Le voyage éclair du nouveau ministre français des Affaires étrangères à Rabat appelle l'attention sur les difficultés que connaissent depuis quelque temps les relations de la France avec ses partenaires maghrébins, Algérie, Maroc et Tunisie. La responsabilité de cette situation est très largement partagée. Les Français ont tendance à se croire volontiers chez eux, de Tunis à Casablanca. De leur côté, les élites maghrébines supportent mal de devoir demander des visas pour se rendre en France et d’avoir tant de difficultés pour les obtenir.
Les trois pays ont des liens multiples et complexes avec Paris, tant économiques que politiques, mais aussi entre des sociétés si différentes, quoique si fortement imbriquées. La contrepartie, c'est la porte ouverte aux malentendus, aux susceptibilités, aux procès d'intention et aux litiges de toutes sortes et à tous les niveaux. Il y a entre les deux rives de la Méditerranée le poids du passé colonial, mais aussi une place donnée à ce que l'on pourrait appeler «l'affect» qui est assez perturbante, tout à fait inhabituelle et sûrement excessive. Nous ferions sans doute mieux d'en revenir à une gestion diplomatique plus classique, fondée sur la compréhension et la convergence des intérêts concrets des uns et des autres.
Les relations franco-marocaines en sont un bon exemple. Le ministre français a annoncé devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale vouloir renouer le dialogue avec le Maroc et «rétablir petit à petit la confiance» entre les deux pays. Le projet est d'autant plus le bienvenu que le climat n'a sans doute jamais été aussi froid entre le Maroc et la France, ou, plus exactement peut-être, entre le roi du Maroc et l'exécutif français.
Par exemple, à Rabat, on a très mal pris que le Parlement européen vote à une forte majorité, sous l'influence du groupe Renew, qui était alors présidé par l'actuel ministre français des Affaires étrangères, une résolution critique dirigée contre le Maroc à propos du respect de la liberté de la presse et des droits de l'homme. Réciproquement, si l'on peut dire, à l'Élysée, on s'est scandalisé de découvrir que le portable personnel du président de la république française avait été mis sur écoute par les services marocains, qui ont utilisé un logiciel Pegasus acheté en Israël. Dans les deux cas, il faut bien reconnaître que ce ne sont pas de très bonnes manières! Ensuite, il y a eu cette fâcheuse affaire de l'aide que la France se proposait d'apporter aux victimes marocaines du tremblement de terre du 8 septembre 2023, que le Maroc a rejetée de façon brutale.
Désormais, les deux diplomaties paraissent décidées à se rabibocher. On multiplie les gestes supposément symboliques. Le roi et le président se sont téléphoné.
Désormais, les deux diplomaties paraissent décidées à se rabibocher. On multiplie les gestes supposément symboliques. Le roi et le président se sont téléphoné. Mme Macron a invité à l'Élysée les trois sœurs du roi. Ce dernier a nommé une nouvelle ambassadrice à Paris, dont le poste était resté vacant pendant de trop longs mois, et l'intéressée a été immédiatement reçue au Quai d'Orsay par le ministre lui-même. «La très silencieuse crise qui couvait depuis dix ans est derrière nous», dit-on du côté marocain.
Tout cela est bien bon. Mais la question de fond est la suivante: le roi obtiendra-t-il ce qu'il veut absolument, c'est-à-dire la clarification de la position française à propos de l'ancienne colonie espagnole du Sahara occidental, ainsi que les États-Unis et l'Espagne l'ont déjà fait? Le sort de ces arpents de terre désertiques n'a en soi pas une grande importance stratégique et la revendication marocaine paraît plutôt légitime. L'Espagne aurait été bien inspirée de faire droit à la souveraineté marocaine en quittant les lieux plutôt que d'attendre plusieurs dizaines d'années et de créer ainsi de toute pièce une situation impossible à gérer entre l'Algérie et le Maroc.
La France s'en est tenue depuis quinze ans à une position nuancée: souhaitant respecter les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU qui prescrivent de faire un référendum, elle reconnaît, dans cette attente, le bien-fondé de la position marocaine avec des mots pesés au trébuchet. Ce compromis diplomatique a résisté de longues années, permettant à la France de répondre à la demande du Maroc sans (trop) déplaire à l'Algérie. On peut comprendre que Rabat veuille en sortir et presse la France de franchir le pas vers une reconnaissance de sa souveraineté.
Une décision française allant dans cette direction aurait sûrement une grande résonance en Afrique et dans le monde arabe. La France envisage donc de clarifier sa position «dans un cadre apaisé et équilibré», dit-on à Paris, avec l'intention de répondre au souhait de Mohammed VI. Encore faudra-t-il pouvoir s'appuyer sur des éléments de droit et de fait qui le justifient.
Mais cela devrait s'accompagner d'une vision entièrement renouvelée des relations franco-marocaines qui prenne en considération l'importance des intérêts de la France au Maroc, et aussi l'appui que Paris réclame depuis longtemps auprès de Rabat pour le contrôle de l'immigration. Voilà les deux sujets clés sur lesquels il y a beaucoup d'insatisfaction du côté français et beaucoup de progrès possibles. Le rétablissement de la confiance, dont parle M. Séjourné à juste titre, est à ce prix. Ce qui se joue actuellement entre les deux pays a donc une grande importance.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
X: @HdeCharette
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