Le 1er août, le président tunisien, Kaïs Saïed, a limogé la Première ministre, Najla Bouden, et a nommé à sa place Ahmed Hachani, directeur des ressources humaines à la banque centrale du pays. Le nouveau Premier ministre est chargé de remédier immédiatement à la grave situation économique de la Tunisie, alors même que le pays reste plongé dans une impasse politique, en grande partie créée par le président lui-même.
La Tunisie connaît des problèmes économiques depuis 2011, lorsque des soulèvements populaires ont renversé le président de longue date Zine el-Abidine ben Ali et ont engagé le pays sur la voie de la démocratie. Cependant, alors que la Tunisie s'est dotée d'une Constitution démocratique, les hommes politiques du pays ne sont ni capables ni désireux de mettre en œuvre les réformes économiques radicales dont le pays a désespérément besoin.
La période 2011-19 est considérée comme la décennie perdue de la croissance, au cours de laquelle le produit intérieur brut a chuté à 1,7% en moyenne. En l'absence de réformes économiques, le pays a connu une activité économique atone, de faibles investissements, une réduction des échanges commerciaux et une lenteur dans la création d'emplois. En octobre 2019, le peuple a élu Saïed à la présidence. Bien que le nouveau dirigeant soit un universitaire sans expérience politique, le peuple a réagi avec enthousiasme à sa promesse de mettre fin à la corruption et de réformer l'économie.
Mais les deux années passées au pouvoir par Saïed n'ont apporté aucun changement ; l'économie est restée dans un état lamentable. Saïed rejette la faute sur les politiciens du pays et conclut que l'ordre politique national doit être déraciné. En juillet 2021, il réalise un coup d'État constitutionnel en suspendant l'assemblée nationale et la Constitution, et s'arroge tous les pouvoirs législatifs et exécutifs. Un an plus tard, une nouvelle Constitution a été approuvée, mettant fin à la brève expérience démocratique de la Tunisie.
Le budget du pays pour l’année 2022 a subi des pertes de 1,3 milliard de dollars en raison de la guerre en Ukraine.
– Talmiz Ahmad
Cependant, bien que le président exerce une autorité incontestée, il n'a pas été en mesure d'apporter les changements profonds qui s'imposaient. Les observateurs ont souligné que le système commercial reste inefficace, ce qui pose de graves difficultés pour l'investissement et le commerce, l'État conservant le rôle principal dans l'économie.
La guerre en Ukraine a fait des ravages dans une économie déjà vulnérable. La Tunisie importe plus de 60% de son blé et de son orge de Russie et d'Ukraine. Suite à la flambée des prix des céréales dans le sillage du conflit, le pays a commencé à connaître des pénuries de farine et d'autres produits alimentaires, tels que le riz, le sucre, la semoule, l'huile de cuisson, le café, le lait, les médicaments et le carburant. En février 2023, le taux d'inflation a augmenté pour le 18e mois consécutif pour atteindre 10,4%, le taux le plus élevé depuis décembre 1984. La Tunisie a également connu de fortes augmentations du prix du gaz importé d'Algérie. Le budget du pays pour l’année 2022 a subi des pertes de 1,3 milliard de dollars (1 dollar américain = 0,92 euro) en raison de la guerre en Ukraine.
La reprise économique a été lente : le PIB a augmenté de 2,5% en 2022, avec une croissance de 4% dans le secteur des services, en grande partie grâce à la reprise du tourisme et des transports. Mais le taux de chômage reste élevé, à environ 15%, comme en 2019, bien que le chômage des femmes soit beaucoup plus élevé, à plus de 20%. Le secteur informel représente 45% de l'emploi total du pays, soit 1,6 million de personnes sur une main-d'œuvre totale de 3,6 millions. Les jeunes représentent 23% de la main-d'œuvre, mais constituent 32% du secteur informel.
En octobre 2022, la Tunisie a négocié un accord de quatre ans avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un montant de 1,9 milliard de dollars afin de soutenir les réformes économiques. Les conditions du FMI comprenaient l'élimination progressive des subventions, une fiscalité équitable, l'amélioration de la gouvernance et de la transparence dans le secteur public, ainsi que des réformes structurelles de grande envergure. Toutefois, l'accord est resté en suspens en avril 2023 lorsque le président a rejeté le «diktat» étranger sur les politiques économiques nationales.
Saïed craint que les conditions proposées par le FMI n'encouragent des manifestations de rue du type de celles qui avaient fait tomber le gouvernement de Zine el-Abidine ben Ali en 2011. Il affirme au contraire que le malaise économique est dû à la corruption, justifiant ainsi une nouvelle répression des figures de l'opposition. Il a également blâmé la présence de migrants d'Afrique subsaharienne, et ses propos acerbes ont conduit à des attaques contre des demandeurs d'asile et même des Tunisiens noirs.
Les jeunes représentent 23% de la main-d'œuvre, mais constituent 32% du secteur informel.
– Talmiz Ahmad
La situation politique et économique de la Tunisie a eu des répercussions aux États-Unis et dans l'UE. En 2022, en réponse à la fin de l'ordre démocratique dans le pays, les Etats-Unis ont suspendu un prêt de plusieurs milliards de dollars du FMI et une subvention d'infrastructure de 500 millions de dollars de l'agence d'aide étrangère Millennium Challenge Corporation.
Cependant, la position officielle de Washington est restée ambivalente, ne réagissant à la fin de l'ordre démocratique que par des critiques diplomatiques relativement modérées. Les États-Unis considèrent la Tunisie comme leur partenaire stratégique en Afrique du Nord, malgré le système autoritaire en place aujourd'hui. En juillet, la Banque mondiale a annoncé qu'elle fournirait environ 270 millions de dollars pour un projet d'énergie verte en Tunisie. Il n'est pas exclu que les États-Unis rétablissent leur soutien financier dans un avenir proche.
En juin, la Tunisie a accueilli une délégation de l'UE comprenant les premiers ministres italien et néerlandais, ainsi que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Plus tard, le 16 juillet, la Tunisie et l'UE ont signé un accord de «partenariat stratégique», Bruxelles acceptant de fournir un milliard d'euros pour promouvoir le redressement économique de la Tunisie et moderniser les installations destinées à contrôler les mouvements d'immigration clandestine. Rien que cette année, environ 400 000 migrants devraient entrer en Italie. L'Arabie saoudite a également annoncé un prêt à taux réduit de 400 millions de dollars et une subvention de 100 millions de dollars pour la Tunisie.
Cependant, même avec un nouveau Premier ministre, il est peu probable que ces palliatifs apportent les changements dont le pays a besoin. N'ayant pas l'intention de poursuivre les réformes économiques, Saïed a choisi la voie autoritaire, plus périlleuse. Les perspectives pour la Tunisie sont sombres.
- Talmiz Ahmad est un ancien diplomate indien.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com