La paix avec les États arabes, seule planche de salut pour l'Iran

Le guide suprême iranien Ali Khamenei prononçant un sermon à Téhéran le 4 octobre 2024. (Photo KHAMENEI.IR via AFP)
Le guide suprême iranien Ali Khamenei prononçant un sermon à Téhéran le 4 octobre 2024. (Photo KHAMENEI.IR via AFP)
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Publié le Mardi 15 octobre 2024

La paix avec les États arabes, seule planche de salut pour l'Iran

La paix avec les États arabes, seule planche de salut pour l'Iran
  • L'Iran a inondé la région d'armées paramilitaires transnationales comme les Houthis au Yémen, Al-Hachd al-Chaabi en Irak et le Hezbollah au Liban
  • Par ce bellicisme, les ayatollahs n'ont réussi qu'à se transformer eux-mêmes en cible directe

Traîné d'un refuge à l'autre, communiquant avec ses subordonnés sur des bouts de papier par crainte d'utiliser un téléphone, alors que ses principaux commandants régionaux ont été tués, l'ayatollah Ali Khamenei est peut-être en train de se demander comment ses actions ont pu conduire l'Iran à cette situation misérable.

L'infortuné chef des espions du guide suprême iranien, Ismaël Qaani, a disparu, ce qui a donné lieu à des spéculations selon lesquelles il aurait été tué par Israël ou serait interrogé à Téhéran sur son rôle dans les atteintes à la sécurité.

L'Iran a inondé la région d'armées paramilitaires transnationales comme les Houthis au Yémen, Al-Hachd al-Chaabi en Irak et le Hezbollah au Liban, censées servir de chair à canon pour la cause exaltée de la préservation du régime. Mais par ce bellicisme, les ayatollahs n'ont réussi qu'à se transformer eux-mêmes en cible directe.

L'axe de la résistance n'a jamais eu pour but premier d'attaquer Israël: il s'agissait d'un prétexte pour renverser les autorités en place au Liban, en Irak, en Syrie, au Yémen et ailleurs, en transformant ces nations en États de première ligne par procuration contre l'ensemble des ennemis du régime, y compris les pays arabes et l'Occident. L'Iran manie cyniquement ces États défaillants comme des cartes à jouer, faisant monter et descendre les tensions pour prouver sa prétendue prééminence.

Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et les ayatollahs, ont été prisonniers de leur propre rhétorique, après avoir longtemps ressassé le discours absurde de la «mort à l'Amérique» et de la «mort à Israël», tout en passant l'année dernière à esquiver et à louvoyer dans une tentative infructueuse d'éviter d'être pris dans une guerre régionale totale.

Mais par ce bellicisme, les ayatollahs n'ont réussi qu'à se transformer eux-mêmes en cible directe.

-Baria Alamuddin

Les faux pas constants de Téhéran et du Hezbollah ont finalement donné au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou le prétexte qu'il recherchait pour cibler directement le régime iranien. C'est uniquement parce que l'administration Biden à la Maison Blanche est réticente à prendre des risques et se concentre sur les élections qu'Israël a hésité à se lancer dans des attaques aériennes massives contre les installations nucléaires, pétrolières, militaires, économiques et civiles de l'Iran. Khamenei doit passer des nuits blanches face à la perspective d'une victoire de Trump aux élections présidentielles.

L'Iran a dépêché des diplomates à Riyad, à Doha, au Caire, à Bagdad, à Damas et ailleurs, dans un ultime effort pour éviter l'assaut israélien, mais le régime semble plus isolé que jamais. Des alliés dysfonctionnels et douteux, tels que la Corée du Nord et la Russie, n'honorent généralement pas leurs promesses d'armes et de soutien, compte tenu notamment des liens historiques de Moscou avec Israël, dont 15% de la population parle russe.

La menace existentielle la plus probable pour le régime vient de l'intérieur, d'une population appauvrie et frustrée qui accuse ses dirigeants oppressifs d'être responsables de sa situation misérable.

