La Syrie a trop de fronts militaires et trop d’acteurs qui s’opposent. L’ensemble a créé un calme précaire avant la grande tempête qui s'annonce.
À Idlib, les forces russes et turques patrouillent dans le couloir de sécurité large de six kilomètres, le long de l'autoroute M4, Toutefois, l'autoroute reste fermée à la circulation. Selon certaines informations, le gouvernement syrien et ses conseillers russes prévoient un assaut majeur pour étouffer le groupe retranché Hayat Tahrir al-Sham (HTS) et récupérer ce dernier bastion du territoire tenu par les rebelles.
La Turquie semble hésiter, et négocie probablement avec la Russie la possibilité de concilier ses intérêts en Libye. En échange, elle accepterait que des mesures soient prises contre le HTS à Idlib.
Au même moment, des signes montrent que le dirigeant du HTS, Abu Mohammed al-Julani, tente de changer son image : il a troqué celle de chef d’une organisation extrémiste contre celle d’un leader politique qui s’affiche en public. Ces nombreuses apparitions dans les médias le montrent comme un dirigeant soucieux du bien-être des gens ordinaires dans la province d'Idlib. La Turquie, de son côté, est favorable à cette nouvelle image, ne serait-ce que pour persuader les Russes d'accepter que le HTS n'est plus un groupe extrémiste mais une entité politique essentielle.
Même avec la Syrie qui se prépare au Nord-Ouest à l'attaque tant attendue sur Idlib, le Nord-Est reste le théâtre d’un litige direct entre les intérêts turcs et kurdes. Une paix fragile est maintenue par la police militaire russe qui patrouille à la frontière entre la Syrie et la Turquie, de l'Euphrate à la frontière irakienne, et qui contrôle les deux tiers de la région dominée par les Kurdes. Ces derniers sont représentés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par les États-Unis. Des troupes américaines sont également présentes dans la région, prétendument pour protéger les champs de pétrole.
Dans ce foyer de désaccord, une nouvelle menace s’impose. Le SDF a conclu un accord de vingt-cinq ans avec une compagnie énergétique américaine, Delta Crescent Energy, pour commercialiser bientôt le pétrole produit dans la région et mettre en place deux raffineries. Comme le décrit le dirigeant du SDF, Mazlum Kobane, cet accord aidera les Kurdes à conserver le soutien que leur accordent les États-Unis et – comme les revenus du pétrole rendent les Kurdes économiquement autonomes – il soutiendra aussi l'autonomie kurde en Syrie, selon le modèle que les Américains ont réalisé pour les Kurdes en Irak par le biais du gouvernement régional du Kurdistan (GRK).
Dans cette situation tendue, les forces américaines se sont impliquées dans deux escarmouches en Syrie le mois dernier.
L’accord a été dénoncé par le gouvernement syrien et il pourrait aussi faire naufrage sur les rochers des oppositions turques et russes. Pour la Russie, le FDS est une organisation « terroriste », étroitement affiliée à ses dissidents kurdes, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, voit dans l'approche américaine une « honte pour la démocratie ». La Russie est favorable à une Syrie unie et souveraine quand les Kurdes militent pour un arrangement fédéral. Moscou est également peu enthousiaste à l’idée de voir la présence militaire américaine en Syrie s’affirmer, en particulier lorsque 90 % du pétrole du pays se trouve dans des territoires désormais sous contrôle américain.
Dans cette situation tendue, deux accrochages ont impliqué les forces américaines en Syrie le mois dernier. La première s'est produite à Qamishli, à la frontière turque, le 17 août, lorsque les forces syriennes ont affronté les soldats américains à un point de contrôle. Un soldat syrien a été tué et deux autres blessés lors de cet affrontement. Selon des sources gouvernementales, des hélicoptères américains auraient attaqué le point de contrôle.
Le deuxième incident s'est produit le 25 août, lorsqu'un véhicule militaire russe est entré en collision avec un véhicule américain, causant des commotions cérébrales chez certains soldats américains. Les États-Unis ont qualifié ce comportement de « dangereux et non professionnel » de la part des Russes, tandis que ces derniers ont déclaré que le véhicule américain avait délibérément intercepté leur patrouille. On craint que ces heurts ne dégénèrent en conflits plus importants.
Pendant ce temps, la menace de Daech continue. Les responsables américains estiment que plusieurs milliers de combattants attendent, dans des « cellules dormantes » dans le désert à l'est de la Syrie. En outre, les responsables américains attribuent à Daech le meurtre d'un général russe près de Deir Ezzor le 18 août et l'explosion d'un gazoduc près de Damas le 24 août.
Parallèlement à ces incidents clairsemés et aux conflits plus importants qui s’annoncent, on a remarqué récemment une certaine activité diplomatique liée à la Syrie. Afin de maintenir ses liens avec les Kurdes, la Russie a accueilli une rencontre entre l'aile politique du FDS, le Conseil démocratique syrien (CDS), et le PKK. Il ressort de la conférence que si le CDS dépend de manière cruciale du soutien américain, il est également soucieux de maintenir ses relations avec la Russie qui est un acteur influent dans le pays, capable de freiner la Turquie.
Talmiz Ahmad est écrivain et ancien ambassadeur de l’Inde en Arabie Saoudite, à Oman, et aux EAU. Il est titulaire de la chaire Ram Sathe d'études internationales à l'université internationale Symbiosis de Pune.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com