Qui sait combien de Premiers ministres libanais ont été nommés au cours de l'année écoulée ? Avec la démission de Mustapha Adib ce week-end, le Hezbollah a contrecarré toutes les tentatives de former un gouvernement compétent et technocratique pour sortir le Liban de cette catastrophe, exigeant, tel un gangster, de détenir les ministères des Finances, de la Santé, des Transports et tout ce qui lui tombe sous la main.
Pendant des années, nous avons mis en garde et craint que Hassan Nasrallah, Nabih Berri, Michel Aoun et l'ayatollah Ali Khamenei ne brûlent le Liban pour protéger leurs intérêts - et les voici aujourd'hui, versant joyeusement de l'essence sur les flammes.
En effet, avec le départ d'Adib et de son prédécesseur Hassan Diab, ainsi que d'un autre gouvernement intérimaire, le Hezbollah satisfait son désir de rester aux commandes tout en gagnant simplement du temps. Il affirme que des élections anticipées ne sont pas nécessaires. Cependant, après avoir délibérément saboté les gouvernements les uns après les autres, y a-t-il une autre alternative ?
Le Hezbollah et Aoun ont détruit tout ce qui faisait du Liban un grand pays. Et voilà que la capitale du système bancaire du monde arabe a fait faillite. Les touristes préfèrent ne pas fréquenter les États déstabilisés dirigés par des terroristes. Voilà que les anciens partenaires régionaux refusent de se mêler de nos affaires. Notre célèbre culture, quant à elle, est piétinée par des théocrates barbares. Et Beyrouth n'a même plus de port viable.
Les récentes sanctions américaines expliquent clairement pourquoi le Hezbollah veut contrôler le ministère des Finances : Ali Hassan Khalil, ministre des Finances de 2014 à 2020, a aidé le Hezbollah à contourner les sanctions américaines en blanchissant de l'argent par le biais de la fonction publique, tout en exemptant le personnel du Hezbollah de taxes. Le contrôle du ministère chargé de la supervision financière permet au Hezbollah et à l'Iran de gérer leurs opérations criminelles se chiffrant à plusieurs millions de dollars en toute impunité. C'est mettre le renard à la tête du poulailler !
En outre, le ministre des Transports et des Travaux publics Yousef Fenianos (2016-2020) a aidé ses alliés du Hezbollah à siphonner des millions de dollars de fonds publics et a permis à des entreprises contrôlées par le Hezbollah de décrocher des contrats. Par ailleurs, le contrôle de l'aéroport et des frontières permet à l'Iran de continuer à alimenter le Hezbollah en armes, tout en lui permettant de tirer des revenus des narcotiques et d'autres crimes transfrontaliers. Des documents judiciaires américains révèlent que le personnel du Hezbollah a aidé à l'acheminement de cocaïne à travers l'aéroport en collaboration avec le responsable de la sécurité du Hezbollah, Wafiq Safa.
Cependant, si les renseignements français et américains étaient au courant de tous ces faits, ne fallait-il pas les rendre publics bien avant que ces braqueurs ne vident le trésor public, ne drainent les comptes bancaires de chaque enseignant, veuve et retraité, et avant que le Liban ne s'effondre comme l’écorce d'un vieux cèdre desséché ?
En insistant à faire de certains ministères les fiefs exclusifs des personnes nommées par le Hezbollah chiite, Nasrallah est intrinsèquement corrompu. Le résultat invariable est clair : les ministères sont envahis par des membres de factions, qui n'ont ni les qualifications ni la motivation nécessaire pour faire autre chose qu'extorquer des pots-de-vin à des citoyens appauvris, tandis que leurs patrons mettent le budget des ministères en poche. Ce sont ces méthodes de gestion qui ont mis le Liban dans le pétrin dans lequel il se trouve actuellement.
C’est ainsi que le Hezbollah réclame invariablement le ministère de la Santé, puisque celui-ci dispose du quatrième budget ministériel du Liban, soit 338 millions de dollars. Il permet également au parti de garantir des soins de santé gratuits à des milliers d'anciens combattants en Syrie. Avec ce ministère sous le contrôle du Hezbollah, les médicaments iraniens contrefaits ont envahi le marché pharmaceutique libanais.
