Tous ceux avec qui j’ai discuté récemment dans les cercles politiques et diplomatiques pensent que la situation qui prévaut en Israël et à Gaza depuis le 7 octobre a complètement changé la donne. Les attaques du Hamas et les représailles dont nous sommes témoins ont été d'une telle férocité qu'il n'est pas possible de «rafistoler» ou de revenir à une forme de statu quo.
Cependant, les ondes de choc provoquées par ces événements sont peut-être déjà plus profondes et plus étendues que dans la région elle-même. Les premiers efforts pour contenir l'impact se sont concentrés, à juste titre, sur la menace d'une extension de la confrontation aux États voisins. La diplomatie s'est immédiatement employée à réduire les risques d'escalade au Liban et avec l'Iran. Les chances de succès doivent se concrétiser.
L'éclatement d'une nouvelle guerre ruinerait l'espoir que le Moyen-Orient se tourne vers l'avenir plutôt que vers le passé, qu'il s'appuie sur les récentes initiatives diplomatiques régionales, qu'il développe les économies visées par la Vision 2030 de l'Arabie saoudite et qu'il travaille collectivement avec le reste du monde à la diversification de l'énergie dans la foulée de la COP28. Toutefois, même si cela relève du bon sens, tout le monde sait aussi que l'augmentation du nombre de victimes civiles à Gaza pourrait l'emporter sur ces considérations.
Ce sont les autres risques qui devraient tout autant nous inquiéter.
Les États occidentaux et arabes se sont divisés avec amertume et colère à un moment où la coopération nécessaire pour préparer l'avenir de la région devrait être à son apogée. Il est impossible de dissimuler l’appui des États arabes et de leurs populations aux habitants de Gaza. En particulier, ils soutiennent le récit selon lequel tous les événements actuels résultent de l'oppression des Palestiniens et de l'incapacité de l'Occident à reconnaître et à réagir aux récentes incursions militaires israéliennes en Cisjordanie, à la montée de la violence des colons ou à la menace que les protagonistes israéliens les plus extrémistes font peser sur Al-Aqsa.
Cependant, de nombreux États occidentaux sont choqués de constater que la brutalité des attentats du 7 octobre et l'idéologie de la haine des Juifs qui en est à l'origine ne sont pas plus largement condamnées. Cette division ne réconforte que ceux qui veulent voir disparaître cette nouvelle chance pour le Moyen-Orient afin que l'ancien puisse retenir le nouveau. Plus cette division perdurera, plus la situation sera grave. Les réparations devraient commencer dès maintenant.
La vérité n'est plus un bien universel, mais elle est uniquement sélective et partisane. Cela ne peut que mal se terminer.
- Alistair Burt
La croyance commune en la véracité des événements, fondement de notre compréhension de l'histoire et du monde, est une autre victime. Le monde n'est plus le même qu'en 1967, 1971 ou 2006. La capacité à voir les images les plus choquantes de la guerre a changé du tout au tout, tout comme l'habileté à diffuser de fausses images et de fausses informations. Les deux se combinent au contexte fébrile d'Israël et de la Palestine pour faire d'une lecture binaire des événements l'interprétation la plus courante, imprégnant l'opinion publique et privée dans le monde entier.
Les commentateurs peinent à dénoncer le caractère barbare et injustifiable des attaques menées par le Hamas contre des civils le 7 octobre tout en reconnaissant l'existence d'une cause palestinienne légitime contre l'occupation des territoires palestiniens et pour les progrès politiques qui se dessinent depuis des dizaines d'années. C'est l'un ou l'autre, comme l'a constaté le secrétaire général de l'ONU. La vérité n'est plus un bien universel, mais elle est uniquement sélective et partisane. Cela ne peut que mal se terminer.
Deux autres conséquences méritent d'être soulignées. La première est la preuve d'une montée de l'antisémitisme dans les sociétés européennes. En Grande-Bretagne, la communauté juive est horrifiée par l'arrachage des affiches des enfants kidnappés, par la véhémence des manifestations propalestiniennes et par la désinvolture des menaces de mort proférées, sciemment ou par ignorance, par des personnes se mêlant aux manifestants qui demandent une résolution pacifique et juste de la crise. La deuxième conséquence est que les politiques occidentales sont affectées.
Au Royaume-Uni, l'opposition travailliste, qui semblait en bonne voie pour accéder au pouvoir, a été secouée par une vague de colère contre les attaques israéliennes à Gaza et par une demande de cessez-le-feu de la part de nombreux membres à laquelle ont résisté des dirigeants marqués par de récentes controverses sur l'antisémitisme. Cela dans un pays où la population musulmane ne cesse de croître et dont la présence dans des sièges clés lors d'élections serrées pourrait s'avérer cruciale. Aux États-Unis, le soutien des musulmans au président Joe Biden dans les États clés est en baisse, alors que la colère contre la politique américaine augmente. Des élections sont prévues en 2024 dans les deux pays.
Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles le conflit à Gaza devrait prendre fin immédiatement afin que la politique puisse reprendre, comme cela sera inévitablement le cas lorsque le monde calculera une nouvelle fois ce qui a été gagné ou perdu à cause de la violence. Réparer les vies brisées en Israël et en Palestine ne sera pas la seule chose à laquelle il faudra veiller.
Alistair Burt est un ancien député britannique qui a occupé à deux reprises des postes ministériels au Bureau des affaires étrangères et du Commonwealth en tant que sous-secrétaire d'État parlementaire de 2010 à 2013 et en tant que ministre d'État pour le Moyen-Orient de 2017 à 2019.
X: @AlistairBurtUK
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com