Vous pouvez les qualifier de gauche, de libéraux ou de progressistes, ce que bon vous semble, mais il convient de dire qu’ils ont subi un coup violent lors des élections du 1er novembre en Israël. La question se pose donc de savoir si cette force de la société israélienne pourra un jour se relever et lutter à nouveau pour le caractère démocratique de l'État juif.
Le nouvel ancien Premier ministre désigné Benjamin Netanyahou poursuit les traditionnelles tractations avec ses partenaires potentiels au sein d'un gouvernement de coalition, qu'il s'agisse des ultra-orthodoxes, connus en hébreu sous le nom de Haredim, ou des partis de l'ultra-droite religieuse messianique. Les partis progressistes de gauche et la droite modérée sont ainsi laissés à eux-mêmes pour panser leurs blessures. Leur situation difficile ne se limite pas à la perte d'une élection, mais s'étend à la perte de terrain et à la perte de contact avec une grande partie de l'électorat israélien. L'une des raisons principales est le manque de repères et de volonté de présenter une alternative plus audacieuse à ce que la droite a à offrir.
Pour les forces progressistes en Israël, dont les principes fondamentaux sont de protéger le système démocratique, de défendre les libertés civiles et individuelles et de se réconcilier et de coexister avec les Palestiniens, l'avenir semble bien sombre à l'heure actuelle. Or, cela ne devrait pas toujours être le cas. Se retrouver sur la corde raide pourrait justement leur permettre de repenser leur rôle dans la société israélienne et de remonter la pente de l'éligibilité. Pour cela, les démocrates israéliens doivent se livrer à un examen de conscience franc et douloureux, et comprendre comment ils ont pu atteindre le point le plus bas de leur histoire, surtout si l'on considère qu'ils ont fondé le pays et qu'ils l'ont gouverné pendant de nombreuses décennies.
La gauche doit disséquer son échec aux dernières élections et à celles qui les ont précédées, et identifier les segments de la société qui bénéficieraient du soutien aux partis progressistes, mais qui sont sous le charme de la droite et surtout de Netanyahou. Il importe également que ces progressistes élaborent un programme qui embrasse les valeurs de gauche, sans toutefois menacer certains segments de la société attachés aux valeurs traditionnelles, et sans se laisser influencer par le populisme nationaliste, religieux ou messianique.
Ces dernières élections ont montré que la bannière «Tout sauf Bibi», qui a rassemblé un certain nombre de partis, ne sera jamais suffisante pour gagner. Il est triste de constater que la plupart des électeurs israéliens considèrent qu'il est légitime qu'une personne jugée pour corruption, fraude et abus de confiance occupe le poste de Premier ministre. La loi, aussi imparfaite soit-elle, le permet, et le peuple le veut. Mais c'est à ceux qui croient en la bonne gouvernance et en la nécessité de rendre des comptes de construire un argumentaire en faveur de telles valeurs démocratiques qui sont universelles et non propres à Netanyahou.
De toute évidence, le gouvernement entrant, à mesure qu'il prend forme, est le reflet des changements sociopolitiques et démographiques qui se sont produits en Israël au fil des ans. Alors que le judaïsme a toujours joué un rôle central dans le mouvement sioniste, y compris pour ceux qui se déclarent ardents athées, du moins dans un sens historico-culturel, le judaïsme orthodoxe, dans ses formes les plus extrêmes, monopolise progressivement l'État juif et le transforme à outrance.
Les forces progressistes actuellement désemparées s'inquiètent de voir les réalités démographiques et la montée du populisme jouer contre elles. Après tout, la communauté Haredim croît à un rythme plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, où les enfants représentent déjà la moitié de la population, et les jeunes adultes entre 18 et 35 ans un autre quart. Cela laisse penser que leur impact sur les futurs résultats électoraux ne fera que croître de manière exponentielle.
Les chances de préserver la démocratie israélienne et de relancer le processus de paix avec les Palestiniens ne seront possibles que si les progressistes s'engagent dans une discussion honnête, à l'échelle nationale, avec ceux qui ont des opinions opposées.
Yossi Mekelberg
Toutefois, à long terme, cela ne peut que conduire à une crise plus profonde de la société, car les partis Haredim, Judaïsme unifié de la Torah et Shas, ou le Sionisme religieux d'extrême droite, amèneront certainement le pays à devenir moins démocratique et moins progressiste sur le plan économique, tout en promouvant des politiques qui alimenteront la confrontation avec les Palestiniens et plus généralement avec la communauté internationale.
Le Judaïsme unifié de la Torah et le Shas puisent leur pouvoir dans la dépendance de leurs partisans aux aides gouvernementales et aux dons de charité, en maintenant un système d'éducation séparé où les matières fondamentales telles que les mathématiques, les sciences et les langues étrangères ne sont pas enseignées. Ils condamnent ainsi leurs partisans à la pauvreté et à la dépendance vis-à-vis de l'État-providence, qui dépend à son tour du contribuable. Leur nombre croissant signifie que la proportion de la société qui génère des richesses et paie des impôts est de plus en plus faible, et que c'est à elle de supporter la charge du parrainage de familles qui, dans l'ensemble, contribuent peu à la richesse du pays.
Une telle situation pourrait engendrer des rancœurs et des tensions entre les deux côtés de cette équation injuste. D'une part, les ultra-orthodoxes, qui sont tenus à l'écart, et d'autre part, ceux qui financent indûment cet arrangement injuste et préjudiciable. Ceux qui sont attirés par la «vision» toxique de l'extrême droite, qui prône la guerre permanente, le conflit et l'oppression, qui se nourrit de la haine des Palestiniens et du mépris général envers quiconque n'appartient pas à leur «tribu», pourraient découvrir qu'il y a un prix à payer pour cela aussi. En fin de compte, le fardeau de la gestion de ces politiques immorales reposera sur les épaules des Forces de défense israéliennes. En effet, la plupart des Haredim ne font pas partie de l'armée, laissant à ceux qu'ils méprisent parce qu'ils sont «gauchistes et laïques» le soin de faire le sale boulot à leur place.
Cependant, au fil de ces évolutions, un espace se crée pour permettre aux forces plus progressistes de tendre la main à ceux qui les considèrent comme élitistes et arrogantes (non sans quelque justification). Cela leur permet d'amorcer, avec humilité et détermination, un dialogue honnête qui ne craint pas de raviver le discours sur la paix et la justice sociale et sur le renforcement du système démocratique. Cela leur donne également l’occasion de discuter d’un modèle de judaïsme où l'érudition religieuse ne se heurte pas à l'éducation moderne et où les droits des minorités sont respectés.
Un tel dialogue doit inclure les citoyens palestiniens d'Israël au même titre que les autres. Ce dialogue sera inévitablement difficile si l'on considère les séquelles profondes de la colère et de la douleur liées à des années de discrimination ethnique et religieuse et de négligence. Néanmoins, les chances de préserver la démocratie israélienne et de relancer le processus de paix avec les Palestiniens ne seront possibles que si les progressistes s'engagent dans une discussion honnête, à l'échelle nationale, avec ceux qui ont des opinions opposées.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent's University à Londres, où il dirige le Programme des Relations Internationales et des Sciences Sociales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux et régionaux.
Twitter: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com