Cédéao.
C'est ainsi que les régimes néo-souverainistes, nationalistes et antifrançais qui ont accaparé le pouvoir dans l'espace sahélien ont scellé entre eux une alliance militaire et économique qui devrait même déboucher sur une véritable confédération politique.
C'est dans ce sens que s'inscrit la décision de retrait de la Cédéao ainsi que le projet audacieux de créer une monnaie commune en sortant de la zone franc CFA.

La nouvelle donne en Afrique de l'Ouest est à comprendre à deux niveaux complémentaires: la crise institutionnelle des organismes régionaux engagés dans le but d'intégration économique et stratégique de la zone occidentale africaine et la crise complexe de la gouvernance démocratique dans ces pays.

- Seyid Ould Abah

Ces décisions achèvent un lent processus de déconnexion avec les cercles d'influence française dans la région. Ce phénomène a commencé par la dénonciation des protocoles de coopération militaire avec l'ancienne puissance coloniale et le retrait du regroupement G5 Sahel, parrainé et partiellement financé par France.
Si l’on a trop commenté la nouvelle présence militaire russe dans les pays sahéliens (au Mali, notamment), force est de constater qu'il ne s'agit pas de repositionnement géopolitique ou diplomatique en faveur de Moscou.
La nouvelle donne en Afrique de l'Ouest est à comprendre à deux niveaux complémentaires: la crise institutionnelle des organismes régionaux engagés dans le but d'intégration économique et stratégique de la zone occidentale africaine et la crise complexe de la gouvernance démocratique dans ces pays.

Au premier niveau, on pourrait mentionner les efforts consentis pour supplanter la communauté organique héritée des Français qui ont établi en Afrique de l'Ouest des leviers d'intégration servant leurs intérêts.

Malgré les actions et les ambitions des puissances régionales non francophones (le Nigeria, notamment), la Cédéao est restée, dans son fonctionnement et ses politiques, tributaire de l'influence française. Le projet de monnaie commune autonome n'a eu aucun effet notoire. Il a même été dévié de son objectif initial par le couple franco-ivoirien (l’éco, la monnaie de substitution, restera lié à l'euro et au Trésor français).


Le deuxième niveau a trait au marasme démocratique que connaît une région. En effet, elle est en proie à la résurgence des régimes militaires qui ont remplacé les gouvernements civils issus d'élections pluralistes. Ces gouvernements, régulièrement taxés de corrompus et de frêles, ont souvent été décriés dans la rue dans des contextes de violence généralisée et d'érosion des services centraux de l'État.

Ce désenchantement démocratique explique clairement la vague d'adhésion massive aux nouveaux régimes militaires, qui ont suspendu les institutions politiques et les libertés publiques sans fixer de délais raisonnables pour la restauration de la légitimité constitutionnelle.

En sortant de la Cédéao et de la zone franc, les pays sahéliens sont en passe de créer une nouvelle dynamique d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest. Des pays de la zone comme la Guinée et le Tchad pourraient rejoindre ce regroupement en voie de constitution.

Il va sans dire que la nouvelle équation régionale est sujette à des défis cruciaux sur le double plan sécuritaire et économique. L'avenir des régimes militaires sahéliens reste difficile à connaître et la demande démocratique est toujours en vigueur dans cette zone sinistrée par les guerres civiles et le fléau terroriste.

 

Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.

X: @seyidbah

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.