Alors que l'invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine semblait battre de l'aile en 2022, les décideurs occidentaux ont prédit qu'ils pourraient mettre à mal la Russie sur le plan économique et qu'un flux de fonds et d'armes renverserait de manière décisive le cours de la guerre, donnant ainsi une leçon définitive selon laquelle les invasions hostiles se terminent toujours par un désastre.
Lors du sommet des Brics de la semaine dernière, le président russe a tenu à prendre sa revanche sur l'Occident: non seulement il était toujours au pouvoir, mais il avait également réuni une douzaine de dirigeants mondiaux autour de lui, démontrant ainsi que les efforts d'isolement avaient échoué.
Pour les décideurs politiques occidentaux, il s'agissait d'une leçon qui aurait dû être évidente depuis longtemps: lorsqu'on permet à des acteurs voyous de violer le droit international en toute impunité, des États tels que la Corée du Nord, l'Iran et la Russie commencent progressivement à agir en bloc pour subvertir et saper le système mondial.
Tout au long des années 1990 et 2000, les États-Unis et leurs alliés européens ont joui d'une suprématie incontestée qui leur a permis d'imposer leurs règles et leurs valeurs. Mais la superpuissance américaine a refusé de vivre selon ses propres règles: elle s'est engagée dans des guerres illégales à l'étranger, a refusé de rendre des comptes devant les tribunaux internationaux et a abusé de son droit de veto pour protéger ses alliés les plus proches qui violaient les droits de l'homme en toute impunité.
En conséquence, alors que d'autres États comme la Chine, l'Inde et la Russie cherchaient à consolider leur statut de superpuissance, ils ne se sont pas sentis obligés de faire semblant de respecter des normes internationales qui avaient cessé de fonctionner depuis longtemps.
Le dernier sommet des Brics témoigne d'un monde véritablement multipolaire. En soi, ce n'est pas une mauvaise chose: il est intuitivement préférable de vivre au sein d'une communauté de nations, plutôt que d'avoir une superpuissance unique capable d'imposer arbitrairement sa loi. Reste à savoir de quel type de communauté il s'agit.
Une communauté d'égaux dotée d'un système de règles universellement respecté est un modèle pacifique, équitable et durable, qui facilite la coopération pour relever les défis mondiaux tels que le changement climatique.
Mais notre monde multilatéral embryonnaire est né dans le feu: les tensions autour du conflit ukrainien, l'escalade de la crise au Moyen-Orient, l'impasse entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan. La Corée du Nord, l'Iran et la Chine contribuent tous matériellement à l'effort de guerre de la Russie et l'Occident ne peut pas faire grand-chose pour les arrêter. L'escalade de la violence entre Israël, l'Iran et ses mandataires illustre la faiblesse des mécanismes de résolution des conflits dans un monde divisé et multipolaire.
Le dernier sommet des Brics témoigne d'un monde véritablement multipolaire. En soi, ce n'est pas une mauvaise chose: il est intuitivement préférable de vivre au sein d'une communauté de nations, plutôt que d'avoir une superpuissance unique capable d'imposer arbitrairement sa loi. Reste à savoir de quel type de communauté il s'agit.
- Baria Alamuddin
La plus grande réussite du système mondial de l'après-Seconde Guerre mondiale a été la mise en place d'un ordre global fondé sur des règles, dans lequel toutes les nations avaient intérêt à respecter ces règles. Pendant 70 ans, il était relativement rare que des États puissants envahissent et occupent des voisins plus faibles. Cependant, avec les guerres en Syrie, en Libye, au Soudan, en Ukraine, en Palestine et au Yémen, il semble désormais courant de voir des puissances régionales s'engager dans des conflits par procuration. Qui se souvient de la dernière fois où le Conseil de sécurité des Nations unies s'est mis d'accord sur une résolution contribuant matériellement à la résolution d'un conflit?
Les Brics ont été accueillis à l'origine comme un signe qu'un plus grand nombre de puissances émergentes prenaient place à la table d'honneur, s'élargissant cette année à l'Égypte, aux Émirats arabes unis, à l'Éthiopie et à l'Iran. Lors de ce sommet des Brics, une rare rencontre a eu lieu entre le Chinois Xi Jinping et l'Indien Narendra Modi, après plusieurs années d'escalade des tensions entre ces deux puissances nucléaires.
Mais au-delà du coup de propagande de Poutine, les Brics restent un bloc diversifié et dysfonctionnel. Si certains de ces pays sont attirés par une hostilité mutuelle envers les États-Unis, nombre d'entre eux entretiennent des relations commerciales bien plus importantes avec l'Occident qu'entre eux.
Alors que les pays du Brics représentent 35% du PIB mondial, soit plus que le G7, l'organisation ne dispose d'aucune sorte de dispositif institutionnel ou d'agenda stratégique pour consolider l'alignement économique et politique, sans parler de la promotion de monnaies alternatives pour rivaliser avec le dollar. La «déclaration de Kazan» finale était un ramassis de platitudes qui n'ont servi qu'à souligner la diversité des visions du monde des participants. On se demande si les Brics ont d'autre utilité que de poser simplement pour des photos.
Pour la première fois depuis les années 1980, nous entendons des menaces de déploiement d'armes nucléaires et d'expansion des arsenaux nucléaires. Si l'une des parties mettait ces menaces à exécution, le conflit pourrait s'intensifier si rapidement qu'aucun d'entre nous ne serait encore en vie pour comprendre ce qui s'est passé. Le conflit actuel au Moyen-Orient risque fort d'inciter l'Iran à accélérer ses efforts pour atteindre le seuil nucléaire militaire, ce qui rendrait la région infiniment plus précaire.
L'intelligence artificielle, la cyberguerre, les drones intelligents et d'autres technologies vont entre-temps révolutionner les conflits – en multipliant les effets destructeurs, tout en offrant une variété d'options mortelles et bon marché aux terroristes et aux acteurs non étatiques, qui peuvent eux-mêmes prospérer au milieu d'un nombre toujours croissant d'États en désintégration.
L'Otan a répondu au comportement assertif de la Chine et de la Russie par des alliances plus étroites avec des États d'Asie et du Pacifique, en organisant des exercices militaires ostentatoires tout en développant l'industrie des munitions. L'élection présidentielle américaine, quant à elle, est un choix brutal entre le multilatéralisme et l'unilatéralisme, avec d'immenses implications pour les relations des États-Unis avec les autres puissances mondiales.
Nous prospérons tous lorsque nous commerçons ensemble, coexistons pacifiquement et ne consacrons pas une part importante de notre PIB à l'armement. L'Amérique et l'Europe doivent s'adapter à la réalité, à savoir que la Chine et la Russie sont aujourd'hui des puissances mondiales: mais la Chine et la Russie doivent réapprendre la leçon selon laquelle l'exploitation de leur puissance croissante pour opprimer des voisins plus faibles, ou leurs propres citoyens se terminera mal. La planète réclame des dirigeants dont la priorité absolue est le bien-être de leurs citoyens et qui comprennent que la seule voie vers la paix et la prospérité passe par un monde multilatéral fondé sur des règles.
Assez d'hypocrisie, de politiques de «deux poids, deux mesures» et de discours creux – dans notre nouvelle réalité mondiale multilatérale. Si les anciennes puissances telles que l'Amérique et l'Europe veulent que les rivaux émergents respectent les règles, elles doivent d'abord montrer l'exemple en agissant systématiquement selon leurs propres principes. La justice pour tous – ou la justice pour personne.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com