Après le deuxième tir massif de roquettes effectué par l'Iran la semaine dernière, qui n'a pas causé de dommages significatifs à ses cibles en Israël, le discours de l'ayatollah Khamenei –prononcé en arabe – en a dit long sur ses cibles prioritaires.
Il a affirmé que les factions de la «résistance» telles que le Hamas et le Hezbollah fournissaient un «service vital» aux musulmans de «toute la région» et qu'elles «ne rendraient pas les armes», tout en offrant simplement un soutien rhétorique. Les armées mandataires transnationales de l'Iran constituent un rempart de défense pour l'Iran lui-même et Khamenei serait heureux de voir toutes ces milices arabes incinérées pour la cause exaltée de la survie du régime.
Les Gardiens de la révolution tireront déjà les leçons de la décapitation du Hezbollah et de l'incapacité de l'Iran à affronter véritablement Israël. Si les ayatollahs ne renoncent pas à leur idéologie paranoïaque et expansionniste d'exportation de la révolution, ils auront besoin de nouvelles stratégies pour surpasser les nombreux ennemis de Téhéran dans les futures phases du conflit.
Ils redoubleront d'efforts pour se doter d'une capacité d'évasion nucléaire militaire, car – diront les ayatollahs bellicistes – les événements auraient pu prendre un autre tournant si Téhéran s'était doté de la bombe nucléaire. En particulier si Israël attaque les installations pétrolières iraniennes, de nouvelles menaces de blocage du détroit d'Ormuz seront inévitables, de même qu'une intensification des attaques des Houthis contre les navires de la mer Rouge, ou des attaques de missiles contre les États du CCG, avec toutes les répercussions que cela implique en termes de flambée des prix du pétrole et de coûts économiques. «Si la guerre de l'énergie commence, le monde perdra 12 millions de barils de pétrole par jour. Soit tout le monde profitera des bienfaits de l'énergie, soit tout le monde en sera privé», a menacé Abou Ali al-Askari des Kataeb Hezbollah, la milice irakienne soutenue par Téhéran.
La semaine dernière, un avion cargo se trouvant dans l'espace aérien irakien et faisant route entre l'Iran et le Liban a été contraint de faire demi-tour après qu'Israël a exprimé ses craintes qu'il puisse transporter des armes. Israël a également intensifié ses bombardements à la frontière entre le Liban et la Syrie, afin de dissuader les mouvements de munitions et de personnes. Au fil du temps, l'Iran cherchera à réapprovisionner le Hezbollah en armes et en fonds, même s'il laisse à d'autres le soin de reconstruire le Liban.
Mais Téhéran ne se précipitera peut-être pas pour le faire. Les relations des ayatollahs avec les mandataires paramilitaires de l'Iran sont enracinées dans des liens intimes avec les chefs des milices qui remontent à plusieurs décennies. Les nouveaux dirigeants du Hezbollah seront des inconnus qui n'auront pas fait leurs preuves. La neutralisation remarquable du réseau de communication du Hezbollah par Israël nécessitera de nouveaux mécanismes pour empêcher l'espionnage et le sabotage. Par conséquent, le Hezbollah aura besoin de beaucoup de temps pour retrouver ne serait-ce qu'une once de son prestige d'antan.
L'assassinat de Hassan Nasrallah, figure emblématique des paramilitaires, accélérera la prééminence régionale croissante des paramilitaires irakiens. Avec une force d'environ 240 000 hommes, le groupe irakien Al-Hachd al-Chaabi a des effectifs plus importants que le Hezbollah: son budget annuel de 3,5 milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) et ses avoirs économiques sont bien plus considérables que les allocations que le Hezbollah reçoit de l'Iran.
Téhéran considère l'Irak, qui protège le flanc ouest de l'Iran, comme le joyau de la couronne de ses franchises paramilitaires et se donne beaucoup de mal pour garder le Hachd à l'abri de la guerre actuelle. Lorsque des paramilitaires irakiens et syriens ont proposé de se joindre aux combattants du Liban, on leur a répondu, à plusieurs reprises, que leur présence n'était pas nécessaire, par crainte qu'ils ne soient attaqués aux postes-frontières vulnérables en chemin.
Un an après les attentats du 7 octobre, l'Iran sait que ses plans ont été massivement déjoués et prépare déjà le prochain conflit.
