Les relations entre l’Égypte et Israël ont connu bien des vicissitudes depuis que les deux pays ont signé l’accord de paix en 1979. Cependant, ce lien s’est avéré assez solide et, fondé sur la base d’intérêts communs, suffisant pour surmonter les épreuves et les turbulences.
Pendant les années qui ont suivi, il était plus question de paix entre les gouvernements que de paix entre les peuples, puisque de nombreux Égyptiens s’opposent à des relations cordiales avec Israël tant qu’il n’y aura pas de solution juste et équitable à la cause palestinienne.
Cependant, au cours des dernières années, d’autres enjeux ont pris le dessus et des liens stratégiques plus étroits ont rapidement été établis entre les deux pays, bien qu’ils n’aient pas été accompagnés d’un engagement économique ou d’une participation de la société civile.
La rencontre qui a eu lieu la semaine dernière entre le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, et le Premier ministre israélien, Natfali Bennett, à Charm el-Cheikh, est la première en plus d’une décennie entre les dirigeants des deux pays. Elle revêt une importance particulière d’une part en raison des questions fondamentales qui ont été abordées, et de l’autre, pour l’accueil chaleureux que le président égyptien a réservé à M. Bennett.
Le Caire entretient de plus en plus de relations qui vont au-delà des simples liens commerciaux. En effet, la réunion a duré plus longtemps que prévu et a bénéficié d’une grande couverture médiatique. De même, les drapeaux israéliens flottaient au vu et au su de tous. Il est également possible que les accords d’Abraham, conclus l'année dernière, aient donné un coup de pouce aux relations entre ces deux pays voisins.
Ces dernières années, des menaces graves ont mis en péril la sécurité intérieure de l’Égypte qui considère la coopération avec Israël comme un élément important dans l’éradication des groupes extrémistes comme Ansar Bayt al-Maqdis, qui a prêté serment d’allégeance à Daech en 2014. Ce mouvement extrémiste cherche à la fois à établir une entité islamiste dans la péninsule du Sinaï et à détruire Israël. Par ailleurs, il s’est montré capable de mener de nombreuses opérations meurtrières, visant fréquemment les convois militaires égyptiens avec des engins explosifs improvisés et attaquant les postes de contrôle de la police. Ce groupe a tué des centaines de soldats, de policiers et de civils.
La collaboration en vue de contrôler ce mouvement et des mouvements similaires qui opèrent dans le Sinaï est devenue un pilier important des relations égypto-israéliennes. Cette collaboration a même conduit Israël à revoir certaines dispositions inscrites dans l’accord de paix de 1979 quant à son assentiment concernant la présence militaire égyptienne croissante dans le Sinaï – une présence qui dépasse désormais de loin les limites approuvées dans ce traité. De plus, c’est l’Égypte, selon plus d’une source, qui s’est tournée vers Israël pour obtenir l'aide de son armée de l'air, avec ses drones, ses hélicoptères et ses avions de chasse, pour cibler les insurgés islamistes.
De même, Israël a besoin de l’aide de l’Égypte dans ses relations avec le Hamas. Depuis que le Hamas est arrivé au pouvoir à Gaza, Le Caire a négocié des cessez-le-feu à chaque fois que des hostilités meurtrières ont éclaté le long de la frontière entre Israël et Gaza. Pour Israël, le Hamas à Gaza constitue un défi critique et continu – bien que non existentiel – dans un conflit où l’Égypte est l’intermédiaire le plus enclin à trouver une solution à long terme.
Aux yeux des stratèges israéliens, le Hamas ne constitue pas de menace au même titre que l’Iran ou même le Hezbollah mais représente une menace constante qui renforce également ses capacités à chaque série d’affrontements.
De plus, le sévère blocus imposé à Gaza continue d’attiser la haine contre Israël, d’attirer les critiques de la communauté internationale et de compromettre les espoirs d’une amélioration des relations avec d’autres pays arabes. Dans de telles circonstances, les affrontements entre Israël et le Hamas sont toujours imminents – ce qui a une incidence sur le discours local en Égypte et fournit des munitions à ceux qui s’opposent à des relations plus étroites avec Israël. Le nouveau gouvernement israélien semble cependant plus réceptif à un accord qui améliorerait les conditions de vie à Gaza en échange du retour au calme le long de la frontière, en particulier un accord négocié par l’Égypte, qui éviterait le besoin de contact direct avec le Hamas.
L’Égypte tient à jouer le rôle de médiateur à Gaza et, peut-être, dans toute négociation de plus grande envergure entre Israël et les Palestiniens, car cela apaiserait les tensions sur le plan interne, réduirait le risque d’un nouveau conflit entre le Hamas et Israël – qui pourrait alimenter l’extrémisme dans la région – et, non moins important, améliorerait l’image du Caire à Washington. Pour ce dernier objectif, M. Al-Sissi aura besoin du soutien de Naftali Bennett.
Le Caire entretient de plus en plus de relations qui vont au-delà des simples liens commerciaux. En effet, la réunion a duré plus longtemps que prévu
Yossi Mekelberg
À cette fin, le gouvernement israélien pourrait s’avérer utile; par conséquent, l’amélioration des relations entre l’Égypte et Israël et sa coopération pour empêcher les relations israélo-palestiniennes de se détériorer pourraient être bien accueillies par l’administration Biden.
Une autre question qui commence à peine à être abordée est le potentiel de rapports économiques et commerciaux plus étroits entre l’Égypte et Israël. Après quarante ans de paix, le volume des échanges entre les deux pays représente moins d’un cinquième du commerce d’Israël avec les Émirats arabes unis (EAU), un an seulement après la signature des accords de normalisation.
L’Égypte ne s’oppose pas à des relations économiques étroites et bénéfiques avec Israël mais Le Caire se méfie de la réaction populaire à de tels développements, qui n'ont jusqu'à présent donné lieu qu'à des opportunités touristiques limitées, sans parler de l'insuffisance de la collaboration scientifique, culturelle et de la société civile.
Pour Israël, la dimension officielle est ce qu’il désire, car cela signifierait la validation, la reconnaissance et l’acceptation du pays. Le sommet de Charm el-Cheikh pourrait être un premier pas vers la transformation de la paix froide entre l’Égypte et Israël en une paix plus chaude. Il exigera cependant des deux parties qu’elles restent conscientes des sensibilités et des besoins nationaux et internationaux de l’autre, et qu’elles soient prêtes à faire des concessions conformément à celles-ci.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter : @Ymekelberg
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com