En ce début d’année 2024, les événements tragiques qui se déroulent à Gaza jettent une ombre sinistre sur notre avenir. Les dirigeants du Hamas, en préparant leur opération du 7 octobre dernier, croyaient ourdir un piège où Israël se perdrait dans une réplique violente. Force est de constater que si tel est bien ce qui s’est produit, l’Histoire a désormais échappé des mains de ceux qui s’en voulaient les maîtres.
Du côté israélien, Netanyahou, guidé par des convictions qui ont toujours été les siennes, a saisi cette opportunité, qu’on pourrait dire «diabolique», pour accélérer le processus de colonisation de la Cisjordanie et laisse percer son intention de revenir durablement et sans doute définitivement en territoire gazaoui, en éliminant ou en poussant vers l’exil le plus grand nombre possible de Palestiniens.
Déchaînement d’une violence inouïe
Plus les jours passent et plus il apparaît que l’élimination des chefs du Hamas est presque un prétexte, en tout cas pas l’objectif ultime du Premier ministre israélien. Ce qu’il veut, c’est achever l’appropriation par Israël de la totalité de la Palestine et par la même occasion rester au pouvoir avec ses alliés de l’extrême droite. C’est ce scénario qui est en cours de réalisation avec le déchaînement d’une violence inouïe. Les morts, les blessés, les affamés, qu’ils soient hommes ou femmes, de tout âge, enfants et vieillards inclus, ne comptent pas. Ils sont le prix accepté de sang-froid pour installer le Grand Israël.
En face de lui, qui Netanyahou trouve-t-il? En Israël, personne, en tout cas pour le moment. Ses opposants, si nombreux il y a quelques mois, se taisent, frappés d’effroi par les massacres du 7 octobre 2023. En Europe et en Amérique du Nord, il y a certes beaucoup de commentaires médiatiques, mais il n’y a guère d’expression politique forte, encore moins décisive, pour condamner clairement la stratégie israélienne. Les motifs de cet embarras sont nombreux: les crimes du Hamas d’abord, mais aussi l’ombre porté de la Shoah, ainsi que les relents nauséabonds d’un antisémitisme rampant qui culpabilise l’Occident où les diasporas juives sont nombreuses et influentes.
En ce début d’année 2024, les événements tragiques qui se déroulent à Gaza jettent une ombre sinistre sur notre avenir.
- Hervé de Charette
Reconnaissons toutefois que le président des États-Unis a manifesté de façon répétée ses interrogations, ses doutes et bientôt ses désaccords avec les faits et gestes de Netanyahou, en parfaite union de pensée avec une partie significative de la communauté juive américaine. C’est grâce à lui que les négociations ont pu s’ouvrir avec le concours de l’Égypte et de plusieurs pays du Golfe, d’abord pour obtenir une trêve et la libération de quelques dizaines d’otages israéliens, puis pour faciliter l’arrivée de l’aide humanitaire à Gaza, et désormais pour élaborer un scénario de fin de la guerre.
C’est enfin à Joe Biden que l’on doit d’avoir, le premier et de façon convaincante, affirmé qu’il n’y avait pas d’autre solution envisageable que celle de reconnaître enfin et de mettre en œuvre le droit des Palestiniens à vivre en paix dans un État souverain. Contrairement à ce que certains ont dit, ce n’était pas le langage de la facilité et de l’irréalisme, c’était celui du courage et de l’exigence.
Franchir le pas
Mais le moment vient où l’Amérique ne pourra plus en rester là et devra franchir le pas, c’est-à-dire remettre en cause le caractère inconditionnel de son soutien à Israël et soumettre celui-ci à des changements politiques majeurs à Tel Aviv pour qu’on y accepte enfin sérieusement le projet d’un État palestinien.
En 2024 va se jouer l’avenir du Moyen-Orient et peut être beaucoup plus. Les Américains sont habitués à négocier pour le compte et au profit des Israéliens des arrangements avec les partenaires ou adversaires arabes. Mais désormais ils doivent aussi discuter avec Israël parce que, pour la première fois, il n’y a pas d’accord entre eux.
Netanyahou veut qu’Israël se réinstalle à Gaza et ne veut pas d’État palestinien. Les États-Unis proposent exactement le contraire: un retrait israélien rapide de Gaza et le lancement d’un processus débouchant à terme sur la création d’un État palestinien. Entre les deux, le fossé est profond, même si, pour le moment, les apparences sont sauves. À l’aube de cette nouvelle année la responsabilité des États-Unis est majeure. Joe Biden saura-t-il trancher le nœud gordien?
Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.
X: @HdeCharette
NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.