L'Inde sert son intérêt national grâce à l'autonomie stratégique

Wei Fenghe, Sergei Shoigu, Rajnath Singh lors d'une réunion conjointe des ministres de la Défense de l'Organisation de coopération de Shanghai à Moscou.
Wei Fenghe, Sergei Shoigu, Rajnath Singh lors d'une réunion conjointe des ministres de la Défense de l'Organisation de coopération de Shanghai à Moscou.
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Publié le Dimanche 30 juillet 2023

L'Inde sert son intérêt national grâce à l'autonomie stratégique

L'Inde sert son intérêt national grâce à l'autonomie stratégique
  • Deux semaines après son retour des États-Unis, Modi a présidé le 23e sommet (virtuel) de l'Organisation de coopération de Shanghai, qui compte parmi ses membres la Chine, la Russie, l'Iran, l'Inde, le Pakistan et quatre républiques d'Asie centrale
  • Les critiques y ont vu un conclave anti-occidental, tandis que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, l'a qualifié de « modèle fondamentalement nouveau d'intégration géopolitique »

Fin juin, le Premier ministre indien Narendra Modi est rentré chez lui après une visite aux États-Unis en grande pompe rappelant une visite d'État de haut niveau. Une déclaration commune a décrit les deux pays comme étant « parmi les partenaires les plus proches au monde ». La déclaration réitère également l'engagement des deux pays envers le groupe maritime de quatre membres connu sous le nom de « Quad », qui a « ouvert la voie à une collaboration plus forte dans la région indo-pacifique ».

Deux semaines après son retour, Modi a présidé le 23e sommet (virtuel) de l'Organisation de coopération de Shanghai, qui compte parmi ses membres la Chine, la Russie, l'Iran, l'Inde, le Pakistan et quatre républiques d'Asie centrale. Les critiques y ont vu un conclave anti-occidental, tandis que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, l'a qualifié de « modèle fondamentalement nouveau d'intégration géopolitique ». La Russie et la Chine ont toutes deux sévèrement critiqué le Quad.

Quelle est la place de l'Inde ? Un éminent écrivain indien a déclaré que « la montée en puissance de la Chine [...] a fait d'un partenariat solide entre l'Inde et les États-Unis une véritable nécessité », tandis qu'un observateur américain a noté « l'espoir illusoire de Washington » que l'Inde pourrait être tentée de renoncer à son autonomie stratégique en faveur d'une alliance avec l'Occident. Le ministre indien des Affaires extérieures, S. Jaishankar, s'est fermement engagé dans la discussion en soulignant que l'Inde « ne peut pas être engagée dans des relations exclusives ».

Les critiques indiens estiment que l'adhésion à l'OCS n'est pas compatible avec les liens étroits que le pays entretient avec les principales nations occidentales.

 

Talmiz Ahmad

Les critiques indiens estiment que l'adhésion à l'OCS n'est pas compatible avec les liens étroits qu'entretient le pays avec les principales nations occidentales. Mais cela n'a guère de portée pour le gouvernement Modi. Lors du sommet de l'OCS, Modi a déclaré que le groupement « est devenu une plateforme importante pour la paix, la prospérité et le développement de l'Eurasie ».

Cette affirmation confirme l'importance que l'Inde attache à ses liens avec les républiques d'Asie centrale et la valeur stratégique qu'elle accorde aux projets de connectivité entre les ports indiens et le port iranien de Chabahar, puis l'Afghanistan et l'Asie centrale, ainsi qu'au corridor international de transport nord-sud qui relie la côte occidentale de l'Inde à l'Iran, à l'Azerbaïdjan et à la Russie.

Ensemble, les membres de l'OCS représentent 40 % de la population mondiale, 25 % de la production mondiale, un quart des réserves pétrolières mondiales et 50 % du gaz naturel mondial. Les républiques d'Asie centrale sont particulièrement riches en éléments et métaux de terres rares, qui sont essentiels à la fabrication de processeurs et de composants électroniques utilisés dans les secteurs de la défense et de l'aérospatiale, les centrales nucléaires, les énergies propres et les appareils médicaux. L'Inde attache également de l'importance au fait que de nombreux pays du Moyen-Orient sont devenus des partenaires de dialogue de l'OCS, notamment l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Koweït, le Bahreïn, l'Égypte et la Turquie, avec lesquels elle entretient d'étroites relations politiques et économiques.

