En pleines élections de mi-mandat les plus disputées de l'histoire américaine, Washington ne pouvait pas se permettre de perdre de vue les événements cruciaux se produisant chez l'un de ses principaux alliés au Moyen-Orient: Israël
Pendant des décennies, malgré l'équilibre asymétrique des pouvoirs, les relations entre les deux pays ont donné l’impression que, à de nombreuses reprises, c'est la queue qui a remué le chien beaucoup plus puissant, un chien qui a fourni une aide et un soutien militaire, politique et économique énorme depuis la création d'Israël
Les deux alliés ont toujours connu des désaccords périodiques et même des épisodes de grave friction. Washington se préoccupe vivement du résultat des récentes élections générales israéliennes, qui ont propulsé au cœur de la politique du pays les éléments d'extrême droite les plus extrémistes, avec la perspective que leurs représentants occupent des postes clés dans le prochain gouvernement israélien.
Ces dernières années, en particulier durant le mandat du Premier ministre Benjamin Netanyahou, Israël a de plus en plus tenu pour acquise sa solide amitié avec les États-Unis. En effet, Tel-Aviv est devenu une puissance économique et technologique, établissant de solides relations diplomatiques et économiques avec la plupart des pays du monde, dont la Chine et la Russie. Cela a conduit à davantage d’indépendance vis-à-vis de Washington – voire à un sentiment de suffisance – qui a permis à Israël d'éviter et parfois d'exploiter les tensions mondiales et régionales afin d’améliorer son positionnement stratégique. Cela lui a également permis de disposer d'une plus grande marge de manœuvre politique vis-à-vis des États-Unis, grâce à de puissants lobbies qui protègent Israël des critiques ouvertes. Par conséquent, les répercussions ont été limitées, même lorsque les actions d'Israël nuisaient aux intérêts américains.
Cependant, il est primordial que le nouveau gouvernement, et notamment celui qui devrait le diriger (qui croit par ailleurs comprendre les États-Unis mieux que quiconque en Israël et probablement dans le monde), se rende compte que le soutien et l'amitié des États-Unis restent un pilier fondamental de sa sécurité et de sa prospérité, et que le lien étroit entre les deux pays découle de leur croyance commune dans les valeurs et la gouvernance démocratiques.
Le fait qu'il y ait également des limites à la patience et à l’inquiétude de Washington à l'égard des personnes transgressant la loi et des bellicistes antidémocratiques d'Israël est déjà visible au sein de l'administration Biden. Le fait même que des personnalités antidémocratiques telles que Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir soient sérieusement envisagées pour diriger les ministères israéliens de la Défense et de la Sécurité publique devrait faire frémir ceux qui apprécient l'amitié et l'alliance stratégique entre les deux pays.
Pendant la campagne électorale, Smotrich et surtout Ben-Gvir ont tenté de modérer leurs opinions racistes anti-arabes et de baisser d'un cran ou deux leur discours fasciste. Mais quelques jours seulement après les élections, au cours desquelles leur faction politique, le Sionisme religieux, a remporté un nombre sans précédent de 14 sièges à la Knesset, Ben-Gvir a assisté à une cérémonie à la mémoire du raciste Meir Kahane, affirmant qu’il s’agissait de rendre hommage à «l'amour d'Israël» du rabbin israélien né aux États-Unis. Il a ajouté que «depuis l'âge de 16 ans, je suis venu chaque année ici au mémorial pour lui témoigner mon respect». Ben-Gvir, ainsi que d'autres hauts responsables de son parti qui l'ont accompagné à cette honteuse célébration du racisme et de l’intolérance, se sont toujours déclarés disciples de Kahane et, si quelqu'un est sceptique quant à sa «voie vers la modération», il lui suffira de prendre en considération sa présence à cet événement.
«La dernière chose que l'administration Biden veut voir, c'est une implosion des relations entre Israël et les Palestiniens.»
