Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a annoncé vendredi qu'il était sûr que l'objection de la Turquie à l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) serait résolue lors du sommet de ce mois-ci. Pour lever son objection, la Turquie demandera non seulement des concessions à Stockholm et Helsinki, mais aussi aux États-Unis concernant une autre incursion prévue dans le nord-est de la Syrie. Toutefois, la Turquie pourrait utiliser son influence sur cette question d'une meilleure manière.
Pour commencer, l'Otan est perçue par les Russes en général et pas seulement par le camp Poutine comme l'ennemi de la Russie. Alors que durant la guerre froide, le monde était divisé entre l'Otan et les pays du pacte de Varsovie, l'effondrement de l'Union soviétique a entraîné la dissolution de ce pacte. Mais l'Otan a continué à s'étendre. Le président russe, Vladimir Poutine, a déclaré à plusieurs reprises qu'il n'accepterait pas l'Otan à sa porte. C'est pourquoi les candidatures de l'Ukraine et de la Géorgie en 2008 ont sonné l'alarme en Russie.
Toute la guerre d'Ukraine a été menée parce que Moscou ne pouvait pas permettre à son voisin de rejoindre un camp ennemi; c'était du moins la raison invoquée du déclenchement de la guerre. Mais le comportement belliqueux de la Russie a provoqué un retour de bâton. La Suède et la Finlande, pays qui avaient choisi de rester neutres après la guerre froide, veulent désormais rejoindre l'Otan pour s'assurer qu'ils ne seront pas la cible d'une éventuelle agression russe à l'avenir.
C'est là que la Turquie entre en jeu. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s'est montré très habile pour tirer profit des opportunités lorsqu'elles se présentent. Désormais, la Turquie s'oppose à l'entrée de ces deux pays dans l'alliance en raison de leur soutien présumé au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et de leurs restrictions à la vente d'armes à Ankara. En outre, la Turquie négocie une concession des États-Unis concernant une incursion en Syrie pour repousser les Unités de protection du peuple (YPG) loin de la frontière turque. Cependant, une telle incursion ne rendrait pas vraiment la Turquie plus sûre. Seule une solution globale en Syrie, impliquant le retour des réfugiés, peut apporter à la Turquie la sécurité dont elle a besoin. Avant ses précédentes incursions, la Turquie, pour ses accords, oscillait entre les Russes et les États-Unis. Désormais, la Turquie cherche à conclure un accord avec les États-Unis, mais elle devrait plutôt négocier avec la Russie.
L'entrée de la Finlande et de la Suède dans l'Otan ne fera que rendre M. Poutine plus nerveux et donc plus agressif. Cette éventualité augmentera certainement la pression qu’il subit, mais pas d’une façon suffisante pour le pousser à faire des concessions sur l'Ukraine et à mettre fin à la guerre. Au contraire, il deviendra plus arrogant. L'entrée de ces deux pays lui permettrait de renforcer son discours populiste selon lequel l'Otan tente de détruire la Russie.
Dans ce cas précis, la Turquie peut utiliser son objection de manière positive et utiliser son influence pour mettre fin à la guerre en Syrie. La Turquie pourrait au contraire proposer un traité de non-agression entre la Russie d’un côté, et la Finlande et la Suède de l’autre. Un tel traité pourrait offrir des garanties à toutes les parties; il permettrait à Vladimir Poutine de sauver la face, mais il ne serait probablement pas très bien accueilli par les Suédois et les Finlandais. La Russie avait accepté, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, de protéger l'Ukraine en échange de l'abandon par Kiev de son arsenal nucléaire dans le mémorandum de Budapest sur les garanties de sécurité de 1994 – et le constat d’échec est bien là.
Les Finlandais ont déjà vécu une expérience particulièrement difficile avec Moscou. En 1932, la Finlande et l'Union soviétique ont signé un traité de non-agression, révoqué unilatéralement par cette dernière en 1939, lorsque Joseph Staline a ordonné une invasion. Par conséquent, tout nouveau traité devrait comporter une clause selon laquelle, si la Russie viole les termes du traité, l'entrée de la Finlande et de la Suède dans l'Otan devient automatique.
La signature de tous les pays de l'Otan serait nécessaire pour garantir que, dans le cas d’une attaque contre la Finlande ou la Suède, aucun pays membre ne pourrait s'opposer à leur entrée dans l'alliance et au déclenchement du principe de défense collective de l'article 5.
Au lieu de demander aux États-Unis une concession concernant une incursion en Syrie, Ankara pourrait demander à la Russie de destituer Assad.
Dr Dania Koleilat Khatib
Dans le même temps, au lieu de demander aux États-Unis une concession concernant une incursion en Syrie, la Turquie pourrait demander à la Russie de destituer Bachar al-Assad et de le remplacer par un conseil militaire représentant les différentes factions en Syrie. Ce conseil pourrait ensuite mener la transition politique prévue par la résolution 2 254 du Conseil de sécurité des nations unies.
M. Al-Assad n'a pas été un partenaire très loyal envers la Russie. Le désengagement de Moscou en Syrie depuis l'invasion de l'Ukraine a rapidement été comblé par les Iraniens, avec la bénédiction du président syrien. Un conseil militaire pourrait garantir au minimum les intérêts de la Russie. Le Kremlin pourrait même disposer d'un siège au sein du conseil en nommant certains des généraux en qui il a confiance.
Le conseil militaire pourrait également fournir des garanties à la Turquie, car il aurait une sorte de juridiction sur la faction kurde. Aujourd'hui, les YPG opèrent seuls, avec peu de supervision de la part des États-Unis, qui maintiennent Ankara sur ses gardes.
C'est une occasion en or de mettre fin à la guerre en Syrie et de parvenir à une détente avec la Russie, ce qui pourrait ouvrir la voie à la fin de la guerre en Ukraine. Ce serait bien plus constructif que de faire monter les enchères et de prolonger la confrontation, ce qui n'est dans l'intérêt de personne.
Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la voie II.
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