Il n'y a rien d'imprévu dans cette situation. Israël a catégoriquement refusé de se retirer entièrement du Liban le 18 février, maintenant ses forces dans cinq zones le long de la frontière. Cette mesure représente un véritable cadeau pour le Hezbollah, lui offrant ainsi l'opportunité de raviver ses opérations.
Le 23 février, le Hezbollah a organisé des funérailles pour son secrétaire général, Hassan Nasrallah, tué lors d'une frappe aérienne israélienne le 27 septembre de l'année précédente. Cette cérémonie a permis au groupe de démontrer publiquement qu'il jouissait toujours d’un soutien inébranlable au sein de la communauté chiite.
En effet, il y a quelques semaines, Wafiq Safa, responsable de l’unité de coordination et de liaison du Hezbollah, a affirmé que le groupe sortirait plus fort qu’auparavant. Il se pourrait bien qu’il ait raison. Il est né des griefs causés par l’invasion israélienne de 1982. Aujourd’hui, Israël a semé tant de haine et de souffrance qu’il a offert au groupe la force nécessaire pour se reconstruire.
Avant de se retirer des zones qu’ils avaient quittées, les forces israéliennes ont veillé à ce que les maisons qu’elles n’avaient pas encore détruites soient brûlées. Les villes proches de la frontière, comme Kfar Kela, ont été rasées.
Le Sud-Liban est une région principalement agraire, où les habitants dépendent de leurs cultures pour vivre. Israël a bombardé cette zone avec des bombes au phosphore, s'assurant ainsi que ces populations ne pourraient plus exploiter leurs terres.
Les autorités israéliennes tentent de créer un « no man’s land » ou zone neutre non déclarée, une zone tampon le long de la frontière avec le Liban. Ils espèrent que toutes ces destructions décourageront les gens de rentrer chez eux. Grâce à cette zone tampon et au contrôle de cinq points stratégiques le long de la frontière, Israël pense pouvoir garantir la sécurité de ses colonies en Galilée.
Les Israéliens pensent en outre que leur présence à l’intérieur des frontières libanaises leur permettra de se déplacer librement et de cibler qui ils veulent. Il y a quelques jours, par exemple, les forces israéliennes ont mené une attaque de drone à Saïda au cours de laquelle elles ont assassiné un membre du Hamas. Leurs drones et avions de reconnaissance et de surveillance peuvent violer l’espace aérien libanais et le parcourir à leur guise. De temps à autre, ils volent à basse altitude et brisent le mur du son, créant la peur et l’anxiété parmi la population libanaise.
Pourquoi ne le feraient-ils pas ? Les autorités israéliennes ne voient aucune restriction à leurs actions. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Ils ont violé toutes les lois internationales à Gaza et n’ont subi aucune répercussion, alors pourquoi pas au Liban ?
Mais les Israéliens sous-estiment l’envie que cela suscite chez les Libanais de riposter, en particulier chez les chiites, dont les maisons et les terres ont été dévastées. C’est un élément que le Hezbollah, affaibli comme il l’est, peut utiliser à son avantage.
Pour comprendre pleinement la chute du groupe, il est essentiel de saisir son ascension. Le Hezbollah a été fondé pour lutter contre l’occupation israélienne. Sa fondation est passée de petits groupes aléatoires à une force de guérilla redoutée et bien organisée, capable de semer la peur parmi les généraux de Tel-Aviv. Sa création, survenue trois ans après la révolution iranienne et immédiatement après l’invasion israélienne de Beyrouth, a marqué le début de l’exportation de la révolution iranienne vers le monde arabe. Son succès a été avant tout alimenté par un besoin local pressant de résister à l’occupation israélienne.
Pour garantir la stabilité, Israël doit se retirer, et l’État libanais doit être renforcé.
