Lorsque le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah est passé à la télévision après la terrible explosion à Beyrouth ce mois-ci, il souriait tout au long de son discours. Il souriait car il savait qu’en dépit du tollé et de toutes les visites des personnalités étrangères, l’indignation et les accusations seraient de courte durée.
Il savait également que l’enquête du Tribunal spécial pour le Liban sur l’assassinat de Premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005 n’aboutirait pas à des accusations directes contre son groupe, et que dans tous les cas, aucun verdict ne pourrait être rendu sans son approbation. Il sait cela car c’est son régime qui tient le Liban d’une main de fer alors que le pays s’effondre.
Outre son arsenal militaire, il sait que son groupe possède quelque chose qui manque toujours à ceux qui s'opposent à lui : la discipline, l’unité et l’homogénéité. Son allié, le président Michel Aoun, fait en sorte que son organisation ait les mêmes caractéristiques. Leur unité est toujours solide comme un roc, tandis que l’opposition politique traditionnelle auto-proclamée, composée des restes de l’Alliance du 14 mars, s’unit et se divise dépendamment des intérêts tactiques et est à présent en pleine débâcle.
Les manifestations qui ont suivi l’explosion à Beyrouth n’ont pas duré longtemps, ce qui prouve l’épuisement du peuple et l’absence de chef. C’est le même thème qui revient souvent depuis 15 ans. Après l’assassinat de Hariri, l’opposition politique à l’occupation syrienne a provoqué des manifestations à une échelle sans précédent et, suite à la pression internationale, l’armée syrienne s’est retirée. C’était l’une des seules fois où l’opposition a réussi à réaliser une grande victoire. Cependant, alors que les Syriens se retiraient, ils ont laissé les clés du Liban avec le Hezbollah, et depuis lors, l’opposition est désorganisée et manque surtout de vision, malgré leur capacité à mobiliser de larges manifestations auparavant.
Le régime syrien au Liban et son successeur étaient très focalisés sur l’élimination de tout leadership capable de créer cette même unité, discipline et homogénéité que possèdent leurs mouvements. Ceux qui refusaient de négocier la souveraineté du pays, ceux qui n’acceptaient pas un consensus sur les valeurs de la nation, ceux qui rassemblaient le peuple et créaient le militantisme nécessaire pour la réalisation de ces objectifs difficiles ont tous été éliminés — d’une manière ou d’une autre.
Toutefois, entre assassinat des plus forts et intimidation des plus faibles, le Hezbollah a gardé l’opposition en piètre état, incapable de miser sur les foules immenses et leurs manifestations de soutien spontanées. Des centaines de milliers, voire des millions, pouvaient descendre dans les rues sans que rien ne soit accompli au niveau politique.
L’une des raisons majeures est le manque d’unité, d’homogénéité et de vision susmentionnés parmi une opposition qui agit plus comme un ensemble de tribus que comme un mouvement politique cohérent. Ils échouent systématiquement à remporter des victoires significatives et acceptent à la place l’objectif le plus facile de réaliser des gains politiques temporaires et éphémères. Habituellement, cela signifie simplement la démission du dernier gouvernement ou la promesse de nouvelles élections, alors que le régime reste intact.
L’opposition est incapable de réaliser quoi que ce soit de substantiel car elle est composée de milliardaires, de socialistes et de chefs de clan ; par conséquent, leur processus de prise de décision et leur alliance sont voués à craquer en raison d’intérêts contradictoires et d'une tendance à se blâmer face à des revers et des échecs.
Le Hezbollah, cependant, et Aoun dans une certaine mesure, ont construit au sein de leurs organisations respectives une croyance et une idéologie communes auxquelles tous sont attachés. Les chefs de clan, en revanche, ne défendent que leurs propres intérêts personnels.
La puissance du militantisme et de l’organisation du Hezbollah, ainsi que le respect de sa hiérarchie, font partie des atouts principaux qui manquent aux autres partis. Ceci permet à la minorité bien organisée d’imposer le changement à la majorité désorganisée.
En d’autres termes, la majorité sait manifester mais lorsqu’ils rentrent chez eux, il n’y a aucune organisation politique forte capable de se baser sur leurs efforts pour réaliser un changement politique significatif, donc tout est perdu.
