Selon des informations fondées provenant du gouvernement britannique à la fin de la semaine dernière, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, aurait été convié au Royaume-Uni, à la suite d’un appel téléphonique avec le Premier ministre Rishi Sunak jeudi.
La visite suscitera certes des points de vue partagés, mais il est évident qu’une telle possibilité est tout à fait dans l’intérêt du Royaume-Uni. La décision prise par M. Sunak et le ministre des Affaires étrangères James Cleverly est la bonne.
Premièrement, le Royaume est manifestement en train de changer. Le Royaume-Uni doit comprendre cela encore plus et y participer. Il est impossible de le faire sans établir des relations au plus haut niveau avec le principal moteur du changement – le prince héritier.
Pour ceux qui, au Royaume-Uni, ne connaissent pas l’état actuel de la région, le rythme du changement peut être difficile à saisir. Cela a été bien résumé dans l’article de Thomas Friedman pour le New York Times en juin, établissant un parallélisme entre l’Arabie saoudite et Israël aujourd’hui. «Si vous n’êtes pas allé en Arabie saoudite au cours des cinq dernières années, vous n’avez rien vu», écrit-il.
De l’évolution du rôle des femmes au sein de la population active – 19% en 2018 contre 37% aujourd’hui – et la libéralisation des rassemblements sociaux, à la technologie nécessaire pour passer d’une économie fondée sur le carbone et mener à bien l’initiative Vision 2030, non seulement un inventaire est nécessaire mais aussi une compréhension du parcours et des jalons idéologiques, y compris des obstacles.
Les affaires et le sport britanniques ont une longueur d’avance, de Neom en tant que destination pour certaines des entreprises les plus innovantes de Grande-Bretagne à la Premier League et Newcastle United. Il n’est pas surprenant que Downing Street le reconnaisse et souhaite explorer bien plus qu’un accord de libre-échange.
Deuxièmement, la région évolue rapidement. L’effondrement progressif d’un ordre d’après-guerre, depuis l’époque des débats au Royaume-Uni sur «l’Est de Suez» jusqu’aux ripostes américaines plus récentes aux événements en Syrie ou aux attaques émanant du Yémen, a modifié la perception des alliances et de la politique régionale. Le résultat est un Golfe plus affirmé, pas toujours avec des partenaires faciles, même les uns avec les autres, comme le montre la fracture au sein du CCG, mais dont les décisions concernant la sécurité mutuelle sont de plus en plus entre leurs mains.
«Les bonnes relations ont plusieurs facettes et les meilleures consistent à reconnaître les différences et les défis.» - Alistair Burt
Le Royaume-Uni a des intérêts vitaux à protéger, en particulier dans le commerce et la défense, il serait donc insensé pour nous de ne pas nous engager auprès de la puissance régionale qu’est l’Arabie saoudite. De même, alors que la diplomatie régionale pourrait ne plus surveiller le Royaume-Uni comme elle le faisait autrefois, être très entendu par un membre du Conseil de sécurité de l’ONU, avec sa portée diplomatique, militaire et de renseignement, suggère que les deux parties gagneraient à partager des idées sur l’avenir.
Quelle serait l’issue des pourparlers avec l’Iran ou Israël? Le Royaume-Uni a un profond intérêt pour les deux. En tant que puissance nucléaire et signataire de l’accord avec l’Iran, le Royaume-Uni soutiendra l’atténuation des tensions entre Téhéran et Riyad, mais sera naturellement intéressé par les conditions. Concernant Israël, le Royaume-Uni devrait se réjouir de l’occasion de mettre fin à des décennies d’inimitié et de construire une nouvelle économie dans la région qui inclut pleinement et ouvertement Israël. Mais il devrait aussi, de par sa richesse historique, faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre en lumière l’immense possibilité de clore le douloureux chapitre de l’injustice palestinienne, en soulignant que toute «normalisation» devrait mobiliser toutes les parties pour ériger enfin un État palestinien, en plus de garantir la sécurité et la paix en Israël pour toutes ces personnes qui souffrent depuis trop longtemps.
Troisièmement, le monde change rapidement. Les États n’ont plus besoin de se mesurer à la volonté de l’Occident. D’autres frappent déjà à la porte de nos amis de longue date et cela ne devrait plus nous surprendre. En effet, il est parfaitement raisonnable pour eux d’agir dans leur propre intérêt, comme nous l’avons toujours fait. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles tous nos amis du Golfe, desquels nous avons été proches face à de nombreuses menaces dans le passé, devraient continuer à le faire. Mais nous devons être conscients que la Chine, la Russie et d’autres concurrents ne perdront pas de temps à explorer plusieurs possibilités si le Royaume-Uni ne le fait pas.
Les bonnes relations ont plusieurs facettes et les meilleures consistent à reconnaître les différences et les défis, en plus d’accepter les possibilités mutuelles. La visite du prince héritier ne fera pas fi des questions de droits de l’homme, dans le sillage de Jamal Khashoggi. Le Royaume-Uni a toujours été très ferme à ce sujet et les personnes impliquées dans la visite devraient s’y attendre. Mais l’histoire propose également de refaire les choses pour faire face aux défis contemporains, notamment le changement climatique et la catastrophe potentielle.
Il n’y a pas d’influence sans engagement. Les spectateurs doivent aspirer à une visite fructueuse.
Alistair Burt est un ancien député britannique qui a occupé à deux reprises des postes ministériels aux Affaires étrangères et au Commonwealth en tant que sous-secrétaire d’État parlementaire de 2010 à 2013 et en tant que ministre d’État pour le Moyen-Orient de 2017 à 2019.
Twitter: @AlistairBurtUK
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com