Dr. Dania Koleilat Khatib
Suite au retrait unilatéral d’Israël du Liban en 2000, le Hezbollah a perdu sa raison d’être en tant qu’organisation de résistance. Après le retrait des forces syriennes en 2005, le groupe s’est tourné vers la politique. Ses membres ont estimé qu'ils n'avaient d'autre choix que de le faire, ayant perdu leur parrain syrien. Le pouvoir politique est devenu un moyen de protéger leurs armes. Ils ont refusé toute formation de gouvernement qu'ils ne sont pas en guise de contrôler, ou qui peut les contraindre à se désarmer, conformément à la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU de 2004 et à l'Accord de Taëf de 1989, qui a mis fin à la guerre civile au Liban.
En 2008, le Hezbollah a resserré son emprise sur le gouvernement par le biais de l’accord de Doha, signé le 21 mai de la même année, qui visait à mettre fin à une crise politique de 18 mois au cours de laquelle les armes que le groupe avait pointées contre les Israéliens avaient été retournées contre leurs compatriotes libanais.
Le 7 mai 2008, le Hezbollah a pris Beyrouth par la force. Il est devenu un élément de la structure politique corrompue du pays. Les armes qui ont protégé le Liban contre l’agression israélienne sont désormais les principaux protecteurs de l’élite politique et de sa corruption.
Plus la légitimité du groupe s’érodait, plus il devenait brutal sur le plan intérieur. Il réprimait la dissidence, que ce soit par des assassinats ou en réprimant les manifestations publiques qui ont éclaté en 2019, exigeant le démantèlement d’un système politique corrompu.
Le groupe s’est transformé d’une organisation de résistance propre composée d’un groupe soudé de personnes dévouées en une structure plus mafieuse. Il s’est engagé dans la production et le trafic de drogue avec la famille al-Assad. Il a commencé à devenir un conglomérat au Liban. Il a acquis une banque et plusieurs entreprises. D'une manière ou d'une autre, il a commencé à imiter le système politique libanais corrompu, devenant ainsi son principal dirigeant.
Wafiq Safa n’a donc pas entièrement tort lorsqu’il prédisait que le Hezbollah finirait par sortir plus fort qu’avant. Mais ce serait une évolution très dangereuse puisqu’une nouvelle guerre éclatera. Les autorités israéliennes sont actuellement déstabilisées, renforcées par une administration américaine permissive.
Dr. Dania Koleilat Khatib
Alors que le Hezbollah s’implantait davantage dans la région, il s’est néanmoins attiré trop d’ennemis. Si le groupe a bénéficié d’un certain degré de consentement arabe dans ses combats contre Israël, il a perdu toute légitimité qu’il avait dans le monde arabe lorsqu’il est intervenu en Syrie, agissant comme un mandataire de l’Iran dans le cadre de la quête de domination régionale de ce dernier.
L’attaque israélienne contre le Hezbollah l’année dernière à l’aide de téléavertisseurs piégés et d’autres appareils de communication, ainsi que la récente guerre au Liban, ont été un signal d’alarme pour le groupe et ses dirigeants survivants. Ils ont réalisé qu’ils ont dépassé leurs limites en intervenant dans d’autres pays de la région.
La seule façon pour le Hezbollah de se reconstruire est donc de revenir à ses origines de résistance armée face à une occupation israélienne. Les griefs au Sud-Liban sont suffisamment forts pour alimenter ce projet.
Wafiq Safa n’a donc pas entièrement tort lorsqu’il prédisait que le Hezbollah finirait par sortir plus fort qu’avant. Mais ce serait une évolution très dangereuse puisqu’une nouvelle guerre éclatera. Les autorités israéliennes sont actuellement déstabilisées, renforcées par une administration américaine permissive. Cela signifie que si une résistance se manifeste, la réponse des Israéliens sera extrêmement destructrice pour le Liban.
Les États-Unis doivent alors agir avec discernement et comprendre que la présence continue des forces israéliennes au Liban, ainsi que leurs opérations visant à éliminer tous les membres du Hezbollah, ne feront que renforcer le groupe à long terme.
Pour garantir la stabilité, Israël doit se retirer, et l’État libanais doit être renforcé. C'est la seule solution pour démanteler le Hezbollah en tant que mouvement armé.
Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com