Les manifestants sont divisés en quatre catégories. La première, qui représente 30% des personnes sondées, rejette catégoriquement l’action armée du Hezbollah et exige l’application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU, tout en insistant sur l’idée qu’Israël est un ennemi. La deuxième, qui représente 42% de l’ensemble des répondants, se montre en faveur du démantèlement des groupes armés, dans le cadre d’une stratégie de défense soutenue par l’État, comme indiqué dans l’accord de Taëf. Le troisième groupe perçoit la résistance comme un droit légitime, mais estime que cette dernière devrait faire partie d’une stratégie supervisée par l’État. Enfin, 8% des sondés pensent que les armes sont un sujet d’ordre régional plutôt que national et que le Hezbollah ne devrait être désarmé que si les conditions régionales changent. En bref, 92% des personnes interrogées pensent que les armes relèvent de la compétence de l’État et que le Hezbollah devrait en être dépossédé. Cependant, les opinions sur la manière d’aborder ce sujet, ainsi que le calendrier éventuel, divergent.
En présentant le rapport, la présidente de The Pulse, Huda Usta Kaskas, a ravivé la flamme de l’espoir, soulignant qu’un compromis est envisageable même si les avis sur la question des armes sont différents. Le point le plus important est que personne ne veut revivre l’épisode de 1975. L’élément clé est de savoir quels compromis le Hezbollah est prêt à faire pour sauver le pays.
Le Hezbollah est la première puissance dans le cadre du statu quo. La situation actuelle convient parfaitement au groupe puisqu’elle lui permet d’avoir un maximum de pouvoir sur le pays tout en portant le moins de responsabilités dans les affaires publiques. La faiblesse de l’État permet au Hezbollah de disposer d’une certaine marge de manœuvre au sein du système, que ce soit par la contrebande de marchandises interdites en provenance de Syrie ou le contournement des douanes en important des biens. Le Hezbollah veut que ce système demeure, mais cela semble difficile à la lumière de l’aspiration populaire au changement et de la manière dont l’élite au pouvoir est perçue au plan international.
Le Hezbollah pose un regard régional sur le Liban. Le pays ne constitue qu’une pièce du puzzle. Il n’est qu’une petite partie du projet régional auquel le groupe aspire. Ce «projet» est la seule priorité, non le bien-être du Liban. Hassan Nasrallah, le chef du groupe, a déclaré n’être qu’un «simple soldat au sein de l’armée du wali el-faqih». Bien que les intérêts de l’Iran l’emportent sur tout le reste et que le groupe soit dominé par l’idéologie, il fait preuve d’un certain pragmatisme, tout comme son patron, Téhéran. L’Iran et le Hezbollah sont tous deux conscients que si le Liban s’effondre complètement, tous les financements et efforts déployés au cours des trente dernières années seraient perdus. C’est pourquoi le Hezbollah pourrait faire quelques compromis pour maintenir le pays à flot. Bien que Nasrallah ait promis qu’il ne laisserait pas ses partisans mourir de faim, le parti ne peut nourrir 2 millions de chiites. Un État fonctionnel est indispensable pour fournir des services sociaux, même dans la propre circonscription de Nasrallah.
«L’élément clé est de savoir quels compromis le Hezbollah est prêt à faire pour sauver le pays.» Dr Dania Koleilat Khatib
Les élections de 2018 ont permis au Hezbollah de monter en puissance. Son bloc parlementaire a remporté la majorité des sièges, ce qui lui a conféré un pouvoir sur les différentes institutions de l’État tout en portant le moins de responsabilités. Cependant, les manifestations de 2019 ont montré que le statu quo n’est plus viable. La nouvelle étude montre que la base de soutien de la «résistance» est ébranlée en raison de la détérioration des conditions économiques au Liban. Le parti est en position difficile alors que les critiques et le mécontentement battent leur plein. En 2019, le Hezbollah a violemment réprimé les manifestants. Même si le groupe se place en position de force, il est à son plus bas.
La montée en puissance du Hezbollah a commencé le jour où il est entré dans le gouvernement libanais. Cette autonomisation s’avère cependant coûteuse: le Hezbollah est contraint d’établir des alliances avec des hommes politiques malhonnêtes, ternissant ainsi son image de mouvement de résistance authentique, au-dessus de tout soupçon de corruption. Le groupe perd beaucoup de crédibilité et de légitimité, surtout en prenant part à la guerre en Syrie. Néanmoins, le parti considère la chute potentielle du régime d’El-Assad comme une menace existentielle qui couperait ses voies d’approvisionnement. Le Hezbollah se souvient également de la guerre de 2006 quand, au bout d’une semaine d’affrontements, 80% de ses réserves étaient déjà épuisées. Ce n’est que lorsque Bachar el-Assad a décidé de rouvrir les frontières de la Syrie que le soutien est arrivé et que le parti a pu poursuivre les combats. De plus, vu que le Hezbollah fait l’objet de sanctions, il est obligé de se tourner vers des activités illicites pour financer ses opérations, ce qui suscite mécontentement et critiques à son égard.
Le Liban est cependant au stade où les petits changements ne sont plus suffisants. Des réformes radicales s’imposent. Le système est obsolète et doit être changé. Le Hezbollah a jusqu’à présent été le principal gardien du système, ce qui explique en grande partie la colère politique contre lui. Si les Libanais rejettent les armes du Hezbollah, ce n’est pas pour leur effet dissuasif vis-à-vis d’Israël, mais parce qu’ils les voient comme les garants de la corruption et qu’elles ont permis au Hezbollah de jouir d’une influence démesurée au sein du pays. Pour les Libanais, les armes du Hezbollah sont l’essence même du système.
Si la fin du statu quo actuel pourrait mettre le Hezbollah en péril, il pourrait aussi lui donner la chance de se racheter et de regagner le respect du peuple libanais. L’ouverture à l’Iran pourrait inciter le Hezbollah à relâcher son emprise sur le gouvernement puisqu’il sera dédommagé pour la perte de revenus provenant d’activités illicites grâce aux fonds qu’il recevra de Téhéran une fois les sanctions levées. Dans ce cas, il pourrait renoncer à certains privilèges accumulés au fil des années et laisser tomber ses alliés corrompus pour permettre la mise en place de réformes qui empêcheraient l’État de s’effondrer.
Le Hezbollah a déjà fait preuve de pragmatisme par le passé. Il a fait des concessions à court terme pour préserver son existence et le projet global de l’Iran à long terme. Téhéran ne peut se permettre de perdre le Hezbollah et, à travers ce dernier, l’élément de dissuasion dont il dispose contre Israël.
Si le Hezbollah accepte d’être limogé du gouvernement et de mettre fin à ses alliances avec les politiques corrompus, tout en acceptant de réformer les institutions de l’État, il regagnera le respect du peuple libanais comme dans les années 1990 lorsqu’il était perçu comme un mouvement de résistance nationale légitime. Bien que l’on puisse considérer ce relâchement d’emprise comme le début de la fin, la seule façon pour le mouvement de survivre est de remonter le temps, à l’époque où il se contentait d’être un simple mouvement de résistance et un facteur de dissuasion contre toute agression israélienne.
Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes et en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la voie II. Elle est également chercheuse affiliée à l’Institut Issam-Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’Université américaine de Beyrouth.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com