La décapitation du Hezbollah alimente les tensions dans de nombreux États, notamment en Irak, où les humiliations flagrantes de la résistance ont encouragé les appels à la démobilisation des milices Al-Hachd al-Chaabi, soutenues par l'Iran, sachant que ce n'est qu'une question de temps avant qu'Israël ne déchaîne sa puissance de feu sur Bagdad. Il en va de même au Liban, où un Hezbollah radicalement affaibli se battra néanmoins bec et ongles pour ne pas perdre son prestige politique habituel, en particulier avec Israël qui s'agite pour la mise en œuvre de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies de 2004 qui exige le désarmement de toutes les forces non étatiques.

Ayant perdu toute une cohorte de commandants chevronnés, le régime de Téhéran semble promouvoir les chefs de guerre irakiens survivants tels que Qais al-Khazali et Akram al-Kaabi, mais les Gardiens de la révolution doivent être inquiets à l'idée que les futures phases de la stratégie paramilitaire soient entre les mains imprévisibles de ces mégalomanes mercuriens et de ces non-initiés inexpérimentés. Si les paramilitaires irakiens sont peut-être plus nombreux que le Hezbollah, ils se sont depuis longtemps transformés en mafias criminelles, n'offrant que de maigres capacités militaires autres que des escarmouches entre eux et des attaques prédatrices contre des civils sans défense.

Il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Après des millénaires de culture et d'histoire communes avec l'Iran, les États arabes musulmans ne sont pas ses ennemis naturels. Ils sont censés être tous du même côté pour défendre la justice de la cause palestinienne. Ainsi, plutôt que de marmonner des menaces selon lesquelles les États du Golfe pourraient être pris pour cible si Téhéran était touché, l'Iran devrait chercher à réactiver ses précédentes démarches réticentes et timides en vue d'une ouverture diplomatique.

Après des millénaires de culture et d'histoire communes avec l'Iran, les États arabes musulmans ne sont pas ses ennemis naturels.

-Baria Alamuddin

Pour cela, il faudrait que l'Iran retire l'arme braquée sur le monde arabe, en démobilisant ses armées supplétives, en renonçant à ses prétentions à la suprématie nucléaire et en cessant ses efforts pour inonder les États arabes de stupéfiants. Pendant des décennies, les États du Golfe ont subi une atmosphère de menaces et d'hostilité, comme les revendications territoriales sans fondement sur Bahreïn, l'occupation des îles des Émirats arabes unis et le soutien aux insurrections et aux tentatives de coup d'État.

Par toutes ces machinations autodestructrices, l'Iran n'a fait que se nuire et s'isoler. En raison de son programme nucléaire et de son soutien au terrorisme, ce premier producteur de pétrole est appauvri par les sanctions, tandis que des milliards de dollars ont été détournés pour financer les armées paramilitaires arabes qu'Israël déchire allègrement membre par membre. Les arsenaux d'armes détruits au Liban ont été financés sur le dos des Iraniens ordinaires qui se sont rendus en masse sur les réseaux sociaux pour dénoncer ce gaspillage colossal qui a fait de l'Iran une cible de la colère israélienne.

Ce régime belliciste s'est mis au bord de l'anéantissement, mais il peut encore se sauver en affirmant sa volonté de devenir un État normal qui donne la priorité à l'enrichissement de ses citoyens et à la coexistence pacifique et prospère avec ses voisins.

Paradoxalement, un monde musulman fort et unifié constituerait la plus grande menace pour les ambitions maximalistes de l'extrême droite israélienne en présentant un front uni en faveur de la justice et de la nation palestiniennes. Cela permettrait à des États tels que le Liban, le Yémen, la Syrie et l'Irak de s'éloigner du bord de la désintégration et de revenir dans le giron arabe, avec tout le soutien à la reconstruction et à la réhabilitation économique que cela impliquerait.

Pour l'Iran, reconnaître que les 45 dernières années ont été un exercice de futilité autodestructrice ne serait pas un aveu de défaite, mais pourrait au contraire représenter la seule perspective de sortir indemne de cette catastrophe.

Personne, et surtout pas le régime lui-même, ne souhaite assister à la destruction de l'Iran. Espérons qu'en ce moment fatidique, les ayatollahs possèdent un certain instinct de survie.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com