L'attaque de drones contre une base américaine en Jordanie, dans laquelle trois GI ont été tués et une quarantaine d'autres blessés, a plongé Washington dans la consternation, mais aussi dans l'embarras. Depuis la guerre déclenchée par le Hamas contre Israël le 7 octobre, les milices pro-iraniennes en Irak et en Syrie ont multiplié les attaques contre les bases américaines en invoquant le soutien américain inconditionnel à Israël: plus de 150 opérations ont eu lieu, selon les indications données par Washington, contre des bases militaires américaines dans les deux pays, mais aucune en Jordanie. C'est donc une première et c'est aussi la première fois que l'armée américaine doit déplorer des morts dans la région. D'où l'émotion suscitée aux États-Unis, où l'on estime qu'une ligne rouge a été franchie par les milices chiites.
Il fallait donc riposter. Dans la nuit du 2 au 3 février, l'aviation américaine a visé 85 cibles sélectionnées sur 7 sites (4 en Syrie, 3 en Irak) des gardiens de la révolution iraniens et des milices pro-iraniennes. Au préalable, le président américain avait fait deux déclarations importantes: d'abord pour indiquer qu'il tenait le gouvernement iranien pour «responsable dans le sens où il fournit les armes aux gens qui ont fait ça», ce qui est, somme toute, une déclaration assez prudente. Mais, a-t-il ajouté dans un communiqué, «les États-Unis ne veulent pas de conflit, ni au Moyen-Orient ni ailleurs dans le monde. Toutefois, que ceux qui veulent nous faire du mal le sache bien: si vous touchez à un Américain, nous répondrons». Le message est clair.
La riposte a été jugée proportionnée, c'est-à-dire mesurée. Plusieurs jours se sont écoulés entre l'annonce de la riposte et sa mise en œuvre, laquelle a épargné de surcroît le territoire iranien. Mais le président semble avoir été bien compris, puisque les auteurs principaux de l'opération contre la base américaine, la milice Kataeb Hezbollah, ont publié dans la foulée et sur demande iranienne un communiqué indiquant qu'ils mettaient fin aux attaques contre des cibles américaines!
Le lendemain de ces événements, dans la nuit du 3 au 4 février, des bombardiers américains et britanniques ont mené sans avertissement préalable une opération de plus grande envergure au Yémen contre les rebelles houthis, visant 36 cibles sur 13 sites, en réponse aux attaques de drones dirigées contre le trafic maritime international en mer Rouge ainsi que les navires de guerre anglo-saxons circulant dans la zone.
En cette année électorale, le président américain est sous le feu des critiques des responsables républicains qui dénoncent depuis des mois la faiblesse de Joe Biden et sa complaisance vis-à-vis de l'Iran.
La réaction houthie mérite qu'on s'y arrête: «Ces nouvelles frappes n'ébranleront pas le soutien au peuple palestinien résistant à Gaza et ne passeront pas sans réponse», a déclaré le porte-parole des miliciens. Et encore: «Soit il y a la paix pour nous, pour la Palestine et Gaza, soit il n'y a pas de paix ni de sécurité pour vous dans notre région.» Le message des Houthis est aussi clair que celui de Biden.
Autour de ce dernier, les responsables américains sont embarrassés par la situation au Moyen-Orient. Même s'ils désapprouvent de plus en plus fortement, en privé, la stratégie israélienne de Netanyahou, ils continuent de lui apporter tout leur soutien. Or, c'est précisément ce soutien qui provoque les réactions des Houthis du Yémen et des milices chiites irako-syriennes.
En cette année électorale, le président américain est sous le feu des critiques des responsables républicains qui dénoncent depuis des mois la faiblesse de Joe Biden et sa complaisance vis-à-vis de l'Iran. Pour autant, la Maison-Blanche se refuse à intensifier ses opérations militaires au-delà d'une riposte proportionnée. Elle voit le risque d'un embrasement de la région, toujours possible par un effet de contagion.
L'Iran a pris soin de faire savoir que, tant que son territoire national n'était pas touché, il n'avait aucune intention de déclencher un conflit d'envergure. L'armée américaine devrait donc, selon toute probabilité, se limiter à des opérations visant non à détruire ses adversaires, mais peut-être à les dissuader d'agir et en tout cas à réduire aussi fortement que possible leur capacité de s'en prendre aux intérêts américains.
Le porte-parole des Houthis avait raison; son point de vue est partagé par tous les observateurs: rien ne conduira à une désescalade au Moyen-Orient, sauf un cessez-le-feu mettant fin aux combats à Gaza. Et encore! Car l'Iran veut le retrait des dernières forces américaines stationnées au Moyen-Orient, en particulier en Syrie et en Irak.
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
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