Pour justifier l'alliance peu populaire du Mouvement patriotique libre (FPM) avec le Hezbollah auprès de leurs partisans chrétiens, Aoun et Gebran Bassil ont prétendu que le contrôle de la présidence et des principaux ministères renforcerait le pouvoir des chrétiens libanais. Au contraire, ils ont brisé le dos de la nation, poussant une vaste diaspora de chrétiens et d'autres confessions à mettre la vie de leurs familles en péril et à fuir le Liban pour de meilleures opportunités à l'étranger.
Certes, le FPM et le Hezbollah sont devenus des partenaires inséparables dans le crime à mesure qu’ils sapent l'économie du Liban. En raison de leur corruption et de leur incompétence colossale, la compagnie d'Électricité du Liban (qui est gérée par le ministère de l'Énergie contrôlé à son tour par le FPM) perd 2 milliards de dollars par an, soit environ 40 % de la dette nationale du Liban. En effet, la plupart des citoyens paient des factures exorbitantes alors qu'ils sont privés d'électricité une grande partie de la journée. Toutefois, environ 80 % des habitants des zones contrôlées par le Hezbollah bénéficient de l'électricité gratuitement.
Le Hezbollah et l'Iran maîtrisent la politique étrangère libanaise par le biais du FPM : malgré l'engagement du Liban dans une politique d'autodétermination, l'ancien ministre des Affaires étrangères Bassil se range systématiquement du côté de l'Iran dans les conflits régionaux. Après que Bassil a boycotté la condamnation par la Ligue arabe des attaques de 2016 contre les missions du CCG à Téhéran, le CCG a réduit de 3 milliards de dollars le financement annuel alloué à l'armée libanaise.
Le Hezbollah et Aoun ont détruit tout ce qui faisait du Liban un grand pays. Et voilà que la capitale du système bancaire au monde Arabe fait faillite
Baria Alamuddin
Par leur opposition aux efforts des États-Unis visant à réimposer les sanctions de l'ONU, le président français Emmanuel Macron ainsi que les Européens tentent d'encourager l'Iran et le Hezbollah à adopter une approche plus constructive quant à la formation du Cabinet libanais. Cette approche douce ne fait que conforter Téhéran dans son pouvoir de continuer à menacer et à dominer ses voisins.
Macron a lancé un défi au Hezbollah : «Tout le monde sait que vous servez le programme de l'Iran... Mais êtes-vous Libanais - oui ou non ? Voulez-vous aider les Libanais - oui ou non ?» Après le sabotage par le Hezbollah des efforts d'Adib pour former un cabinet, les réponses à ces questions sont évidentes pour tous. Si Macron veut sérieusement pénaliser ceux qui tiennent le Liban en otage, il doit aller de l'avant ; c'est le moins que méritent ces criminels.
Le Liban coule. Macron, le FMI, le CCG ont tous lancé des bouées de sauvetage, et pourtant ceux qui dirigent le Liban sont bien décidés à le pousser au fond de l'océan. Faudra-t-il s’étonner lorsque Macron et le FMI constateront que le Liban ne peut plus être sauvé ?
Si le Liban ne parvient pas à saisir ces bouées de sauvetage, de plus en plus de personnes seront affamées et appauvries ; des écoles, des hôpitaux et des services essentiels fermeront leurs portes ; la société s'effondrera ; et ceux qui le peuvent fuiront à l'étranger. La désintégration de l'État sera hideuse. Nous savons à quoi ressemble une guerre sectaire. Qui souhaite emprunter ce chemin encore une fois ?
Si je dis tout ça, ce n'est pas pour susciter le pessimisme et le cynisme. C’est plutôt un appel à l'action. Le Hezbollah a prouvé qu'il refusait tout compromis. Donc une majorité importante d'autres factions et composantes de la société doit forger une nouvelle voie, pour convaincre le monde que le Liban mérite l'aide vitale dont nous avons si désespérément besoin. On ne peut pas sortir de cette crise par magie. Le processus sera lent et douloureux, mais nous devons nous y engager.
Le patriarche maronite Bechara Rai a héroïquement exhorté toutes les parties libanaises à s'engager à respecter le principe de «neutralité», en plaçant les intérêts du Liban en premier. En effet, le Liban ne pourra entamer le long chemin pour retrouver sa grandeur que lorsque sa souveraineté aura été restaurée et que nous aurons consacré une administration entièrement dévouée à l'intérêt du pays.
Baria Alamuddin est une journaliste et présentatrice primée du Moyen-Orient et du Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef de Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.