Après l’explosion du port de Beyrouth le mois dernier, plusieurs incendies se sont déclenchés au Liban, tel que celui de mardi dans un bâtiment conçu par Zaha Hadid, indiquant symboliquement que l’avant-gardisme et la créativité sont en train de mourir.
En même temps, les accrochages armés entre différents groupes gagnent en fréquence et en intensité, rappelant le début de la guerre civile. Malgré l’opinion de certains, ces armes et ces affrontements ne sont rien comparés à l’arsenal du Hezbollah et à son organisation tentaculaire. Ne vous méprenez pas, le seul groupe armé et organisé au Liban est le Hezbollah ; avec des drones, des unités militaires et des combattants entraînés par l'Iran, il pourrait être encore plus fort et mieux équipé que l'armée libanaise.
Le régime que le Hezbollah dirige au Liban est hérité des Syriens. Lorsque l’on regarde de près, rien n'a changé depuis le retrait des troupes d'occupation syriennes dans les années 2000 ; elles ont simplement été remplacées par celles du Hezbollah.
Ce groupe a gardé l’occupation intacte, à ceci près que l’influence iranienne est encore plus importante que ne l’était celle de la Syrie. Je le répète, c’est plus qu'un simple régime : c'est une occupation.
Alors que nous enquêtons sur la situation actuelle au Liban, il semble que nous oublions que les troupes syriennes qui occupaient le pays décidaient de la formation des gouvernements et prenaient également des décisions politiques importantes et locales. Tous les responsables publics, du président et du Premier ministre au petit fonctionnaire, étaient placés sous leurs ordres et devaient leur obéir.
Toute voix politique critique était éliminée par les forces d’occupation. Toutes les entreprises devaient passer par eux et la corruption était une condition pour réussir. Aujourd’hui, rien n’a vraiment changé. Le Hezbollah a remplacé le régime syrien et suit toujours le même agenda, tandis que la classe politique dirigeante continue d’obéir.
Toutefois, cette occupation et celle de la Syrie qui la précédait n’ont jamais suscité autant de condamnations ou de protestations que l'occupation israélienne de la Palestine. Les conséquences pour les populations respectives sont les mêmes. Peut-être même que les Palestiniens ont été mieux traités que les Libanais. L’occupation du Liban a causé l’émigration de nombreux citoyens qui pourraient ne jamais revenir si les conditions actuelles persistaient. Surtout si, comme aujourd’hui, le pays était toujours à feu et à sang.
Sur un plan personnel, mon père, feu Walid Abou Zahr, qui était propriétaire et éditeur d’un journal libanais dans les années 1970, a dû fuir à Paris après que ses bureaux aient été attaqués à l’artillerie lourde par un groupe armé mené par les Syriens en 1975.
Les attaques ne se sont pas arrêtées là car, même après s’être installé à Paris, il a continué de recevoir des menaces de mort, la plus importante étant l'explosion d'une voiture piégée en 1982 devant les bureaux d'Al-Watan Al-Arabi, rue Marbeuf. Tout cela parce qu'il s'était opposé à l'occupation militaire syrienne du Liban.
Malgré son refus d’abandonner face à ces menaces, il n’a reçu aucun soutien dans sa lutte contre l’occupation. Pire, ce fut même le contraire, les responsables libanais, du public et du privé, craignant les répercussions syriennes. D’où mon questionnement : quelle est la différence entre l’occupation syrienne ou celle du Hezbollah au Liban et l’occupation israélienne de la Palestine ? Les milliers de Libanais qui ont disparu dans les prisons syriennes ou ceux tués récemment sont-ils de moindre valeur ?
Au moins les Palestiniens ont eu des opportunités, une voie vers un État et une souveraineté. Des campagnes internationales de boycott ont été lancées pour les soutenir, mais qu’a-t-on fait pour les Libanais ? Au-delà de quelques initiatives caritatives, pas grand-chose.
La raison principale est que l'occupation et l'apartheid au Liban sont considérés comme acceptables simplement parce qu'ils sont maintenus par un pays arabe comme la Syrie auparavant, et le groupe autoproclamé du Hezbollah. Mais c'est surtout la lâcheté qui guide cette indignation à la carte. Les gens savent qu'ils peuvent condamner Israël et se sentir moralement supérieurs sans conséquence. En revanche, ils savent ce qu'ils risquent en condamnant le Hezbollah.
Même certains cercles culturels et intellectuels du Liban détournent rapidement l’attention de l’occupation de leur pays vers l’occupation israélienne. C’est parce que la force d’occupation du Liban contrôle ces cercles et leurs pensées depuis les années 1980, les poussant à justifier leurs actions en focalisant l’attention sur l’occupation israélienne de la Palestine tout en qualifiant le Hezbollah de groupe de résistance. C'est de l'hypocrisie, et c'est aussi la peur qui guide leur voix : la peur des représailles menées par cette milice soutenue par l'Iran.
Alors pourquoi les Libanais devraient-ils accepter ce fait accompli avec pragmatisme et embrasser l’occupation iranienne de leur pays, alors que les Palestiniens, dont les dirigeants ont gâché de nombreuses opportunités, bénéficient du soutien du monde et méritent justice, stabilité et un règlement de paix égal ? Où est la justice pour les Libanais contre le Hezbollah ? Pourquoi les Palestiniens, tout comme les Libanais, ne devraient-ils pas accepter la situation actuelle avec pragmatisme et signer le meilleur accord de paix disponible et passer à autre chose ?
Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai vu de mes propres yeux l'émigration forcée ou la mort de toute voix significative au Liban. Alors même que nous parlons d’Israéliens usant de la démographie pour accroître leurs zones de contrôle, l’occupation syrienne et le Hezbollah n’ont-ils pas fait de même ? Cette occupation a contraint beaucoup de personnes à quitter le Liban, principalement les maronites et d'autres communautés chrétiennes.
Les gens savent qu'ils peuvent condamner Israël et se sentir moralement supérieurs sans conséquence. En revanche, ils savent ce qu'ils risquent en condamnant le Hezbollah.
Khaled Abou Zahr
Le Liban est en train de perdre cette communauté qui fait toute sa spécificité : une nation différente des autres pays de la région ; un subtil mélange d'Orient, de Méditerranée et d'Europe. Sans sa population chrétienne, le Liban n'est tout simplement pas le Liban. Ce n’est pas une coïncidence si c’est précisément cette minorité chrétienne qui fuit aujourd’hui. En les perdant, le pays se perd du même coup.
L’occupation par le Hezbollah vise à détruire la diversité et la créativité, imposant plutôt une ligne de pensée unique et une uniformité complète du pays. L'Iran et la Syrie — les véritables forces d'occupation — affirment qu'ils protègent les minorités alors qu'ils les tiennent en otage. Il s’agit en fait d’une structure religieuse communiste qui détruit l’esprit d’initiative et la créativité, piliers de l’identité libanaise. En effet, c'est la diversité — le mélange de chiites, de sunnites, de maronites, d’orthodoxes, de druzes et de juifs — qui crée et fait perdurer la prospérité et la richesse. C'est ce qu'est et devrait être le Liban. Je demande donc aux dirigeants internationaux : où sont la justice et le processus de paix pour le Liban ?
Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur d'Al-Watan Al-Arabi. Twitter : @KhaledAbouZahr
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français
Ce texte est la traduction d ‘un article paru sur www.ArabNews.com