Lueur d’espoir en Méditerranée orientale alors que les tensions s’apaisent

Le président turc Erdogan rencontrant le Premier ministre grec Mitsotakis à Istanbul. (Fichier/Reuters)
Le président turc Erdogan rencontrant le Premier ministre grec Mitsotakis à Istanbul. (Fichier/Reuters)
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Publié le Vendredi 15 septembre 2023

Lueur d’espoir en Méditerranée orientale alors que les tensions s’apaisent

Lueur d’espoir en Méditerranée orientale alors que les tensions s’apaisent
  • La pleine exploitation et la commercialisation des importantes réserves de gaz de la région ont été entravées par des conflits politiques au cours de la dernière décennie 
  • Le seul remède pour la Méditerranée orientale est une coopération régionale intégrative 

La Méditerranée orientale, longtemps une zone d’émulation et de conflit, assiste aux premiers signes de convivialité entre les principaux États de la région. 

En août de l’année dernière, la Turquie et Israël ont annoncé qu’ils échangeraient des ambassadeurs après une interruption de quatre ans. En février, Israël a fait preuve d’une présence notable dans les opérations de secours en Turquie à la suite du tremblement de terre. Par ailleurs, le Premier ministre Benjamin Netanyahou devrait prochainement se rendre à Ankara. 

La Turquie et l'Égypte, en froid depuis 2013, ont rétabli leurs relations diplomatiques en juillet de cette année. Les contacts avaient commencé en 2021, cette évolution positive s’étant concrétisée fin 2022, lorsque le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a serré la main du président Abdel Fattah al-Sissi lors de la Coupe du monde de football au Qatar. En août, le ministre égyptien du Commerce, Ahmed Samir Saleh, s'est rendu à Ankara et s’est entendu avec son homologue turc de viser une augmentation du commerce bilatéral de 10 à 15 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) au cours des cinq prochaines années. 

De nouveau, en juillet de cette année, les présidents turc et grec se sont rencontrés en marge du sommet de l’Otan à Vilnius, en Lituanie, peu après leurs victoires électorales respectives. À la suite des affrontements navals en Méditerranée orientale à partir de 2020, voire des menaces de guerre, ces relations ont connu une chute libre en mai de l’année dernière, lorsque la Grèce a fait pression sur le Congrès américain pour bloquer les livraisons d’armes à la Turquie. À Vilnius, cependant, les deux dirigeants ont salué le «climat positif» dans leurs relations, les gestes de bonne volonté ayant été générés par l’intervention immédiate de la Grèce lors du tremblement de terre en Turquie. 

Pour compléter ce scénario positif, Chypre a manifesté son intérêt pour la réouverture du dialogue avec Ankara, par l’intermédiaire de l’ONU et de l’UE, sur l’enjeu de longue date de la division de cet État insulaire de la Méditerranée orientale. En 1974, Chypre a été divisée en République de Chypre internationalement reconnue et République turque de Chypre du Nord, reconnue uniquement par la Turquie, et où sont stationnés 30 000 soldats turcs. 

Ces développements pourraient augurer de bonnes nouvelles concernant l’exploitation du potentiel gazier de la Méditerranée orientale. 

Le gaz a été découvert pour la première fois dans les champs offshore israéliens de Tamar et Leviathan en Israël respectivement en 2009 et 2010, transformant ainsi un pays à faible ressource énergétique en un exportateur potentiel. Le champ d'Aphrodite à Chypre a été découvert en 2011, suivi du champ de Zohr en Égypte en 2015. Les réserves communes avérées de gaz récupérable dans le bassin du Levant, comprenant Israël, Chypre, l'Égypte, le Liban et la Syrie, s'élèvent à 3,5 billions de mètres cubes, l’Égypte disposant d’un potentiel gazier supplémentaire de 6,2 trillions de mètres cubes. 

«Le seul remède pour la Méditerranée orientale est une coopération régionale intégrative. Certains signes en sont apparus récemment.» 

Talmiz Ahmad

En mai 2012, la Grèce et Chypre ont proposé le gazoduc EastMed qui transporterait leur gaz vers l’Europe. Bien qu’initialement accueilli par l’UE comme un moyen de réduire la dépendance européenne à l’égard du gaz russe, le projet a échoué en raison des coûts élevés et de la quantité limitée de gaz disponible. 

Cependant, outre les problèmes liés à l’économie du gaz, la pleine exploitation et la commercialisation des importantes réserves de gaz de la région ont été entravées par des conflits politiques au cours de la dernière décennie. Après une longue rupture dans ses relations bilatérales avec Israël, la Turquie s’est également brouillée avec l’Égypte en 2013 après la chute du gouvernement Morsi. 

Ankara a ensuite contacté l’administration libyenne basée à Tripoli, et a conclu en 2019 un accord de sécurité qui a conduit au déploiement d’officiers et de mercenaires turcs depuis la Syrie pour protéger le gouvernement. En échange, le gouvernement de Tripoli a accepté de délimiter les eaux de la Méditerranée orientale au profit de la Turquie en empiétant sur les revendications de la Grèce et de Chypre sur le gaz naturel dans leurs zones économiques exclusives. 

À la suite de cet empiètement sur les revendications grecques et chypriotes, ces deux pays se sont joints à l’Égypte, Israël, la Jordanie, l’Autorité palestinienne, l’Italie et la France pour créer le Forum gazier de la Méditerranée orientale en 2020, excluant ostensiblement la Turquie. Cela a ouvert la voie à des confrontations navales en Méditerranée orientale, dans lesquelles la France s’est également rangée du côté grec. Cependant, en raison de rivalités internes entre les principaux partenaires, le forum n'a rien apporté de concret aux États membres. 

De toute évidence, le seul remède pour la Méditerranée orientale est une coopération régionale intégrative. Certains signes en sont apparus récemment. En octobre 2022, Israël et le Liban ont signé un accord de délimitation définitif pour leur frontière maritime commune, mettant fin à un différend de dix ans qui avait empêché l’exploitation du potentiel gazier du Liban. En janvier, il a été annoncé que QatarEnergy se joindrait aux compagnies française TotalEnergies et italienne ENI pour l’exploitation des blocs offshore du Liban. 

Un autre développement s’est produit le mois dernier, lorsqu’Israël a annoncé qu’il exporterait 38,7 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz vers l’Égypte au cours des onze prochaines années. Sachant que la production du champ de Zohr chutait, l’Égypte a importé l’année dernière un volume record de 6,27 milliards de mètres cubes de gaz d’Israël, soit près de 50% de plus que l’année précédente. L’Égypte prévoit d’utiliser sa production nationale et ses importations pour dégager un excédent destiné à l’exportation (ses exportations de gaz l’an dernier étaient évaluées à 8,4 milliards de dollars). Israël travaillerait également avec l’Égypte et l’Autorité palestinienne pour exploiter un champ de gaz au large de la côte de Gaza, mais il s’agit évidemment d’un projet à long terme. 

Grâce aux engagements positifs de la Turquie avec ses voisins ces derniers temps, le décor est planté pour son intégration dans le scénario gazier de la Méditerranée orientale, ce qui signifie que les riches ressources des fonds marins peuvent être utilisées de façon concertée au profit de l’ensemble de la région. 

Talmiz Ahmad est un ancien diplomate indien. 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com