Par conséquent, Nasrallah peut sourire et attendre, parce qu’il sait que s’il tue le temps, rien ne se produira, rien ne changera. Même si tous les présidents et rois du monde viennent au Liban pour offrir leur soutien, et même si de nombreuses enquêtes internationales sont lancées, rien ne pourra desserrer son emprise sur le pays.
Un autre point à retenir, que cela plaise ou non, est que le Hezbollah et Aoun ne dénoncent pas leurs amis. Ils protègent et soutiennent les membres de leurs groupes pleinement et inconditionnellement, qu'ils aient raison ou tort. Si l'un d'entre eux est calomnié ou attaqué, ils ripostent contre la source de la pression, quelle que soit la personne, avec toute leur puissance et leur force. Tous les membres peuvent compter sur une protection et un soutien complet.
L’opposition, quant à elle, laisse souvent tomber ses propres membres lorsqu’ils sont confrontés à des accusations qu’elle considère sérieuses, telles que des affirmations selon lesquelles un individu « collabore avec Israël », ou qu'il fait des sacrifices de plein gré pour un accord politique. Par exemple, si Gebran Bassil faisait partie d'une autre organisation que le Courant patriotique libre, il aurait été destitué et abandonné depuis longtemps.
La question est donc de savoir qui est la véritable opposition maintenant. Les dirigeants de l’Alliance du 14 mars ont conclu trop d’accords politiques avec le Hezbollah et ont été à l’intérieur et à l’extérieur de gouvernements dans lesquels le Hezbollah dirigeait. Alors même que le people libanais souffre toujours, ils discutent de la formation d’un nouveau gouvernement comme si de rien n’était — ils ne sont pas du tout inquiets et ne se soucient guère des cris du peuple.
L’opposition ne s’oppose plus à un gouvernement mais à un régime. Les organisateurs des manifestations affirment qu’ils sont la nouvelle opposition, qu’ils n’ont pas de chef et qu’ils sont issus de toutes les religions et de tous les horizons politiques. Ils appliquent une méthode d'organisation décentralisée qui pourrait les empêcher d'être ciblés mais qui ne leur permettra pas d'atteindre des objectifs politiques significatifs et tangibles. Les objectifs les plus importants sont le retour à la pleine souveraineté et le désarmement du Hezbollah.
Quoi qu'il en soit, l'opposition a, pour l'instant, épuisé sa capacité à mobiliser et à soutenir de grandes foules, tout comme le garçon qui criait au loup. N'oublions pas non plus que le Hezbollah et le mouvement Amal agissent rapidement lorsque cela est nécessaire, pour empêcher une manifestation de prendre de l'ampleur.
Cette nouvelle opposition souffre également du principal défaut de ses prédécesseurs, qui est l'absence d'une vision politique unifiée et d'objectifs politiques clairs. Nous avons récemment vu des dirigeants mondiaux, en particulier des Européens, se rendre au Liban et, essentiellement, faire ce que l’opposition libanaise a fait : prendre des photos, faire de grandes déclarations et passer à autre chose. Une fois qu'ils comprennent la réalité de la situation et que leur attention revient sur leurs propres intérêts nationaux, leur ton change et le soutien international s'éloigne.
La majorité sait manifester mais lorsqu’ils rentrent chez eux, il n’y a aucune organisation politique forte capable de se baser sur leurs efforts pour réaliser un changement politique significatif.
Khaled Abou Zahr
Franchement, ceux qui viennent observer par eux-mêmes les forces politiques au Liban ne voient pas d’alternative viable au régime actuel. Donc, mis à part les États-Unis qui sont clairs sur leur position, ils commencent tous à repousser les accusations contre le Hezbollah et à proposer la même idée stupide de former un gouvernement d'unité nationale ou un gouvernement technocrate, proposition que la vieille opposition, qui fait désormais partie du régime du Hezbollah, leur a chuchoté à l'oreille.
À moins de changements régionaux majeurs, il n'y a malheureusement que quelques scénarios qui auraient un résultat positif pour le peuple libanais. Peut-être que si Nasrallah se souvenait qu’en 1996, grâce au rôle de Rafik Hariri, le Hezbollah avait conclu un accord informel avec Israël, qui définissait essentiellement les règles d’engagement, il serait peut-être prêt à accorder au peuple libanais et à l’État le même type d’accord, en souriant aux caméras de télévision et en les ciblant avec violence.
Khaled Abou Zahr est PDG d'Eurabia, une société de médias et de technologie. Il est également le rédacteur d'Al-Watan Al-Arabi.
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com