Dans les prochaines années, les observateurs et analystes politiques se gratteront la tête dans tous les sens, dans une vaine tentative de comprendre pourquoi Benny Gantz, actuellement Premier ministre israélien en alternance, a entraîné son parti dans un gouvernement de coalition qui était mort-né – un gouvernement qui n’avait pour but de servir un seul et unique objectif : permettre à Benjamin Netanyahou d'échapper à son procès pour corruption.
Nous ne connaîtrons peut-être jamais la vraie raison de la décision de Benny Gantz de rejoindre la coalition gouvernementale avec Benjamin Netanyahou, prise avec la connivence de son principal partenaire du parti Bleu Blanc, Gabi Ashkenazi, un autre ancien commandant de l’armée israélienne. Est-ce la perspective de devenir Premier ministre à mi-parcours qui l’a attiré ? A-t-il agi animé par un sens des responsabilités, afin d’éviter de laisser le pays sans gouvernail après trois élections générales indécises ? A-t-il réalisé que le pays était au bord de l’effondrement avec la pandémie de coronavirus et croyait-il que lui et son parti joueraient les sauveurs, afin d’être ultérieurement récompensés dans les urnes? Ou était-ce une décision plus machiavélique, calculée dans l’optique où Netanyahou serait forcé de démissionner ou d’interrompre son mandat en raison de son procès pour corruption, lui permettant d’exercer le pouvoir plus rapidement que convenu ?
Benny Gantz a signé lui-même son suicide politique
Il y existe probablement une part de vérité dans tous ces scénarios expliquant que Gantz ait accepté de faire participer son parti à un gouvernement corrompu, même s’il est plus exact de parler de moitié de parti, l’autre moitié choisissant de rester dans l’opposition et s’en tenir à la promesse électorale de ne pas entrer dans un gouvernement dirigé par une personne mise en cause dans un grave procès pour corruption. Cependant ce qu’ont fait Benny Gantz et les membres les moins scrupuleux de son parti, cela n’est ni plus ni moins que signer leur propre suicide politique. Si l’on en croit les derniers sondages d’opinion, c’est qui se passera à la prochaine élection, bien que celle-ci arrive probablement plus tôt que prévu, avant même que Gantz n’ait eu la chance de succéder Netanyahou au poste de Premier ministre, conformément à l’accord de coalition. Le leader du parti Bleu Blanc se retrouvera à la tête d’un parti avec environ un quart des 36 députés élus lors des dernières élections générales.
Ce n’est donc pas une surprise si au cours des dernières semaines, le parti de Benny Gantz a montré ses muscles au sein du gouvernement et de la Knesset, en particulier pour s'opposer aux efforts incessants de Netanyahou qui tente de saper le processus démocratique afin de répondre à ses besoins juridiques personnels. De plus en plus, Bleu Blanc fait office de mini-opposition au sein du gouvernement. Il est assez étonnant qu'il ait fallu quatre mois à Gantz et à ceux qui l'ont suivi dans ce gouvernement pour découvrir ce que chaque observateur politique novice en Israël a toujours su : que Netanyahou, l'accusé, a renoncé à diriger le pays, à s'en occuper, et à se soucier de son peuple. Tout ce qui lui importe, c'est d’entraver son procès. Mais pourquoi un parti rival qui, il y a quelques mois à peine, se voyait comme une alternative à Netanyahou, se serait-il transformé en bouclier contre la justice, compromettant ainsi dans ce procédé son intégrité et ses chances de le remplacer un jour?
Bleu Blanc tombé dans le piège de Netanyahou
Peu à peu, les dirigeants de Bleu Blanc ont pris conscience de leur erreur fatale, alors qu’ils sont désormais considérés par leur propre électorat comme venant en aide à un Premier ministre censé être mis en cause dans une procédure pénale, et qui a démontré son incompétence dans la gestion de la pandémie de coronavirus. Se poser en opposants au sein même du gouvernement peut satisfaire les représentants de Bleu Blanc mais semble insuffisant pour sauver un parti qui s’enfonce si gravement dans les sondages et surtout dans une situation ou la société et l’économie se trouvent dans un état désastreux.
À ce stade, tout ce que le parti peut faire est de limiter les dommages qu’il s’est lui-même infligés ainsi qu’au pays en soutenant Netanyahou. En réalité, il est déjà probablement condamné s’il quitte le gouvernement, encore plus s’il y reste. Par conséquent, Bleu Blanc peut soit emprunter une voie honorable, quitter le gouvernement, le faire tomber, et en former un autre sans Netanyahou, soit ouvrir la voie à de nouvelles élections, dans lesquelles il sera réduit à une figure quasiment insignifiante, tout en perdant les prestigieux ministères de la Défense et des Affaires étrangères qu'il détient actuellement.
Ce que Gantz et Ashkenazi finissent progressivement et péniblement par comprendre, c’est que quoi qu'il arrive, Netanyahou n'a pas l'intention d'honorer l'accord de rotation du poste de Premier ministre. Ils se retrouvent finalement les mains vides, sans pouvoir et sans influence, ternis par leur alliance avec un Premier ministre corrompu et incapable de gérer la pandémie, puisqu’Israël a été le premier pays au monde à imposer un deuxième confinement, et qu’il occupe la troisième position dans le classement peu reluisant des décès per capita dus au coronavirus.
Le pays connaît également une augmentation du chômage, tout en ayant un Premier ministre qui exploite cyniquement la crise de la pandémie pour empêcher les manifestations de rue, et qui bloque une nouvelle loi budgétaire pour des considérations de politique personnelle.
Un ministre du parti Bleu Blanc a déjà démissionné du gouvernement et un autre a exprimé son désir de faire de même. La lettre de démission du ministre du Tourisme Asaf Zamir soulignait la méfiance à l’égard de Netanyahou - un sentiment partagé par tout le parti Bleu Blanc à la Knesset. Il semble qu'en soutenant le projet de loi interdisant les manifestations, le Premier ministre a fait en sorte que Bleu Blanc voie rouge. Ce qui était censé être un partenariat équilibré est devenu une humiliation et une marginalisation prolongées.
Peu à peu, les dirigeants de Bleu Blanc ont pris conscience de leur erreur fatale
Yossi Mekelberg
La première manifestation d’indépendance du parti a été la décision du ministre de la Justice, député Bleu Blanc, de former un comité pour nommer un Procureur permanent. Une décision qui a été prise aux yeux et à la barbe de Netanyahou, qui cherche désespérément à contrôler le processus de sélection, le prochain Procureur ayant en effet le pouvoir de se prononcer sur les mises en accusation pour de nouvelles allégations de corruption visant Netanyahou, et qui feront probablement l'objet d'une enquête de la police.
Bleu Blanc a peut-être fait trop peu, et trop tard, pour se racheter aux yeux des électeurs israéliens, mais il peut toujours prendre la décision honorable et responsable de se saborder. Cela offrira l'espoir qu'après les prochaines élections émerge un gouvernement vraiment désireux de faire face à la pandémie déchaînée et hors de contrôle, au lieu d'un dirigeant que les tribulations juridiques ont privé de bon sens, sans même parler d’intégrité ou de conscience morale.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales à la Regent University de Londres où il dirige le Programme des relations internationales et des sciences sociales. Il est également professeur associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias écrits et en ligne. Twitter : @Ymekelberg
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com