-Baria Alamuddin
Tout comme Nasrallah a adopté un rôle de leader régionalisé après la mort en 2020 de Qassem Soleimani et d'Abou Mahdi al-Mouhandis, il faut s'attendre à ce que des chefs de guerre irakiens mégalomanes tels que Qais al-Khazali, Abou Fadak al-Mohammadawi et Akram al-Kaabi aspirent à une notoriété régionale, les paramilitaires irakiens prenant probablement la tête de la reconstruction du Hezbollah, du Hamas et des Houthis à la suite de cette guerre.
L'engagement des États-Unis à se retirer d'Irak et de Syrie est une victoire majeure pour ces mandataires. Cela pourrait les encourager à cibler davantage la Jordanie, d'où les forces américaines ont neutralisé les attaques de missiles de l'Iran sur Tel-Aviv. Les mandataires irakiens ont fait savoir qu'ils cherchaient à déstabiliser le royaume de manière à pouvoir se redéployer aux frontières orientales d'Israël, laissant ce dernier dans un état d'encerclement précaire. Les dirigeants irakiens craignent que les activités provocatrices des milices, à l'image des tirs de roquettes sur les bases américaines et directement sur Israël, n'entraînent le pays directement dans la ligne de mire.
Le retrait américain de l'est de la Syrie permettra aux paramilitaires mandataires de consolider leur couloir de contrôle de Téhéran à la Méditerranée. Bien qu'Israël puisse en sortir incontestablement vainqueur, un Téhéran humilié et revanchard pourrait être bien placé pour exploiter la situation régionale fragile afin de renforcer la prééminence de ses mandataires.
Les citoyens libanais ont furieusement réprimandé le Hezbollah sur les réseaux sociaux pour avoir engendré des niveaux de destruction incommensurables à Beyrouth et au Liban, alors qu'il n'a pratiquement pas porté de coup à Israël. J'ai fait mes courses chez un Libanais chiite émigré qui s'est dit tout à fait convaincu que Nasrallah était toujours en vie et que le Hezbollah n'avait pas encore déployé ses armes lourdes, qui, selon lui, transformeraient le champ de bataille – ce qui montre bien que les gens ont du mal à accepter les évolutions récentes si étonnantes. Tout comme la guerre de 1967 a été un échec cuisant au niveau de la confiance en soi des Arabes, le Hezbollah pourrait être confronté à un bilan intérieur dévastateur une fois la guerre terminée.
Les factions politiques libanaises devraient tirer parti de la déroute subie par le Hezbollah pour poursuivre une formule politique très différente, fondée sur des principes démocratiques et non sectaires, empêchant le blocage indéfini des nominations à la présidence et des rôles au sein du gouvernement.
Au fil des générations depuis 1947, les victoires décisives d'Israël n'ont semé que haine, radicalisation et vengeance. Tout comme les bombes à fragmentation, le phosphore et l'uranium appauvri laissés sur les champs de bataille, le poison produit par les campagnes disproportionnées de punition collective d'Israël a donné naissance au Hamas, au Hezbollah et à Daech. Des versions radicalisées du Hamas et du Hezbollah verront le jour, encore plus implacablement déterminées à assurer la destruction d'Israël.
Les mollahs de Téhéran ont essuyé des échecs cuisants par le passé dans leur quête de domination régionale qui dure depuis des décennies. L'éradication des principaux dirigeants du Hezbollah ne les incitera guère à changer d'avis. Les ayatollahs sont conscients de leur vulnérabilité existentielle, d'autant plus que Netanyahou a averti la semaine dernière que la chute du régime «surviendra beaucoup plus tôt qu'on ne le pense». Les défaites précédentes ont été suivies sans relâche par le réarmement, le parrainage de nouvelles forces paramilitaires et le détournement d'importants fonds supplémentaires par l'intermédiaire des Gardiens de la révolution.
Un an après les attentats du 7 octobre, l'Iran sait que ses plans ont été massivement déjoués et prépare déjà le prochain conflit. Le monde doit avoir une longueur d'avance en empêchant la reprise des flux d'armes et de financement vers le Liban et l'Irak, en redoublant d'efforts pour mettre un terme au programme nucléaire iranien, tout en exploitant la faiblesse temporaire des mandataires de l'Iran pour soutenir le désarmement des milices et les engagements en faveur d'une gouvernance exempte d'ingérence paramilitaire.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com