Des manifestations ont eu lieu dans le nord-ouest de la Syrie après que le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusgolu, a déclaré la semaine dernière qu'il avait brièvement rencontré son homologue syrien à Belgrade il y a neuf mois et qu'il avait discuté d'une éventuelle réconciliation entre le régime Assad et l'opposition.
Certains partisans de l'opposition sont allés jusqu'à brûler le drapeau turc en réponse à cette déclaration, tandis que le gouvernement intérimaire syrien a publié une déclaration appelant au calme et présentant ses excuses pour le drapeau brûlé.
Le président russe, Vladimir Poutine, tente de soutenir Bachar al-Assad. Il encourage les Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les Kurdes à parler à Assad pour repousser un projet d'incursion turque, tout en poussant le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à coopérer avec Damas pour répondre aux préoccupations d'Ankara en matière de sécurité, notamment en mentionnant l'accord d'Adana. La Turquie et la Syrie ont signé cet accord en 1998 après l'expulsion d'Abdallah Öcalan de Syrie. Grâce à cet accord, la Turquie peut chasser les terroristes à 8 km à l'intérieur du territoire syrien. Une extension de cet accord pourrait-elle signifier que Poutine et Assad acceptent la zone de sécurité dont la Turquie parle depuis un certain temps?
Les pourparlers d'Assad avec les Kurdes n'ont pas abouti et n'aboutiront probablement pas. Pour commencer, l'armée syrienne ne peut, en aucun cas, affronter l'armée turque. Assad ne peut donc pas offrir aux FDS la protection qu'elles recherchent. D'autre part, les Kurdes ne sont pas idiots – ils savent qu'ils n'ont pas de réelles perspectives avec Assad. Ils sont conscients qu'il ne tiendra jamais parole.
Le scénario que l'ancien envoyé américain auprès de la Coalition mondiale contre Daech, Brett McGurk, a esquissé pour mettre fin à la guerre en 2019 – une réconciliation d’Assad avec les Kurdes – ne semble pas pouvoir fonctionner. C'est pourquoi Poutine parle maintenant à Erdogan d'une normalisation avec Assad.
Erdogan a actuellement besoin de toute l'aide qu'il peut obtenir. Sa popularité est en chute libre en raison de l'inflation élevée en Turquie, de la détérioration de la situation économique et de la présence de 3,7 millions de réfugiés syriens sur le sol turc. Un coup d'éclat contre les Kurdes en Syrie devrait lui donner un coup de pouce auprès de son électorat. Toutefois, la Turquie ne mènera son opération que si elle obtient le feu vert des États-Unis ou de la Russie. Poutine propose désormais une coordination avec Assad comme alternative à une incursion.
Bien que la coopération turco-syrienne en matière de renseignement n'ait pas cessé malgré l'animosité entre les deux dirigeants, elle n'a pas permis d'améliorer les relations bilatérales. Il est difficile pour Erdogan de les normaliser car il perdrait toute crédibilité. En tant que principal soutien de l'opposition syrienne, le président turc ne peut pas se désengager d'Idlib.
Son propre électorat entend depuis si longtemps le discours du président sur la nécessité de soutenir l'opposition syrienne, et sur le fait qu'Assad et son régime sont des criminels sans pitié. Peut-il changer de cap tout d'un coup? Comment pourrait-il alors justifier d'avoir accepté des millions de réfugiés? Entre-temps, Assad n'a aucune intention de permettre aux réfugiés de rentrer chez eux.
Les États-Unis ont en quelque sorte accepté les négociations entre Assad et les Kurdes, mais ils auraient dû s'y opposer et encourager les pourparlers entre les Kurdes et les Turcs. Cela pourrait aider Erdogan à regagner l'électorat kurde conservateur au niveau national. Il doit se rappeler que c'est le vote kurde qui a permis à Ekrem Imamoglu et Mansur Yavas de lui arracher Istanbul et Ankara, respectivement, lors des élections municipales de 2019.
Bien que l'humeur générale en Turquie soit désormais plus favorable à la confrontation avec le PKK qu'aux pourparlers de paix, une percée avec les Kurdes pourrait aider Erdogan à regagner une partie de l'électorat kurde. Après tout, les Kurdes de Syrie devraient être réalistes et reconnaître que le seul schéma durable consiste à partager le pouvoir avec la population arabe et à rendre les conseils locaux plus représentatifs en supprimant le contrôle des «kadros» et en permettant aux élus d'assumer leur rôle.
Les États-Unis, quant à eux, seraient mieux lotis si, au lieu de laisser la Russie servir d'intermédiaire dans les négociations sur le nord-est de la Syrie, ils réunissaient leurs deux alliés, les Kurdes et les Turcs, et les convainquaient qu'il vaut mieux se mettre d’accord entre eux que de parler à Assad. Le dirigeant syrien finirait par poignarder les deux dans le dos. C’est pourquoi ils feraient mieux de trouver un accord maintenant.
Erdogan se trouve dans une situation précaire, car il pourrait perdre les élections de l'année prochaine. Les sondages ont montré qu'il était en train de chuter dans les face-à-face avec cinq autres candidats. Kemal Kilicdaroglu, leader du principal parti d'opposition, le CHP, s'est engagé à normaliser les relations avec Assad et à convenir avec lui d'un «retour volontaire» des réfugiés, ce qui ne sera très probablement pas le cas.
Selon un rapport publié en juillet par la spécialiste turque du Conseil européen des relations étrangères, Asli Aydintasbas, l'Europe devrait s'assurer que, dans cette éventualité, toute normalisation se déroule conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies. Cependant, il est impossible qu'Assad se conforme à cette résolution. Par conséquent, il serait préférable que l'Europe et les États-Unis se préparent à un éventuel changement de leadership en Turquie en s'assurant qu'un accord qui écarte Assad soit conclu dès maintenant. Ils devraient insister auprès des nouveaux dirigeants d'Ankara – si un changement intervient lors des prochaines élections – sur le fait que tout rapprochement avec Assad affectera les relations du pays avec les États-Unis et l'Europe et pourra faire l'objet de sanctions.
La position turque sur la Syrie est d'une importance capitale pour le conflit. Si Ankara lâche prise à Idlib, le bastion de l'opposition, et permet une incursion d'Assad, le monde sera témoin d'un nouveau niveau de carnage. Les habitants d'Idlib ne peuvent pas s’arranger avec le régime. Ils se battront donc jusqu'à la mort, n’ayant nulle part où aller.
Si Ankara lâche prise à Idlib, le bastion de l'opposition, et permet une incursion d'Assad, le monde sera témoin d'un nouveau niveau de carnage.
Dr Dania Koleilat Khatib
Par conséquent, les États-Unis et l'Occident devraient aborder les relations de la Turquie avec la Syrie d'une manière très stratégique. Ils devraient retirer leur accord tacite aux négociations entre Assad et les FDS et demander à leurs partenaires kurdes de négocier plutôt avec la Turquie. Un accord avec les Kurdes du nord-est permettrait probablement à Erdogan de réparer, dans une certaine mesure, la détérioration de ses relations avec l'électorat kurde en Turquie. Pour assurer la pérennité de cet accord, les États-Unis et l'Europe doivent indiquer clairement que, quel que soit le vainqueur de la présidence en juin 2023, la normalisation avec le régime d'Assad ne sera pas tolérée.
Les États-Unis et l'Europe devraient agir dès maintenant pour orienter le cours des événements avant qu'il ne soit trop tard en mettant en place un accord durable entre la Turquie et les Kurdes du nord-est de la Syrie qui empêchera toute nouvelle opération militaire d'Ankara.
Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la voie II.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur arabnews.com