La déclaration commune issue du sommet de l'OCS reflète les intérêts de l'Inde. Elle évoque la réalisation d'un « ordre mondial plus représentatif, démocratique, juste et multipolaire » et appelle à « améliorer et réformer davantage la structure de la gouvernance économique mondiale », deux préoccupations prioritaires pour l'Inde.

Le Quad, qui réunit les États-Unis, le Japon, l'Australie et l'Inde, est une entité maritime qui promeut « une zone indo-pacifique libre et ouverte », qui suppose la liberté de navigation, l'intégrité territoriale et une alliance régionale plus forte. Le groupement a gagné en crédibilité et en urgence en 2017, en réponse à ce que ses membres considéraient comme des mesures toujours plus nombreuses de la Chine pour affirmer ses revendications maritimes dans les mers de Chine méridionale et orientale, sa présence croissante dans l'océan Indien et l'installation de sa base à Djibouti. Il a été élargi au niveau ministériel en septembre 2019 et au niveau du sommet en mars 2021.

Il est peu judicieux pour l'Inde de se lier à une seule puissance dont les intérêts et les priorités évoluent rapidement.

Talmiz Ahmad

Toutefois, lors du sommet de septembre 2021, les membres se sont consciemment éloignés de l'agenda sécuritaire strict pour se concentrer sur des questions d'intérêt à plus long terme, telles que la coopération en matière de santé, les bourses en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques, la cybersécurité, le transport maritime vert, l'hydrogène propre, le déploiement de la 5G et une initiative relative à la chaîne d'approvisionnement en semi-conducteurs. Cela reflète peut-être l'intérêt de l'Inde à minimiser l'importance du Quad en tant que groupement dirigé contre la Chine, alors que la confrontation à la frontière est en cours.

En dépit des sollicitations américaines et du discours incisif du lobby pro-américain, les dirigeants indiens comprennent que l'intérêt national du pays est mieux servi par l'affirmation d'une autonomie stratégique. Ainsi, l'élargissement des liens de défense avec les États-Unis et d'autres puissances occidentales contribue à améliorer les capacités militaires de l'Inde, mais ne se fait pas au détriment des liens militaires de longue date de l'Inde avec la Russie, qui répond aux besoins fondamentaux de l'Inde en matière d'armement, d'artillerie, de blindage et d'aéronefs.

L'Inde prend également en compte d'autres considérations. Les États-Unis ont également des intérêts et des responsabilités au niveau mondial et leur stratégie en matière de politique étrangère change fréquemment en fonction des nouvelles administrations et des actions des groupes de pression et des intérêts nationaux. Là encore, l'approche américaine vis-à-vis de la Chine combine à la fois coopération et concurrence. Avant et après la visite de Modi aux États-Unis, des fonctionnaires américains de haut niveau se sont rendus à Pékin pour rééquilibrer les liens entre les deux plus grandes économies du monde. Il est donc peu judicieux pour l'Inde de se lier à une seule puissance dont les intérêts et les priorités évoluent rapidement.

Enfin, rejoindre une alliance de sécurité maritime dirigée contre la Chine signifierait que la stratégie de sécurité maritime de la Chine elle-même inclurait nécessairement une Inde hostile dans son calcul. L'Inde deviendrait ainsi l'antagoniste de la Chine sur terre et en mer, une situation qui ne lui procurerait aucun avantage.

Dans un avenir proche, on peut s'attendre à ce que New Delhi reste membre de plusieurs groupements divers, au sein desquels l'Inde fixera elle-même les conditions de son adhésion ainsi que la nature et l'étendue de son rôle afin d'atteindre les objectifs qu'elle vise avec chaque groupement.

 

Talmiz Ahmad est un ancien diplomate indien.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

 Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com