L'Égypte vient de commémorer le dixième anniversaire de « la révolution du 25 janvier » qui avait conduit à la fin du long règne du président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis octobre 1981.
Ces événements mémorables ont eu un impact décisif sur le paysage politique arabe durant les années précédentes.
La fin du régime de Moubarak ne fut pas en effet une simple transformation interne du régime politique, mais un épisode fondateur et structurant de la nouvelle configuration du champ politique arabe.
Le président Moubarak était le dernier représentant d'un ordre politique en voie d'extinction. Il s'agit ici de l'ordre issu de la deuxième guerre mondiale avec ses caractéristiques spécifiques : le rôle central de l'institution armée dans la vie publique, le monolithisme idéologique institué par « la révolution du 23 juillet » et réajusté au régime multipartiste des années 1990, le dirigisme économique à visage socialiste étatiste.
Bien que des failles notoires aient surgi dans ce système durant les dernières années du régime de Moubarak, qui a affronté sans succès les défis de transition politique et de demandes sociales pressantes, les événements du 25 janvier ont été vécus dans la rue égyptienne comme un soulèvement révolutionnaire radical et une rupture décisive avec tout un ordre politique et social ayant succombé aux dynamiques de changement.
Toutefois, les premières semaines de la transition, assurée par le conseil militaire, ont laissé dévoiler au grand jour le décalage profond entre la demande citoyenne et libérale portée par la jeunesse qui a occupé le domaine public et imposé le changement et les forces idéologiques organisées et bien implantées dans les marges de la société civile (la mouvance des Frères musulmans qui s'est constituée promptement en parti politique.
Les mécanismes électoraux déployés dans la précipitation n'auraient pu conduire qu'à l'accaparement du pouvoir au profit candidat de la secte idéologique, en dépit du rejet des élites qui ont porté le projet de réforme libérale, et de la jeunesse « révolutionnaire » qui a été le véritable catalyseur du changement.
Il s'en est suivi un dilemme insoluble : le régime issu du processus électoral n'a pu asseoir sa légitimité politique, une nette coupure entre l'aspect institutionnel public du pouvoir exécutif et son interférence effective avec l'organe politique dirigeant ayant fini par engloutir les acquis de l'événement révolutionnaire fatidique.
En s'abstenant de se plier à la demande de la rue contestataire, pour un nouveau recours à l'arbitrage électoral, le régime des Frères musulmans s'est entièrement coupé de la classe politique, qui s'est de nouveau alignée à l'institution armée pour le redressement de la situation politique et sécuritaire devenue chaotique.
En s'abstenant de se plier à la demande de la rue contestataire, pour un nouveau recours à l'arbitrage électoral, le régime des Frères musulmans s'est entièrement coupé de la classe politique, qui s'est de nouveau alignée à l'institution armée pour le redressement de la situation politique et sécuritaire devenue chaotique.
Le soulèvement du 30 juin 2013 peut être considéré dans ce sens comme l'épisode complémentaire de la dynamique révolutionnaire de 2011.
Trois grands défis ont largement émergé de cette révolte rectificative :
Le premier ayant trait au modèle politique, et concerne la vive discussion sur les rapports intrinsèques organiques entre l'aspect liberal de la démocratie qui est son fondement normatif et régulateur et ses mécanismes procéduraux qui ne pourraient être efficients et efficaces sans cet ancrage conceptuel et idéel. Cette leçon égyptienne a engendré un vrai débat d'idées dans la pensée politique arabe où les idéaux de lumière et de modernisme peinent à s'implanter durablement.
La question des entraves culturelles et sociales au changement démocratique revient aujourd'hui au jour dans un monde arabe désabusé.
Dans la continuité avec le paradigme de « la servitude volontaire » (Étienne De la Boétie), le sociologue mauritanien Abdel Wedoud ould Cheikh a mis en évidence la pérennité de « la demande despotique » dans les sociétés arabo- africaines modernes.
Le deuxième défi concerne la problématique politico - religieuse dans les démocraties arabes naissantes. L'équivoque à éclaircir ici a trait au statut de la religion dans l'espace public. Si un large consensus est établi sur le fondement référentiel et culturel de l'islam comme religion d'état et source de législation, l'instrumentalisation de la religion dans le champ politique s'est avérée nocive et dangereuse dans les contextes d'ouverture démocratique. L'expérience égyptienne en est une illustration riche de sens.
Le troisième défi concerne les exigences de paix civile dans les circonstances mouvementées d’un changement politique radical. Dans de telles conjonctures, la pérennité de l'état pourrait être en jeu, d'où la nécessité d'accorder la priorité aux institutions de base de la collectivité nationale. Dans ce cas aussi, l'expérience égyptienne est édifiante et instructive.
Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.