Le mois dernier, un avocat franco-israélien a soumis un rapport à la Cour pénale internationale dans lequel il accuse Benjamin Netanyahou ainsi que sept autres personnalités politiques et militaires israéliennes d'incitation au génocide. Omer Shatz, professeur à Sciences Po, a déposé cette plainte au nom d'une victime franco-palestinienne anonyme du génocide de Gaza.
L'avocat avait déjà saisi la Cour suprême d'Israël en 2014 après le massacre de l'opération "Bordure protectrice". Lorsqu'il a perdu cette affaire, il a quitté Israël en lançant un avertissement : "Vous verrez, dans dix ans, il y aura un génocide." Sa prophétie s'est maintenant réalisée.
Comme anticipé, le génocide a été rendu possible par la déshumanisation systématique des Palestiniens. Dans un dossier de 170 pages déposé le mois dernier, M. Shatz a cité les déclarations génocidaires de responsables israéliens. Au mois de janvier de l'année écoulée, la Cour internationale de justice a estimé qu'il existait un risque "plausible" de génocide et avait ordonné à Israël de punir les auteurs de propos incitant à de tels actes. Mais, le gouvernement israélien n'a entrepris aucune enquête en ce sens, faisant fi des injonctions de la Cour.
Selon l'historien israélien Ilan Pappe, le citoyen israélien moyen est soumis à la propagande du berceau à la tombe. Par conséquent, donner plus d'informations aux Israéliens ne les fera pas changer d'avis ; ils ont besoin d'une remise à zéro. Ils ont besoin d'un grand choc pour réaliser ce que leur gouvernement et leur armée ont fait.
Les Israéliens ont besoin d'une remise à zéro. Ils ont besoin d'un grand choc pour réaliser ce que leur gouvernement et leur armée ont fait
Dania Koleilat Khatib
M. Pape a expliqué le comportement d'Israël en le mettant en parallèle avec celui des anciennes puissances coloniales et des empires précédents. Il a affirmé que ces derniers ont fini par devenir trop brutaux, atteignant un point où cela devenait insoutenable. Les Israéliens ont-ils franchi ce seuil, celui où eux-mêmes et la communauté internationale prennent enfin conscience que cela suffit ? M. Shatz a déclaré qu'il se sentait "obligé, en tant que Juif, de faire cela" et qu'il était "accablé, en tant qu'Israélien", par les crimes et l'impunité dont Israël jouit. La société israélienne a-t-elle atteint un stade de reconnaissance ?
L'Afrique du Sud a porté plainte contre Israël devant la Cour internationale de justice, tandis que la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre M. Netanyahou et son ancien ministre de la défense. Cependant, le fait qu'un citoyen israélien porte plainte contre son propre gouvernement est un signal. C'est le signe que les Israéliens commencent à se rendre compte que la brutalité et l'injustice de leur pays sont trop importantes.
Avec l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, les atrocités sont mises au jour. Les Palestiniens retournent chez eux pour trouver les corps de leurs proches après qu'ils ont été tués d'une balle dans la tête. Les prisonniers reviennent dans un état lamentable après avoir été torturés et abusés sexuellement. Malgré toute cette cruauté, Israël n'a toujours pas réussi à atteindre son objectif déclaré : éradiquer le Hamas. En fait, une fois le cessez-le-feu déclaré, les membres du Hamas ont envahi les rues de Gaza, montrant à Israël qu'ils sont bien vivants. Cette brutalité extrême n'a apporté aucune sécurité à Israël. Elle n'a fait que montrer au monde l’atrocité de la situation. Les Israéliens commencent-ils à voir l’atrocité de l'État qui opère en leur nom ?
Aujourd'hui, Israël doit faire face aux conséquences de la guerre de Gaza. Elle a détruit les maisons des habitants de Gaza, les écoles, les hôpitaux et toutes les autres installations qui rendaient la bande de Gaza vivable. Alors que le ministre des finances Bezalel Smotrich, le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir et leurs semblables se réjouissent que Gaza soit inhabitable, Israël doit maintenant s'occuper de 2 millions de Gazaouis. Cela poussera-t-il les Israéliens à se demander "qu'avons-nous fait ?". Cela les incitera-t-il à se regarder dans le miroir et à se demander "qui sommes-nous ?" "Dans quelle mesure sommes-nous humains lorsque nous privons 2 millions d'êtres humains des nécessités de base de la vie, lorsque nous les privons de leur dignité, lorsque nous tuons un habitant de Gaza sur 50 (bien que les experts estiment que le nombre réel est beaucoup plus élevé) ? "Où allons-nous en tant que pays ?
Cette brutalité extrême n'a apporté aucune sécurité à Israël. Elle n'a fait que montrer au monde l’atrocité de la situation
Dania Koleilat Khatib
Par ailleurs, maintenant que la guerre est terminée, du moins temporairement, il devient impératif de mener une enquête approfondie sur la négligence de l’administration Netanyahou, qui a permis que le 7 octobre se produise. Cette démarche les incitera-t-elle à aller au-delà de cette date, à remonter le fil du temps et à analyser les causes profondes de ces attaques ? Cela les amènera-t-il à prendre conscience que le siège de deux millions de personnes pendant 17 ans dans une prison à ciel ouvert ne pouvait que susciter une réaction, et qui plus est, une réaction violente ?
Le cessez-le-feu a déjà provoqué des divisions. La droite israélienne ne veut pas arrêter la guerre, elle veut continuer jusqu'à ce que le Hamas soit éradiqué. Cependant, les 15 derniers mois ont montré que même le fait de raser Gaza n'éliminera pas le Hamas. Les partisans du courant dominant veulent mettre fin à la guerre. Les deux groupes ont protesté. Les divisions qui existaient avant la guerre risquent de s'aggraver après celle-ci.
Il ne s'agit pas d'une division sur un projet de loi marginal ou une allocation budgétaire, mais sur le caractère de l'État. Quel est le fondement principal d'Israël ? La judéité ou la démocratie et les droits de l'homme ? Ce sont des questions existentielles auxquelles l'Israélien doit faire face. Par conséquent, la reconnaissance de ce qui a été fait à Gaza ne concerne pas seulement Gaza, mais aussi l'identité des Israéliens. C'est pourquoi la plainte déposée par M. Shatz est si importante. Il a vu, il y a dix ans, que son pays s'engageait sur une voie dangereuse. Il n'a eu d'autre choix que de porter plainte contre Israël devant la Cour pénale internationale. Cette action d'un avocat franco-israélien pourrait-elle sauver Israël de lui-même ?
Il est important de voir la dynamique au sein de la société israélienne une fois le cessez-le-feu pleinement entré en vigueur. Au-delà des divisions qui apparaîtront, il est important de voir si l'action en justice de M. Shatz est simplement une initiative individuelle ou si elle reflète une nouvelle prise de conscience au sein de la société israélienne. Si la société israélienne ne reconnaît pas que ce que le pays a fait est inhumain et inacceptable, il n'y aura pas de réconciliation avec les Palestiniens. S'il n'y a pas de réconciliation, les Israéliens ne connaîtront pas la paix, ni avec les Palestiniens, ni avec eux-mêmes.
Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com