L'objection de conscience au service militaire n'est pas un phénomène nouveau. Il a été relevé pour la première fois dès le IIIe siècle, lorsque Maximilien de Numidie a refusé de s'enrôler dans l'armée romaine pour des raisons religieuses. Les Romains, qui étaient pris par le fait d’occuper et d’annexer ce qui est aujourd’hui l'Algérie de l’est, ont montré peu de sympathie pour son opposition à l'usage de la violence et l'ont exécuté.
Cependant, dans les années qui ont suivi, l'humanité est devenue plus compréhensive envers des points de vue similaires à ceux de Maximilien et, vers la fin du siècle dernier, l'ONU a reconnu le droit à l'objection de conscience, qui découle du droit à la liberté de pensée, de religion et de conscience, énoncée dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Les objecteurs le font lorsque le service militaire entre en conflit avec leur système de valeurs, qu'il découle de croyances religieuses ou laïques, et qui pourrait être ancré dans la politique de droite ou de gauche.
Compte tenu de l'implication sans fin d'Israël dans la guerre et les conflits, il n'est pas surprenant que le phénomène de l'objection de conscience y ait pris racine et que le nombre d'objecteurs de conscience ait augmenté à mesure que le pays s'impliquait davantage dans des «guerres choisies» et une occupation oppressive, plutôt que des guerres d'autodéfense.
Le nombre croissant de ceux qui refusent de s'enrôler dans l'armée est l'un des secrets les mieux gardés d'Israël, car c'est une vérité qui dérange dans un pays qui a créé un principe ayant sanctifié le service militaire et utilisé l'idée d'être prêt à faire le sacrifice ultime pour défendre le pays, en tant que grand levier fédérateur et façonneur de son identité nationale. Dans la mesure du possible, les autorités préfèrent fermer les yeux sur ceux qui refusent de s’engager afin d'éviter la publicité négative qui accompagne ce problème.
Quant aux refuzniks, ils ont des raisons différentes pour leurs actions. Certains refusent toutes les formes de service obligatoire, d'autres sont des réservistes, et il y a ceux qui sont sélectifs quant aux rôles et missions auxquels ils sont prêts à participer. Le dernier groupe comprend ceux qui soutiennent les colons illégaux en Cisjordanie et refusent de les affronter lorsqu'ils en reçoivent l'ordre.
Au courant de cette année, un groupe de soixante lycéens, à quelques mois d'être légalement obligés de servir dans les forces armées, a signé une lettre adressée au Premier ministre de l'époque, Benjamin Netanyahou, et au chef d'état-major des Forces de défense israéliennes, exprimant leur objection de principe à l'enrôlement. Avec éloquence, ils ont déploré ce qui était advenu de Tsahal, arguant que, de nos jours, compte tenu des missions que l'on demande aux soldats, c'est un acte tout aussi politique de rejoindre l'armée que de refuser de s’y enrôler.
Que l'on soit ou non d'accord avec la position prise par ces jeunes hommes et femmes, ils méritent un respect considérable pour leur réflexion et leur clarté d'esprit, et pour le fait de se soucier de l'érosion morale de leur pays à la suite de l'occupation des terres palestiniennes. Ils le font tout en sachant pertinemment que leur prise de position se terminera par des peines de prison d'une durée indéterminée, car ils seront à la merci de décisions totalement arbitraires de la part de tribunaux militaires, qui avec de nombreux segments de la société israélienne, sont prêts à leur infliger de lourdes peines et en faire un exemple.
Le mouvement des objecteurs de conscience en Israël s'est considérablement développé depuis son émergence, il y a cinquante ans, et ses messages sont devenus plus audacieux
Yossi Mekelberg
Cependant, la question est plus complexe. Outre le fait que les objecteurs de conscience en Israël sont largement surpassés en nombre par ceux qui sont désireux de s’enrôler, et souvent en première ligne, il existe également des menaces tangibles contre le pays de la part de l'Iran, du Hezbollah et d'autres mouvements islamistes radicaux, certains trouvant leur source auprès des Palestiniens.
Cela a créé un véritable dilemme pour les étudiants refuzniks, depuis que la toute première lettre de cette nature a été envoyée par des lycéens à un Premier ministre israélien en 1970. Bien que certains s'opposent à tout type de service militaire – et ils représentent une approche pacifiste légitime –, pour la plupart, le problème central est la question palestinienne. Ces jeunes sont catégoriques sur le fait qu'ils ne participeront pas aux humiliations et aux violations quotidiennes des droits humains des Palestiniens.
De plus, ils s'opposent au fait d’être envoyés pour protéger les colons et les colonies et, ce faisant, devenir un outil entre les mains de tout gouvernement israélien cherchant à empêcher un État palestinien indépendant de voir le jour.
Cependant, leur absence de participation au service militaire crée un autre dilemme moral: cela laisse les Palestiniens, que ce soit aux postes de contrôle, lors d'arrestations ou de soumission à tout autre type de confrontation avec les forces de sécurité israéliennes, à la merci de soldats qui pourraient être moins concernés qu'eux quand il s'agit du respect des droits humains d'autrui. Pourtant, si l'on croit que la source du mal est l'occupation elle-même, alors toute forme de participation à celle-ci est mauvaise et l'atténuer devient une recette pour sa prolongation.
Le mouvement des objecteurs de conscience en Israël s'est considérablement développé depuis son émergence, il y a cinquante ans, et ses messages sont devenus plus audacieux. D'objecteurs de principe mais toujours acceptant de participer au service militaire, il y a une nouvelle génération qui est plus sûre d’elle-même et moins effrayée par les autorités militaires ou par les sanctions sociales.
Depuis les années 1980, l'évolution de ce mouvement s'est accélérée et s'est davantage institutionnalisée. Dans mon esprit, cela est en corrélation étroite avec trois développements.
Premièrement, l'accord de paix avec l'Égypte a souligné le fait qu'une politique israélienne plus flexible avait de meilleures chances de parvenir à la paix et la sécurité qu’une insistance sur la puissance militaire.
Deuxièmement, la guerre de 1982 au Liban, qui a été le premier exemple clair d'une «guerre choisie», interférant dans les affaires intérieures d'un pays voisin, tout en lui infligeant des destructions incommensurables, sans parler du coût élevé pour Israël lui-même en termes de pertes en vies humaines et relations tendues avec les amis et les ennemis, et tout en n’en tirant aucun avantage stratégique. Cela a conduit la même année au lancement du mouvement Yesh Gvul («Il y aune limite»), qui s'est fixé pour objectif de soutenir les refuzniks et les objecteurs de conscience.
Troisièmement, la première Intifada, au cours de laquelle des milliers de soldats israéliens, de conscrits et de réservistes, entraînés pour affronter des forces régulières, se sont affrontés à – et opprimé – principalement des civils, dont la demande de la fin de l'occupation israélienne a trouvé un écho chez de nombreux soldats.
Les objecteurs de conscience sont peut-être relativement peu nombreux, mais dans leur détermination, leur volonté de passer un certain temps en prison pour leurs convictions et l'éloquence de leurs arguments, ils ébranlent l'un des consensus les plus sacrés d'Israël: celui de servir dans l'armée.
Plus l'occupation et l'oppression des Palestiniens dureront, plus ce mouvement se sentira disculpé et confiant dans le fait de continuer à être une conscience morale pour les autres, et le fait de se demander si faire son service militaire sans se poser de questions est plus le problème que la solution pour les défis sécuritaires d'Israël.
Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.
Twitter : @Ymekelberg
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com