Yossi Mekelberg
La réponse du Département d'État américain a été rapide, son porte-parole Ned Price condamnant sans équivoque la participation de Ben-Gvir. «Célébrer l'héritage d'une organisation terroriste est odieux. Il n'y a pas d'autre mot pour cela. C'est odieux. Et nous demeurons préoccupés, comme nous l'avons déjà dit, par l'héritage de Kahane Chai et l'utilisation continue de ce discours parmi les extrémistes de droite violents», a-t-il déclaré à la presse, tout en rappelant à chacun qu'aux États-Unis, comme en Israël, le groupe kahaniste reste un groupe expressément désigné comme une organisation terroriste mondiale.
Paradoxalement, Ben-Gvir a été raillé pendant la cérémonie commémorative lorsqu'il a signalé aux partisans de Kahane qu'il «ne pensait pas que tous les Arabes devraient être expulsés», mais seulement les terroristes. Ces gens-là commettent sans vergogne des crimes contre l'humanité, et c'est l'habitat politique naturel de Ben-Gvir. De plus, quiconque connaît l'histoire de telles organisations d'extrême droite sait à quel point leur définition d'un terroriste est large – signifiant simplement toute personne qui s'oppose à eux.
Les États-Unis ont un large éventail d'intérêts stratégiques en commun avec Israël à travers le Moyen-Orient et au-delà, partageant la plupart des renseignements secrets ainsi que la technologie militaire. L'idée qu'ils auraient des interactions avec un ministère de la Défense influencé par des individus qui nourrissent le projet d’un complexe messianique et qui se donnent pour mission de réclamer toute la terre sainte et de créer une théocratie juive n'est rien de moins qu'un scénario cauchemardesque. L'Amérique pourrait-elle confier par exemple à ces personnes des informations confidentielles sur la manière dont elle envisage d'empêcher l'Iran d'acquérir une capacité nucléaire?
Sur la question israélo-palestinienne, les États-Unis n'ont pas l'intention de s'embarquer de sitôt dans une initiative de paix, les conditions étant défavorables de part et d'autre du conflit. Cependant, la dernière chose que l'administration Biden souhaite est une implosion des relations entre les Israël et les Palestiniens. Pourtant, placer des pyromanes politiques à la tête de ministères qui ont le pouvoir de déclencher une situation potentiellement explosive, avec des implications régionales et mondiales effroyables, risque fort d’empêcher les décideurs à Washington de dormir la nuit.
Netanyahou promettra probablement aux Américains que toutes les décisions sur la sécurité nationale et les affaires étrangères passeraient par lui et son bureau, mais personne ne sait mieux que lui à quel point il est facile provoquer, et il comptera ces provocateurs au cœur même de son gouvernement. On craint également aux États-Unis qu'un gouvernement israélien dominé par des politiciens orthodoxes et ultra-orthodoxes pourrait conduire à des frictions avec la plus grande communauté juive en dehors d'Israël. En effet, ces politiciens insistent pour modifier la loi en Israël de sorte que les conversions menées par des rabbins juifs réformés et libéraux – qui sont majoritaires parmi la communauté juive américaine – ne soient pas reconnues en Israël, et par là empêcher les convertis d'être éligibles pour émigrer en Israël.
Il appartient maintenant aux États-Unis d'agir rapidement et de manier la grenade que constitue le gouvernement israélien avec une extrême prudence, mais aussi avec fermeté et conviction. Israël a élu démocratiquement un mélange extrême de nationalisme de droite comportant des éléments messianiques puissants. Pour la communauté internationale, en particulier les États-Unis, respecter la volonté des électeurs israéliens ne signifie pas nécessairement permettre à Tel-Aviv de s'en sortir avec des politiques qui nuisent à leurs intérêts. L'amitié et l'alliance américano-israélienne pourraient être plus que jamais mises à l'épreuve.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent's University à Londres, où il dirige le Programme des Relations Internationales et des Sciences Sociales. Il est également chercheur associé au Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Il contribue régulièrement aux médias internationaux et régionaux.
Twitter: @YMekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com