Dans la longue histoire du chaos libyen déclenché par la funeste initiative française prise en 2011 pour éliminer Kadhafi, une page se tourne : celle du maréchal autoproclamé Khalifa Haftar.
Les soutiens ne lui ont pourtant pas manqué : le Parlement de Tobrouk, les tribus kadhafistes, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite ou l'Egypte, sans compter l’appui de la Russie ou encore le soutien de la France, bien qu’ambigu. Les uns et les autres auraient sans doute été bien inspirés de se souvenir du jugement sévère que Kadhafi avait porté sur cet officier, qu’il estimait incompétent, avant de l’expédier en exil.
Pourtant les mêmes objectifs demeurent dix ans plus tard : mettre fin au chaos, éliminer les milices djihadistes, rétablir un pouvoir politique ayant une certaine légitimité et permettre le redémarrage de l’activité pétrolière – bref, mettre un terme à la guerre civile et entamer la reconstruction d’une Libye pacifiée. Malheureusement, l’arrivée massive des troupes djihadistes syriennes venues d’Idlib et flanquées de conseillers militaires turcs constitue désormais un obstacle majeur à l’accomplissement de ces objectifs.
En cette période troublée, les regards se tournent naturellement vers la France. Première puissance méditerranéenne, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France est de surcroît directement concernée par la crise libyenne en raison de son influence traditionnelle au Maghreb et surtout de son engagement militaire au Sahel.
L’incident provoqué par la marine turque à l’encontre d’une frégate française et les déclarations tonitruantes d’Erdogan contre Emmanuel Macron ne sauraient réduire le débat à une confrontation personnelle entre les deux hommes, ni même entre la France et la Turquie. Il s’agit d’un débat de fond qui interpelle la France, certes, mais aussi toutes les autres parties concernées : nos partenaires européens, l’ensemble des pays arabes, sans oublier bien sûr la Russie et les États-Unis.
Des questions viennent spontanément à l’esprit : quelle idée nous faisons-nous de la Méditerranée où nous voulons vivre ? Un espace pour la coopération ou pour la confrontation ? Un État peut-il s’arroger seul le droit de débarquer troupes et matériels de guerre sur le territoire d’un autre État sous le prétexte de mettre fin à une guerre civile, fut-ce à la demande de certaines parties prenantes au conflit ? Si j’osais, je poserais cette dernière question : le souvenir de l’Empire ottoman donne-t-il des droits particuliers à la Turquie ?
Dans l’état actuel des choses, deux issues se dessinent. La première, qui se déroule sous nos yeux, c’est la partition de la Libye en deux entités – la Tripolitaine et la Cyrénaïque – contrôlées l’une par la Turquie, l’autre par la Russie. C’est une perspective calamiteuse, et qui ne fera qu’accomprofondir le chaos existant, car personne en Méditerranée n’est prêt à considérer ce scénario comme acceptable – ni en Europe, ni dans le monde arabe. L’autre issue, la seule qui soit juste et raisonnable, c’est le retour à la médiation de l’ONU, dont on n’aurait jamais dû s’éloigner, afin d’obtenir un retrait de toutes les forces étrangères et de rechercher un accord local. Aujourd’hui cela peut paraître hors d’atteinte, mais c’est le seul chemin qui puisse conduire – si Dieu le veut – à la paix. Où est la France ? Où est l’Europe ? Où est l’Amérique ? Il est grand temps que la communauté internationale se réveille.
Ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement, Hervé de Charette a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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