Ma première tribune de l'année dernière s'intitulait «Le changement en Syrie pourrait être l’événement cygne noir de la région en 2024». Le départ de Bachar el-Assad du pouvoir a clôturé l'année 2024. J'ai conclu cet article d'il y a 12 mois en disant qu'un tel événement pourrait «changer la situation du Moyen-Orient d’une manière inédite depuis l’époque de la décolonisation et de l’indépendance».
On assiste en effet à un réalignement des intérêts au Moyen-Orient qui pourrait réserver des surprises et de nouvelles alliances. Le rôle central historique de la Syrie dans la région permettra de faire avancer les choses. C'est également une nouvelle page qui s'ouvre pour le Liban. Ces dernières années, le dossier libanais avait été mis de côté alors que la Syrie était en ébullition. Alors que diverses forces s'affrontaient sur le terrain en Syrie pour une issue inconnue, le Liban ne valait plus la peine. Il ne servait à rien, au-delà de quelques rafistolages diplomatiques internationaux, de s'engager fermement en faveur du Liban avant que Damas ne redevienne stable. Le Liban était secondaire.
Damas est maintenant sur cette nouvelle voie. En bref, Téhéran ne pourra plus utiliser la Syrie pour étendre son influence, tant sur le plan militaire que politique, au Liban et au-delà. C'est ce que le régime Assad avait négocié avec l'Iran depuis le début des années 1980, en étant son extension logistique arabe. Mais le changement d'aujourd'hui s'accompagne d'un nouvel équilibre des forces et des influences. Le pays a encore un chemin difficile à parcourir avec ses problèmes intérieurs et un nouveau rôle régional à déterminer.
Nous pouvons néanmoins commencer à nous demander, à juste titre, quel en sera l'impact sur le Liban. Comment Beyrouth pourra vivre ce changement? Sera-t-il question d'un véritable changement ou d'une répétition de la même chose sous une nouvelle bannière? Les réponses ne viendront pas seulement des accords géopolitiques, mais elles sont aussi clairement entre les mains des Libanais.
Les premiers signes ne sont pas encourageants. Avec des défaites et des victoires, la vieille garde des politiciens libanais est prête à relancer son influence politique par la voie qu'elle connaît le mieux, celle de Damas. De toute évidence, le Hezbollah est sur la défensive et acculé politiquement et militairement. Il dispose d'un stock d'armes réduit et non renouvelable après avoir été durement touché par Israël. Pourtant, la voie à suivre ne sera pas facile.
Il est temps de procéder à un changement réel et complet, qui ne peut se faire aujourd'hui qu'avec un nouveau système fédéral. La plupart des experts fidèles à la vieille garde (de tous bords) ont décrit le fédéralisme comme le début d'une nouvelle guerre civile ou d'un plan de sécession. En réalité, c'est le contraire et l'une des meilleures options pour maintenir l'unité et la sécurité du Liban. Il n'y a pas de meilleur moyen d'apporter la stabilité qu'en donnant à chaque communauté plus de liberté dans ce qui lui importe.
Nous devons réduire la peur et atténuer la cupidité. Le fédéralisme est le meilleur moyen d'atteindre ces deux objectifs. La peur et la cupidité sont des facteurs de risque. Il est temps de choisir un système politique qui les annule toutes les deux. Le fédéralisme, en donnant le pouvoir à chaque communauté, libérerait le Liban de cette vieille dynamique.
Il n'y a pas de meilleur moyen d'apporter la stabilité qu'en donnant à chaque communauté plus de liberté dans ce qui lui importe.
Khaled Abou Zahr
Rien sur le terrain ne devrait menacer les communautés et la remise de l'arsenal du Hezbollah est donc être une nécessité. C'est le seul moyen de donner le feu vert initial au respect de la plus importante institution aujourd'hui – l'armée libanaise. Il est urgent qu'elle assume son véritable rôle pour le bien du pays. Par la suite, il est urgent d'établir une forte stabilité sans démanteler les institutions existantes, malgré leurs faiblesses, tout en poursuivant simultanément une refonte complète.
Nous savons aujourd'hui que l'histoire n'est jamais finie. Et au Moyen-Orient, des revirements peuvent se produire et ce qui a été fait peut être défait, surtout dans des situations instables. Cela vaut également pour la Syrie. Tout en laissant le peuple syrien décider de son propre avenir, il est grand temps de dissocier et de dérisquer les deux dossiers. Nous devons maintenant choisir le Liban et éviter d'être trop influencés par la Syrie. Nous avons besoin de relations bilatérales positives et pacifiques. Cependant, nous ne voulons pas que le destin politique du pays soit le résultat d'un jeu d'équilibre entre les influences régionales.
Je ne souhaite pas m'aligner sur un homme politique simplement parce que nous appartenons au même groupe. Je veux m'allier à un homme politique qui apporte une véritable vision pour le pays et qui est capable de l'exécuter. En mettant de côté la cupidité et la peur, nous donnons à une nouvelle génération une chance de voir ce type de leadership, et pas seulement un numéro d'équilibriste géopolitique qui met en avant le bon faiseur d'affaires contre le solide bâtisseur de pays.
Ce que nous ne comprenons pas, c'est que le changement au Levant est souvent inattendu, différent de ce à quoi les analystes s'attendaient. Le Liban, en raison de son agitation constante, semble s'adapter à ce changement. Pourtant, alors que nous pouvons tous constater les prémices d'une nouvelle bataille pour une transformation extrême, je ne sais pas quelle direction elle prendra. Mais je suis certain qu'en l'absence d'un nouveau pacte politique construit sur un nouveau système tel que le fédéralisme, les risques de glisser vers un chaos encore plus grand, comme ceux que nous avons connus à l'époque de la «décolonisation et de l'indépendance», sont réels.
Je sais néanmoins que, pour éviter les cycles d'assassinats ou pire que cette phase pourrait engendrer, le peuple libanais doit se serrer les coudes, toutes religions confondues, et proposer une solution politique viable avant qu'on ne lui en impose une.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plate-forme de financement axée sur l’espace. Il est PDG d’EurabiaMedia et rédacteur en chef d’Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com