Pourquoi l'Occident doit s'efforcer de faire davantage pour l'Ukraine

Les forces ukrainiennes pourraient en fait gagner la guerre, mais cela pose également un problème quant à la dangerosité de l'ours russe blessé. Est-il sage d'humilier la Russie? (AFP).
Les forces ukrainiennes pourraient en fait gagner la guerre, mais cela pose également un problème quant à la dangerosité de l'ours russe blessé. Est-il sage d'humilier la Russie? (AFP).
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Publié le Mardi 31 mai 2022

Pourquoi l'Occident doit s'efforcer de faire davantage pour l'Ukraine

Pourquoi l'Occident doit s'efforcer de faire davantage pour l'Ukraine
  • Un sondage YouGov publié dans Arab News montre que les personnes interrogées au Moyen-Orient ne comprennent pas la position occidentale sur l'invasion de l'Ukraine par la Russie
  • La plupart des pays du Moyen-Orient veulent que le conflit cesse en Ukraine, tout en souhaitant maintenir leurs relations avec la Russie et les États-Unis

Ce qui ressort clairement du sondage YouGov publié aujourd'hui dans Arab News, c'est que l'Otan et les puissances européennes doivent s’efforcer d’agir davantage dans diverses régions du monde, et notamment au Moyen-Orient, pour expliquer leurs actions et défendre leurs positions. De nombreuses personnes interrogées se sont montrées très réservées, tout en souhaitant vivement la fin du conflit en Ukraine au plus tôt. 

Négliger la région, comme l'UE et les États-Unis l'ont récemment fait sur tant de questions, manque de vision. Le sondage montre pourquoi les personnes interrogées au Moyen-Orient ne comprennent pas la position occidentale sur l'invasion de l'Ukraine par la Russie. 

La confiance dans les puissances occidentales n'est pas vraiment grande au Moyen-Orient. Cela est compréhensible étant donné les antécédents coloniaux et hégémoniques de puissances telles que la Grande-Bretagne, la France et, plus récemment, les États-Unis. Tout le monde dans la région connaît les trahisons de Sykes-Picot et la déclaration Balfour. Tout le monde sait comment la guerre mal conçue par les États-Unis et le Royaume-Uni contre l'Irak en 2003 s'est avérée être un désastre dont l'Irak ne s'est pas encore remis. La Russie n'a pas à composer avec le même type d’héritage. 

En revanche, dans les États d'Europe de l'Est et de la Baltique qui vivaient sous le joug de l'Union soviétique, l’impression est entièrement différente. Ces pays se sentent menacés, tout comme la Finlande et la Suède qui sont en passe de rejoindre l'Otan. L'invasion russe a réuni les puissances de l'Alliance atlantique et l'Europe à une époque où les divisions ont été endémiques. 

Le sondage met en évidence la perception qu'il s'agit d'une guerre européenne et non d'une préoccupation directe pour la région. Elle a des répercussions extrêmement graves, mais ce n'est pas un conflit pour lequel il faut prendre parti. La plupart des pays veulent qu’il cesse, tout en souhaitant maintenir leurs relations avec la Russie comme avec les États-Unis. 

La médiation pour mettre fin à cette guerre désastreuse s'est avérée difficile pour les puissances européennes. Elles savent que le conflit a bouleversé la structure de sécurité qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Le défi est de savoir comment y mettre fin rapidement, tout en s'assurant que la situation sera permanente, qu’il ne s’agira pas seulement d’un cessez-le-feu, la guerre pouvant reprendre dans l’avenir à tout moment. Les puissances européennes ne veulent pas vivre dans l'ombre des menaces et de l'agression russes. Et les dirigeants russes ne veulent manifestement pas se sentir menacés par l'Otan.   

Le défi est de savoir comment offir à Poutine une porte de sortie d'Ukraine. Les forces russes n’y se sont pas bien comportées et la «guerre de trois jours» s'est poursuivie pendant trois mois, la Russie étant repoussée à la fois des limites de Kiev et de Kharkiv. 

Les forces ukrainiennes pourraient en fait gagner la guerre, mais cela pose également un problème quant à la dangerosité de l'ours russe blessé. Est-il sage d'humilier la Russie? Viser une victoire totale pourrait se terminer par une perte totale. 

Nombreux sont ceux qui ont critiqué des personnalités comme le président français, Emmanuel Macron, pour avoir poursuivi le dialogue avec le président Poutine. Ils ne peuvent pas en évaluer l’utilité. Ils ont peut-être raison, dans la mesure où le président russe semble très determiné, et peu susceptible de se retirer. De nombreuses voix arguent que le président Macron et le chancelier allemand, Olaf Scholz, pourraient affirmer en privé que l'Ukraine devrait perdre une partie de son territoire au nom d'une paix élargie, ce à quoi les Ukrainiens s'opposeraient.  

Scholz a appelé à «un cessez-le-feu en Ukraine le plus rapidement possible». Cependant, le chancelier allemand récemment élu a fait l'objet de critiques majeures au sein du Parlement allemand pour avoir traîné les pieds au sujet de l'Ukraine. Les dirigeants italiens ont également été réticents à être aussi directs que certains de leurs partenaires de l'Otan. La Hongrie sous la présidence d’Orban est à peine dans le camp européen concernant l’Ukraine et bloque toute nouvelle sanction contre la Russie, quitte à provoquer des remous majeurs avec ses voisins, en particulier la Pologne. 

Le contre-argument est celui de la force. La Russie a occupé et annexé la Crimée en 2014 et a déclenché une guerre dans l'est de l'Ukraine. Elle a envahi à nouveau l'Ukraine en 2022, et  avait déjà pénétré en Géorgie dans le passé et durement frappé la Tchétchénie. Comment s'assurer que la Russie se contentera de quelques territoires supplémentaires en Ukraine et s’arrêtera ensuite? Cela ne récompenserait-il pas non plus l'agression? Quel type de garanties de sécurité serait suffisant pour les États vulnérables, et pour l'Ukraine elle-même? 

La Russie a été mise militairement en difficulté, et ce n’est peut-être pas le moment de faire pression pour un accord? Celui-ci devra sans doute être audacieux, mais il faudrait inclure le retrait des forces russes au minimum en deçà des lignes de front du 24 février. La Russie voudra obtenir la levée des sanctions, ainsi que des garanties pour les populations d’origine russe dans l'est de l'Ukraine. 

Cela ne sera pas facile. La confiance n’existe pas. Les intermédiaires neutres auxquels toutes les parties font confiance ne sont pas volontiers disponibles. La Chine pourrait jouer un rôle mais elle est plus proche de la Russie. Israël et la Turquie ont tenté une médiation mais ont échoué. Sans un processus politique viable, les choses pourraient se détériorer rapidement. La crainte est que lors du prochain sondage d'opinion arabe, la crise ait englouti le Moyen-Orient, tout comme elle l'a fait en Europe, ce conflit ayant désormais une portée mondiale. 


Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique (Caabu), basé à Londres. Il travaille avec le conseil depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme avec mention en études arabes et islamiques à l'Université d'Exeter. Il a organisé et accompagné de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes.

Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com