Pour la première fois depuis des années, les États-Unis semblent avoir adopté une politique cohérente et équilibrée à l'égard de la Libye.
L’annonce faite vendredi dernier par Fayez Al-Sarraj, le chef du Gouvernement d’Entente Nationale (GNA) reconnu par l’ONU, d’un cessez-le-feu immédiat, a coïncidé avec une déclaration similaire d’Aguila Saleh, le président du parlement basé à l’est de la Libye. Ce n'était pas une coïncidence.
Le communiqué du GNA a également appelé à la tenue d'élections parlementaires et présidentielles qui devraient se tenir en mars prochain, ainsi qu’à la démilitarisation de la ville controversée de Syrte, considérée comme la porte d'entrée de la région, riche en pétrole.
Il est important de noter que la déclaration d'Al-Sarraj mentionnait également l'extension de ‘’la pleine souveraineté sur le territoire libyen et le départ des forces étrangères et des mercenaires.’’ Son rival politique, Saleh, a déclaré que ‘’le cessez-le-feu bloquait la voie aux interventions militaires étrangères et débouchait sur l'expulsion des mercenaires et la dissolution des milices en vue de parvenir à une souveraineté nationale globale.’’ Les deux parties ont souligné la nécessité de reprendre les exportations de pétrole, un problème sur lequel ont insisté les Etats-Unis.
L'ONU, l'Égypte, les EAU et la Russie se sont félicités de ce développement. Les EAU, un des principaux soutiens de l'Armée Nationale Libyenne (ANL) basée à Benghazi et commandée par le général Khalifa Haftar, ont également fait référence aux résultats du Sommet de Berlin, de la Déclaration du Caire et de l'Accord de Skhirat, dont le dernier était le fondement des précédentes tentatives de réconciliation, au cours desquelles ont été adoptés un certain nombre de principes clés sur les moyens de mettre fin à ce conflit de neuf ans.
Le récent réengagement des États-Unis dans la question libyenne marque un changement qualitatif de politique et de stratégie. Il survient après des années de tentatives infructueuses de l'ONU et de l'Europe de négocier une trêve entre Al-Sarraj et Haftar. Depuis le début de l'année, un certain nombre de développements majeurs ont contraint Washington à passer à l’action : l’intervention directe de la Turquie pour le compte du GNA, le déploiement d'avions de chasse russes sur la base aérienne de Jafra et le rejet par Haftar d'une opération militaire majeure pour prendre le contrôle de la capitale, Tripoli. Ses troupes ont été contraintes par les forces du GNA à battre en retraite, et les milices alliées soutenues par des conseillers turcs et des mercenaires syriens ont été transportées en avion par Ankara.
Le récent réengagement des États-Unis dans la question libyenne marque un changement qualitatif de politique et de stratégie. Il survient après des années de tentatives infructueuses de l'ONU et de l'Europe de négocier une trêve entre Al-Sarraj et Haftar.
Osama Al-Sharif
Alors que les forces du GNA se préparaient à marcher sur Syrte, le Président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi est intervenu. Il a mis en garde sur le fait que toute tentative d'attaque de la ville représentait une ‘’ligne rouge’’ pour Le Caire, et que si elle était franchie, l'armée égyptienne était prête se déployer dans l'est de la Libye pour intervenir dans le conflit.
Il y avait eu depuis lors une impasse, les deux parties se trouvant sur la corde raide. Les observateurs estiment que le Département d’État américain et le Commandement de l’armée américaine pour l’Afrique ont joué un rôle crucial dans la conclusion du dernier accord de cessez-le-feu.
Pour Washington, il y avait un certain nombre de motivations pour prendre l’initiative en Libye : le déploiement de la Russie dans l'est de la Libye, l'intervention turque pour le compte du GNA, les profondes divisions au sein des alliés de l'OTAN sur la question libyenne, et la préservation de la sécurité navale en Méditerranée orientale. Les États-Unis ont également réalisé que la partition de facto de la Libye était devenue une éventualité possible, scénario qui créerait un incubateur idéal pour les groupes terroristes islamistes.
Mais le cessez-le-feu, qui semble tenir pour l'instant, est instable. Haftar ne s'est pas encore engagé dans la trêve négociée par les États-Unis, soutenue par ses alliés du Caire. Son ambition de se présenter comme le dirigeant ultime d'une Libye unie a été enterrée dans les sables du désert.
Un porte-parole de la ANL a décrit l'annonce du GNA comme une diversion visant à leurrer l'opinion publique locale, régionale et internationale. Mais avec le soutien de l’Égypte et des EAU pour un règlement politique, et avec Al-Sarraj envoyant des signes de conciliation au Caire, la marge de manœuvre de Haftar pourrait être limitée.
D'autre part, Al-Sarraj a investi une trop grande partie de son enjeu politique à Ankara. Au cours des derniers mois, il a donné à la Turquie l’accès à des intérêts pétroliers stratégiques, tant en Libye même que dans les eaux territoriales libyennes. Le renvoi des forces étrangères se trouvant en Libye sera la tâche la plus ardue pour les interlocuteurs. Ni la Turquie, collaborant avec le Qatar, ni la Russie, ne veulent voir une réduction de leur influence dans un pays clé de l'Afrique du Nord.
L’objectif principal des États-Unis vise maintenant à créer un terrain d’entente pour les deux parties libyennes, ouvrant la voie à des élections qui assureraient un nouveau mandat et ramèneraient dans le pays les richesses pétrolière de la Libye, afin qu’elle puisse financer les importants programmes de reconstruction.
Les États-Unis ont les outils nécessaires pour faire pression sur Ankara, dont le programme en Libye reste suspect, ainsi que sur Le Caire et Abou Dhabi, mais la position et la réaction de la Russie face au nouveau rôle américain seront susceptibles de constituer un problème.
Cependant, toute négociation future devra contourner Haftar, accusé par le GNA de crimes de guerre dans l'ouest de la Libye. À un moment donné, l'Égypte et les EAU pourraient opter pour sa mise à l'écart, s'il est considéré comme un obstacle majeur à un règlement politique.
Bien entendu, la route vers un règlement politique n’est pas facile, et avec tant de divisions entre les Libyens eux-mêmes, la tâche de maintenir un accord pose un constant défi. Cependant, ce qui représente un signe encourageant est que les États-Unis ont choisi d'ouvrir des canaux de communication avec toutes les parties au conflit, reconnaissant le fait qu'une solution militaire est impossible, assurant ainsi une certaine crédibilité absolument nécessaire avant le lancement d'un véritable processus politique.
Osama Al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.
Twitter: @plato010
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com