Les politiciens désabusés, les diplomates et les agences humanitaires savent parfaitement à quoi s’en tenir avec la Syrie. Lorsque le gouvernement syrien a choisi de répondre par la torture et la violence aux appels de son propre peuple à la réforme et non à un changement de régime en 2011 – et dès lors que tout espoir de résolution politique intérieure a été effectivement perdu à cause de l’impasse créée par des milices concurrentes, un Occident battant en retraite et les velléités individuelles d'autres acteurs internationaux – le pays est devenu un banc d’essai pour la théorie selon laquelle les guerres au Moyen-Orient pourraient maintenant durer pour une période qui dépasse l’entendement, et que l’acharnement contre une population pouvait être presque sans limite.
Les chiffres de cette destruction méritent d’être répétés, ne serait-ce que pour que l’on réalise ce que le reste du monde ignore au quotidien. Sur une population d’environ 20 millions, 5,6 millions de personnes sont maintenant réfugiés, 6,2 millions déplacées à l’intérieur de leur pays, et 12 millions dépendent d’aides humanitaires, pour une population d’environ 20 millions de personnes avant la guerre. Les habitants de la Turquie, l’Égypte, le Liban et la Jordanie portent quant à eux le fardeau du déplacement forcé des Syriens.
Cependant, sans aucune issue en vue, les atrocités historiques se poursuivent, l’apparition d’une nouvelle pandémie n’y a rien changé. Le conflit a affaibli la capacité de la Syrie à faire face au coronavirus Presque une décennie après l’irruption du conflit, le ciblage délibéré des établissements de santé a décimé les systèmes d’eau, d’assainissement et de santé de la Syrie. D’après l’Organisation mondiale de la santé, 494 établissements de santé ont été attaqués en Syrie entre 2016 et 2019. Dans la seule région nord-ouest du pays, quelque 84 établissements ont dû fermer leurs portes au cours des quatre derniers mois à cause de la violence. Dans le nord-est, seul un hôpital sur les 16 de la région reste pleinement opérationnel. De plus, le manque d’équipements de protection, de lits de soins intensifs et de ventilateurs vient aggraver cette situation.
Après la recrudescence de la violence en décembre, environ un million de personnes ont été déplacées, la majorité d’entre elles le sont toujours. Les femmes et les enfants représentent pour leur part quatre Syriens sur cinq déplacés pendant ce conflit.
En 2014, l’ONU a décidé que les personnes en situation de détresse en Syrie ne pouvaient pas compter sur leur gouvernement pour assurer une aide humanitaire dans les régions qu’il ne contrôlait pas. L’ONU a alors lancé des opérations d’aide transfrontalière. Mais le Conseil de sécurité des Nations unies affaibli par les vétos de la Chine et de la Russie, n'a cessé de réduire ces possibilités d’assistance humanitaire, insistant plutôt sur le fait que l'aide transfrontalière fournie par le régime ne saurait tarder, sans pour autant apporter aucune preuve sérieuse pour soutenir cette affirmation. Plus de 4 millions de Syriens dépendent des opérations transfrontalières pour recevoir une aide humanitaire, y compris une aide liée à la préparation et à la réponse au coronavirus. Le mécanisme d’acheminement de l’aide humanitaire transfrontalière facilite non seulement la livraison de matériel, mais établit également un cadre pour l'assistance dans toute la région, y compris les structures de financement et de coordination.
La semaine dernière, l’ONU a davantage enfoncé le clou. Après de nouveaux vétos de la Russie et de la Chine contre des résolutions qui auraient assuré un accès transfrontalier continu de la Turquie à la Syrie par trois points de passage, la résolution limitée qui a finalement été adoptée n'en a permis qu'un seul. Cette résolution qui a été fermement condamnée par les agences d'aide et par d'autres États, accroît encore la descente aux enfers interminable du peuple syrien. Le point de passage de Bab el-Salam, qui au cours du seul mois de mai a permis de venir en aide à 1 million de personnes en fournissant un accès direct aux parties du nord d'Alep qui comptent certaines des plus fortes concentrations de personnes déplacées, va maintenant fermer. Le point de passage de Yaroubiyé qui permet d’approvisionner le nord-est de la Syrie a été fermé en janvier et un effort de réouverture a également été opposé par véto chinois et russe. Il ne reste donc que Bab el-Haoua pour porter ce fardeau. Il est évident que ces vétos avaient un objectif politique clair et non humanitaire.
Au cours des dernières années, le Conseil de sécurité des Nations unies a rencontré de nombreuses difficultés. L’utilisation incessante du droit de véto par de nombreux États a contrecarré son objectif général de mettre fin aux conflits et de maintenir la stabilité dans le monde. Selon les propos de l’ancien secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, répétés lors du 75ème anniversaire de l’organisation l’année dernière, son objectif n’est pas de « conduire l'humanité au paradis mais de la sauver de l'enfer ». La misère sans fin en Syrie, en Libye et au Yémen est une cicatrice que nous portons tous.
Les agences humanitaires craignent également que la complexité inévitable des processus de prise décision, otages des compromis politiques et diplomatiques exacerbe encore l’incapacité à respecter le droit international humanitaire. Le vote à l’ONU laisse peu d’espoir aux civils désespérés et à ceux qui existent pour les maintenir en vie. Les Casques bleus et les représentants du secrétaire général de l’ONU sont tout simplement incapables de travailler dans de telles circonstances. L’entretien désespéré de Ghassan Salamé – dans lequel il a récemment souligné les tentatives de passer outre l’embargo sur les armes imposé à la Libye, par des États qui affirment publiquement soutenir l’embargo – en est un autre exemple.
Il n’est pas trop tard pour répondre à l’appel à un cessez-le-feu mondial lancé par Antonio Guterres, le Secrétaire général des Nations Unies, surtout qu’il est de plus en plus clair que la pandémie est encore en pleine expansion. Mais, en l'absence de cette trêve, il serait bon que le Conseil de sécurité commence par faire respecter le droit humanitaire et par soutenir ses propres représentants pour mettre un terme aux conflits, et qu’il s’attelle à réparer la vie des personnes prises dans les filets de ces guerres.
Alistair Burt est un ancien député britannique qui a occupé à deux reprises des postes ministériels au ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth - en tant que sous-secrétaire d'État parlementaire de 2010 à 2013 et en tant que ministre d'État pour le Moyen-Orient de 2017 à 2019. Twitter: @AlistairBurtUK
NDLR: Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com